JDNet.
Considérez-vous Internet comme un média
?
Francis Balle.
Je crois qu'il
faut souligner une distincton : Internet n'est qu'un
réseau. Le média, c'est le World Wide
Web. Il faut réserver le terme média aux
outils de communication qui apportent autre chose que
le simple fait de communiquer. Sinon, il faut considérer
le téléphone et le fax comme des médias.
Quels
particularités attribuez-vous au Web ?
Il
récapitule tous les autres médias. Il
en est l'héritier et permet à chaque média
de se surpasser. Il concilie et réconcilie l'écrit
et l'image. Depuis l'aube de l'humanité, ces
deux univers ont toujours été séparés.
Le
Web est-il le média du XXIème siècle
?
Je
n'irais pas jusque-là : cela supposerait que
la Web est en train de supplanter les autres médias.
Ce qui n'est pas le cas.
Avec
le Web, le monde devient-il le "village global"
cher à Mac Luhan (*) ?
Il
faut remettre dans son contexte cette notion : c'était
le rêve des années 60 revivifié
au début des années 90 quand le monde
a cessé d'être bipolaire après la
dissolution de l'Union soviétique. Reste à
savoir si nous considérons que vivre dans un
monde uniforme est un rêve ou un cauchemar. Le
propre de l'homme est de vouloir se distinguer tout
en imitant. Paradoxalement, les sociétés
et les cultures veulent cultiver leurs différences.
Or ce mécanisme n'est possible qu'en imitant
ou en empruntant aux autres. On peut se demander dans
quelle mesure la facilité avec lequel on communique
via les réseaux électroniques cultive
davantage ce souci de se dinstinguer. On observe un
double mouvement contradictoire sur le Web : l'uniformisation
et la spécification. C'est un outil de communication
planétaire et, simultanément, un outil
de micro-communications comme avec le "one to one".
Pourquoi
le débat autour du Web est-il aussi passionné ?
On
parle d'une révolution anthropologique car elle
camoufle des illusions et des angoisses excessives : "le
village planétaire" d'un côté,
le "cyberterrorisme" de l'autre. Mais nous
vivons actuellement avec une interrogation en suspens :
demain, quelles seront les conséquences du caractère
multimédia sur notre façon de penser,
de vivre et de travailler ensemble ? Lorsque le Web
aura trouvé sa vitesse de croisière, comment
allons-nous réagir en naviguant entre l'écrit,
l'image et le son ? Personne ne peut le deviner. Mais
il est sûr que le caractère multimédia
va entraîner une révolution dans notre
mode de pensée.
Dans
votre ouvrage de
référence "Médias et Sociétés",
aviez-vous perçu l'avènement du Net ?
J'ai
dû en parler de façon véritablement
nourri pour la première fois en 1994, c'est-à-dire
après la naissance du Web. Naturellement, on
pouvait penser que sa puissance en terme de transaction
allait avoir des répercussions dans notre vie
quotidienne. La notion actuelle de multimédia
n'est apparue qu'en 1992. Avant, on l'utilisait uniquement
dans le cadre de concentrations d'activités réalisées
par de grands groupes.
Le
Web est-il un média de masse ?
Je
ne crois pas qu'il deviendra un jour un média
de masse au sens du cinéma ou de la télévision
qui diffusent des oeuvres universelles. Le Web atteindra
bien 50 à 60% de la population mondiale mais
il répondra à des besoins particuliers.
Le commerce électronique, la formation à
distance, l'information en ligne concerneront 10 à
15% de la population globale. Il ouvrira des marchés
de niche. C'est dans ce sens qu'il va s'étendre.
Comparé
aux autres outils de communications, l'Internet a-t-il
réellement bénéficié de
la croissance la plus rapide ?
Il
n'y a aucune ambiguité en la matière.
Il a fallu 36 ans pour que le téléphone
fixe atteigne un foyer américain sur quatre.
