"Internet
n'est pas seulement une révolution industrielle, comme
l'a été celle des transports au début du siècle. C'est
aussi une révolution politique : elle touche au pouvoir
; elle bouleverse les rapports de force. Par là, elle
est profondément déstabilisatrice." Il est souvent cruel
de ressortir des phrases anciennes : celles-ci datent
de 2000 et figurent en page 199 de "J6M.com", le livre
qu'avait signé Jean-Marie Messier. Cette "révolution
déstabilisatrice" n'est évidemment pas la seule raison
des bouleversements qui sont en train de se produire
à la tête de Vivendi-Universal. Mais elle y a probablement
concouru, tant Jean-Marie Messier s'est engagé personnellement
dans cette stratégie et a entraîné sa société
dans de nombreux et coûteux chantiers.
Au
"Faut-il avoir peur de la nouvelle économie", sous-titre
du livre en question (la réponse était
non, évidemment), s'opposait en mars dernier
la fameuse étude de Crédit Lyonnais Securities sur Vivendi-Universal,
dans laquelle les deux analystes de la banque parlaient
du "constat de l'échec, à ce jour, de la stratégie de
convergence de VU". Si l'étude insistait sur l'échec
de Vizzavi, elle estimait aussi qu' "il est stupéfiant
de constater que, deux années après la déroute des dotcoms,
les activités internet de VU continuent de détruire
plusieurs centaines de millions d'euros chaque année".
En
avril dernier, le JDNet avait épluché
le rapport annuel 2001 de la société. Officiellement,
l'Ebitda de la division Internet (l'équivalent
de son d'excédent brut d'exploitation) ressortait en
perte de 209 millions d'euros pour un chiffre d'affaires
de seulement 129 millions d'euros. De plus, ce résultat
ne tenait pas compte des pertes de Scoot.com (annuaire)
et Vizzavi (portail de services mobiles), détenus respectivement
à 22,4 % et 50 % par VU. Ces deux entreprises
représentaient 291 millions d'euros de pertes Ebitda
supplémentaires dans les comptes. L'ardoise est donc
élevée et les dossiers à régler
sont nombreux. Tour d'horizon de cinq d'entre eux.
Vizzavi. Ce
devait être le socle de toute la stratégie,
le symbole de la convergence tuyaux-contenus. Avec ce
"portail multi-accés", dont l'idée
a émergé lors du rapprochement avec Vodafone,
Jean-Marie Messier annonçait son ambition - concurrencer
Yahoo - et avançait ses atouts - les 80 millions
d'abonnés des deux groupes. Omettant au passage
de rappeler que ceux-ci étaient aussi bien clients
du téléphone mobile que de l'eau ou d'autres
services, et que les additionner revenait, comme le
fit remarquer à l'époque un commentateur
avisé, à mélanger les serviettes
et les mouchoirs... Au bout du compte, la principale
fonction de Vizzavi aura été d'aider Messier
à convaincre les dirigeants de Seagram d'accepter
la fusion avec Vivendi (même Rupert Murdoch se
serait intéressé à Vizzavi, affirme
J6M.com). Doté à sa naissance de 1,5 milliard
d'euros (dont 750 millions venus de Vivendi), Vizzavi,
lancé en juin 2000, ne peut revendiquer aujourd'hui
que 7,5 million d'"utilisateurs enregistrés"
pour l'ensemble des huit pays européens où
il est présent. En avril dernier, le Financial
Times affirmait que Jean-Marie Messier avait évoqué
sa fermeture (Lire l'article
du JDNet du 30/04/02).
Pressplay.
C'était l'autre chantier symbole de l'aventure
Internet du Vivendi de Messier. La plate-forme de musique
en ligne, développée par Universal avec
Sony, devait permettre le développement du téléchargement
légal, donc payant. Problème : après
Napster, les internautes sont loin d'être prêts
pour ce type de service. Et les majors du disque n'ont
pas réussi à s'accorder, Warner, EMI et
BMG se lançant parallèlement dans le projet
concurrent MusicNet. Résultat : ouvert en fin
d'année 2001 aux Etats-Unis (Lire l'article
du 20/12/01), PressPlay n'a toujours pas communiqué
de résultats et son lancement en Europe a été
repoussé à 2003.
Scoot.
VU détiendrait 21,25 % du capital de la société
britannique Scoot.com, qui édite l'annuaire professionnel
Scoot au Royaume-Uni et qui vient d'être rachetée
par BT (Lire l'article
du 28/06/02). Le groupe contrôle également
100 % de Scoot Europe (implanté aux Pays-Bas,
en Belgique et en France). Destiné à concurrencer
des concurrents établis comme les Pages Jaunes
de France Telecom, le service d'annuaires n'a pas réussi
son pari et son propriétaire réfléchit
à sa fermeture.
Viventures.
La structure de capital-risque créée en septembre 1998
avait pour mission d'investir dans "des entreprises
innovantes dans le domaine d'Internet et des télécommunications".
Un premier fonds de 118 millions d'euros a pris des
participations dans 49 sociétés. Un deuxième,
ouvert en juin 2000, avait été doté
de 630 millions d'euros par plus de quarante investisseurs,
des acteurs financiers et industriels venus d'Europe,
des Etats-Unis et d'Asie. Selon Les Echos.net, Viventures
envisagerait de retourner à ses investisseurs
une partie des fonds mis à sa disposition.
Vivendi Universal Net. La filiale regroupe
l'ensemble des activités Internet de Vivendi Universal
(technologies, portails, services). Présidée
par Philippe Germond, également PDG de Cegetel
et directeur général ajdoint de VU, elle
était dotée de deux directeurs généraux
adjoints, Frank Boulben et Agnès Audier. Le premier,
qui avait créé la structure en 1999, vient
de quitter ses fonctions (Lire l'article
du 06/6/02), laissant seule aux commmandes la seconde,
ancienne directrice de la stratégie et du développement
de Vivendi (et ex-directrice de cabinet de Jean-Pierre
Raffarin lorsqu'il était ministre des PME). VUNet
doit poursuivre et même accélérer
la restructuration de l'Internet vivendiesque. Et les
tâches ne manquent pas, notamment l'intégration
de CanalNumedia, co-entreprise à 50/50 du groupe Canal
Plus et de Vivendi Universal, qui contrôle les
activités Internet de Canal Plus ainsi qu'AlloCiné).
Une intégration aussi symbolique que délicate
lorsque l'on se souvient que le Web avait été
un sujet de discorde aigüe entre les dirigeants
de Vivendi et Canal au plus fort de la vague Internet,
en 1999, chaque groupe en revendiquant le contrôle.
C'était il y a trois ans. Une éternité
dans l'"Internet Age" évoqué
par Jean-Marie Messier dans son livre, cet âge
où "on est toujours dans l'urgence".
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