INTERVIEW
 
Universitaire
Spécialiste des médias
Francis Balle
"Titre"
Il est difficile d'éviter les ouvrages de Francis Balle dans les rayons d'une bibliothèque universitaire lorsque l'on suit des études dans le domaine de la communication. Après s'être intéressé à tous les supports médias (presse, radio, télévision, etc.) à travers son ouvrage de référence "Médias et Sociétés", ce professeur de sciences politiques et ancien membre du CSA consacre un dictionnnaire lié aux nouvelles technologies : "Le Dictionnaire du Web" (*). Celui-ci a été réalisé avec la collaboration de Laurent Cohen-Tanugi, associé du cabinet d'avocats internationaux Cleary Gottlieb Steen & Hamilton.

(*) "Le Dictionnaire du Web", sous la direction de Francis Balle et Laurent Cohen-Tanugi, Editions Dalloz. Prix de référence : 34,76 euros (228 francs)
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12 décembre 2001
 
          

JDNet. Considérez-vous Internet comme un média ?
Francis Balle. Je crois qu'il faut souligner une distincton : Internet n'est qu'un réseau. Le média, c'est le World Wide Web. Il faut réserver le terme média aux outils de communication qui apportent autre chose que le simple fait de communiquer. Sinon, il faut considérer le téléphone et le fax comme des médias.

Quels particularités attribuez-vous au Web ?

Il récapitule tous les autres médias. Il en est l'héritier et permet à chaque média de se surpasser. Il concilie et réconcilie l'écrit et l'image. Depuis l'aube de l'humanité, ces deux univers ont toujours été séparés.

Le Web est-il le média du XXIème siècle ?
Je n'irais pas jusque-là : cela supposerait que la Web est en train de supplanter les autres médias. Ce qui n'est pas le cas.

Avec le Web, le monde devient-il le "village global" cher à Mac Luhan (*) ?
Il faut remettre dans son contexte cette notion : c'était le rêve des années 60 revivifié au début des années 90 quand le monde a cessé d'être bipolaire après la dissolution de l'Union soviétique. Reste à savoir si nous considérons que vivre dans un monde uniforme est un rêve ou un cauchemar. Le propre de l'homme est de vouloir se distinguer tout en imitant. Paradoxalement, les sociétés et les cultures veulent cultiver leurs différences. Or ce mécanisme n'est possible qu'en imitant ou en empruntant aux autres. On peut se demander dans quelle mesure la facilité avec lequel on communique via les réseaux électroniques cultive davantage ce souci de se dinstinguer. On observe un double mouvement contradictoire sur le Web : l'uniformisation et la spécification. C'est un outil de communication planétaire et, simultanément, un outil de micro-communications comme avec le "one to one".

Pourquoi le débat autour du Web est-il aussi passionné ?
On parle d'une révolution anthropologique car elle camoufle des illusions et des angoisses excessives : "le village planétaire" d'un côté, le "cyberterrorisme" de l'autre. Mais nous vivons actuellement avec une interrogation en suspens : demain, quelles seront les conséquences du caractère multimédia sur notre façon de penser, de vivre et de travailler ensemble ? Lorsque le Web aura trouvé sa vitesse de croisière, comment allons-nous réagir en naviguant entre l'écrit, l'image et le son ? Personne ne peut le deviner. Mais il est sûr que le caractère multimédia va entraîner une révolution dans notre mode de pensée.

Dans votre ouvrage de référence "Médias et Sociétés", aviez-vous perçu l'avènement du Net ?
J'ai dû en parler de façon véritablement nourri pour la première fois en 1994, c'est-à-dire après la naissance du Web. Naturellement, on pouvait penser que sa puissance en terme de transaction allait avoir des répercussions dans notre vie quotidienne. La notion actuelle de multimédia n'est apparue qu'en 1992. Avant, on l'utilisait uniquement dans le cadre de concentrations d'activités réalisées par de grands groupes.