On compte 13 ans pour le téléphone mobile,
20 ans pour la radio. Pour le Web, il a fallu cinq ans
(1992-1997) pour qu'un foyer sur quatre soit connecté
au Web aux Etats-Unis. Au cours de la décennie
1990-2000, on a cru que l'Internet était la locomotive
d'une longue période de croissance. Cette coïncidence
entre la croissance et le développement de l'Internet,
c'est ce qu'on a appelé la Nouvelle Economie.
L'e-krach d'avril 2000, puis les attentats du 11 septembre
2001, ont donné le coup de grace à cette
expression.
Selon
vous, comment les médias français ont-ils
appréhendé l'Internet ?
Ils
ont surfé sur la vague de l'opinion. Ils s'y
sont tous précipités pour prendre position.
L'enthousiasme du départ, peut-être un
peu naïf, n'était finalement que tactique.
Maintenant, je trouve qu'ils ne sont pas trop mécontents
de revenir à une situation normale.
Comment
vont évoluer les modèles économiques
des médias sur Internet ?
Les
modèles des médias traditionnels sont
connus. Ils reposent sur trois cibles identifiés
payantes : l'Etat, le client final ou l'annonceur, qui
joue le rôle de tiers-payant. Nous sommes actuellement
en période d'essai, voire d'erreur. Après
la période dite du Web gratuit, nous entrons
dans une logique marchande. Reste à déterminer
les curseurs entre services gratuits et services payants.
Comment
traiter l'information en ligne ?
Elle
nécessite un traitement spécifique sur
le Web : il faut dire le principal dans les cinq premières
lignes et enrichir l'information avec des éléments
annexes multimédias. C'est au lecteur de faire
le tri.
Que
pensez-vous de l'idée de labelliser les sites
de contenus ?
Elle
est inévitable. C'est une nécessité
impérieuse et urgente car on se noye actuellement
dans le Web.
Selon
vous, quel média a réussi en ligne ?
Spontanément, j'aurais
dit aucun. Après réflexion, je dirais
que Les
Echos ont une approche intéressante. Les
médias économiques et financiers ont plus
d'atouts en leur possession. C'est le cas du Wall
Street Journal qui fournit des services sur mesure
et qui s'adresse à des professionnels qui sont
prêts à payer. Des médias puissants
comme TF1
ont décidé de tout faire en se disant
que, de toute manière, il va forcément
en ressortir quelque chose qui marche.
Quel
est votre site d'information favori ?
Je
m'appuie beaucoup sur les conseils de mes étudiants
qui m'aident à trouver les sites utiles. Mais,
honnêtement, je consulte pas de sites d'information
au quotidien.
De
quelle manière utilisez-vous Internet ?
J'utilise
beaucoup le courrier électronique. Sinon, je
considère l'Internet comme un Minitel amélioré.
Je l'utilise pour le service Degrifttourpar exemple.
Je regarde souvent les rapports financiers des sociétés
et des grands groupes via Internet.
Avez-vous
l'intention de faire de votre "Dictionnaire du
Web" un e-book ?
Non, mais le Dictionnaire
du Web dispose d'un site
Web, élaboré avec les éditions
Dalloz. Nous y avons ajouté des informations
sur le cyberterrorisme compte tenu du contexte.
Qu'aimez-vous
sur Internet ?
L'Encyclopaedia Universalis.
Avec la sortie de la version 7, il y a des enrichissements
très agréables sur son site.
Que
détestez-vous sur Internet ?
La
lenteur ou l'indisponiblité des sites lorsque
je surfe.
*
Marshall
Mac Luhan (1911-1980) est l'un des fondateurs de
la théorie de la communication de masse. Ce professeur
de culture et de communication à l'Université de Toronto
a initié deux réflexions à ce sujet
: primo, c'est le médium et non le message qui détermine
le mode de communication ("the medium is the message").
Deuxièmement,
on distingue parmi les différents moyens de communication
les moyens dits chauds ("hot media") des moyens dits
froids ("cool media"). En 1969, il a évoqué
la notion de "global village" face au développement
de la télévision et de la radio.
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