Si
l'on devrait trouver une société ressemblant
à Egg, au vu de son parcours depuis sa création
en 1998, ce serait certainement Amazon. Les deux supermarchés
(de la finance pour le premier, de produits généralistes
pour le second) ont en effet suivi peu ou prou la même
trajectoire. Comme Amazon, Egg a accumulé les
pertes, notamment en raison de ses dépenses de
marketing pour faire connaître sa marque, au cours
de tous ses exercices. Comme Amazon, Egg a divisé
les analystes sur la viabilité de son modèle
et sa capacité à s'imposer face à
des acteurs déjà établis dans le
monde physique. La banque anglaise, malgré son
statut de supermarché, est devenue l'un des sites
les plus visités d'Angleterre, comme le cyber-marchand
aux Etats-Unis. Enfin, dernier point commun, les deux
sociétés ont annoncé un bénéfice
inattendu au quatrième trimestre 2001, le premier
de leur histoire.
Le
modèle d'Egg avait pourtant de quoi faire frémir
à sa création en 1998. La société
voulait, à partir de rien (même si elle
avait l'avantage d'être soutenue par l'assureur
Prudential, actionnaire à 79%), chasser sur les
terres des plus grandes banques du Royaume-Uni grâce
à Internet. Et ce programme ambitieux passait
nécessairement par la construction d'une marque
à coup de millions et par des pertes abyssales
les premières années. Egg, à la
différence de Zebank en France, a toutefois eu
une chance : celle de s'introduire en Bourse en juin
2000, juste avant l'éclatement définitif
de la bulle Internet. L'opération lui a permis
de récupérer 255 millions d'euros d'argent
frais pour financer la suite.
Un
élément non négligeable car pour
imposer sa marque, la société, dirigée
à l'époque par son stratège Mike
Harris, avait déjà puisé largement
dans ses réserves financières. La banque
a ainsi investi 35,55 millions d'euros en
opérations marketing en
1999, 83 millions d'euros en 2000 et 35,55 millions
d'euros sur le seul premier semestre 2001.
Ces
dépenses somptuaires n'affolaient pourtant pas
Mike Harris, qui les assimilaient à "un
investissement". Début 2001 (peu de temps
avant de laisser la place à Paul Gratton), il
confiait dans une interview au JDNet qu'il fallait "mettre
ces sommes en regard de ce que cela avait rapporté
à la banque. Notre notoriété est
de 90% en Angleterre et nous avons 1,5 million de clients.
Dans l'absolu, nos dépenses sont importantes,
mais en combien d'années les grandes banques
britanniques ont elles atteint un taux de notoriété
de cet ordre et combien cela leur a-t-il coûté?",
questionnait-il.
L'autre handicap de Egg était justement la façon
dont elle avait attiré ses clients (près
de 1,92 million au dernier pointage en décembre
2001). Entre
les comptes remunérés à des niveaux
supérieurs aux taux en vigueur, les prêts
à taux cassés ou les frais de gestion
de compte réduits, beaucoup d'analystes se demandaient
où la banque allait pouvoir dégager des
marges. La réponse de Egg était simple
: "Une fois les clients dans la banque, nous arriverons
bien à leur vendre les produits à forte
marge pour lesquels ils ne sont pas venus". Sur
ce point-là, Egg n'a pas encore réussi
totalement son pari, même si ses marges se sont
améliorées. Au premier semestre 2001,
la société a ainsi vendu 1,36 produit
par clients, contre 1,09 en 2000. Grâce à
son fichier de 1,3 million de titulaires de cartes de
crédit, elle a amélioré ses résultats
sur les prêts personnels, et avec 32.000 clients,
elle est devenue le premier supermarché britannique
de fonds en ligne. Ce dernier marché étant
alléchant, selon Egg, puisqu'il devrait avoisiner
les 275 millions d'euros d'actifs d'ici 2005.
Si
ses revenus se sont améliorés - la société
a réalisé un chiffres d'affaires de 124
millions d'euros au premier semestre 2001 -, la banque
a dans le même temps réduit ses coûts
et affirme avoir pu enfin réaliser des économies
d'échelle. Au premier semestre 2001, ses dépenses
de fonctionnement ont ainsi augmenté de 4% tandis
que le nombre de comptes bondissait de 27%. Egg a également
su profiter de sa notoriété pour trouver
des nouveaux relais en matière de distribution.
Elle dispose ainsi d'un accord avec la chaîne
Boots, qui compte près de 700 magasins, d'un
accord pan-européen avec MSN,
la plate-forme
de Microsoft, et d'un canal de vente interactif
sur la bouquet de télévision numérique
de Sky TV. Bien armée dans son pays, Egg a donc
choisi de placer son année 2002 sous le signe
de l'expansion européenne en prenant pied sur
le marché français. Et en rachetant une
banque, Zebank, qui avait largement calqué son
modèle sur celui d'Egg pour se développer.
L'original fera-t-il mieux que la copie ?
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