Le Web est-il un média de masse ?
Je ne crois pas qu'il deviendra un jour un média de masse au sens du cinéma ou de la télévision qui diffusent des oeuvres universelles. Le Web atteindra bien 50 à 60% de la population mondiale mais il répondra à des besoins particuliers. Le commerce électronique, la formation à distance, l'information en ligne concerneront 10 à 15% de la population globale. Il ouvrira des marchés de niche. C'est dans ce sens qu'il va s'étendre.

Comparé aux autres outils de communications, l'Internet a-t-il réellement bénéficié de la croissance la plus rapide ?
Il n'y a aucune ambiguité en la matière. Il a fallu 36 ans pour que le téléphone fixe atteigne un foyer américain sur quatre. On compte 13 ans pour le téléphone mobile, 20 ans pour la radio. Pour le Web, il a fallu cinq ans (1992-1997) pour qu'un foyer sur quatre soit connecté au Web aux Etats-Unis. Au cours de la décennie 1990-2000, on a cru que l'Internet était la locomotive d'une longue période de croissance. Cette coïncidence entre la croissance et le développement de l'Internet, c'est ce qu'on a appelé la Nouvelle Economie. L'e-krach d'avril 2000, puis les attentats du 11 septembre 2001, ont donné le coup de grace à cette expression.

Selon vous, comment les médias français ont-ils appréhendé l'Internet ?
Ils ont surfé sur la vague de l'opinion. Ils s'y sont tous précipités pour prendre position. L'enthousiasme du départ, peut-être un peu naïf, n'était finalement que tactique. Maintenant, je trouve qu'ils ne sont pas trop mécontents de revenir à une situation normale.

Comment vont évoluer les modèles économiques des médias sur Internet ?
Les modèles des médias traditionnels sont connus. Ils reposent sur trois cibles identifiés payantes : l'Etat, le client final ou l'annonceur, qui joue le rôle de tiers-payant. Nous sommes actuellement en période d'essai, voire d'erreur. Après la période dite du Web gratuit, nous entrons dans une logique marchande. Reste à déterminer les curseurs entre services gratuits et services payants.

Comment traiter l'information en ligne ?
Elle nécessite un traitement spécifique sur le Web : il faut dire le principal dans les cinq premières lignes et enrichir l'information avec des éléments annexes multimédias. C'est au lecteur de faire le tri.

Que pensez-vous de l'idée de labelliser les sites de contenus ?
Elle est inévitable. C'est une nécessité impérieuse et urgente car on se noye actuellement dans le Web.

Selon vous, quel média a réussi en ligne ?
Spontanément, j'aurais dit aucun. Après réflexion, je dirais que Les Echos ont une approche intéressante. Les médias économiques et financiers ont plus d'atouts en leur possession. C'est le cas du Wall Street Journal qui fournit des services sur mesure et qui s'adresse à des professionnels qui sont prêts à payer. Des médias puissants comme TF1 ont décidé de tout faire en se disant que, de toute manière, il va forcément en ressortir quelque chose qui marche.

Quel est votre site d'information favori ?
Je m'appuie beaucoup sur les conseils de mes étudiants qui m'aident à trouver les sites utiles. Mais, honnêtement, je consulte pas de sites d'information au quotidien.

De quelle manière utilisez-vous Internet ?
J'utilise beaucoup le courrier électronique. Sinon, je considère l'Internet comme un Minitel amélioré. Je l'utilise pour le service Degrifttourpar exemple. Je regarde souvent les rapports financiers des sociétés et des grands groupes via Internet.

Avez-vous l'intention de faire de votre "Dictionnaire du Web" un e-book ?
Non, mais le Dictionnaire du Web dispose d'un site Web, élaboré avec les éditions Dalloz. Nous y avons ajouté des informations sur le cyberterrorisme compte tenu du contexte.

Qu'aimez-vous sur Internet ?
L'Encyclopaedia Universalis. Avec la sortie de la version 7, il y a des enrichissements très agréables sur son site.

Que détestez-vous sur Internet ?
La lenteur ou l'indisponiblité des sites lorsque je surfe.

* Marshall Mac Luhan (1911-1980) est l'un des fondateurs de la théorie de la communication de masse. Ce professeur de culture et de communication à l'Université de Toronto a initié deux réflexions à ce sujet : primo, c'est le médium et non le message qui détermine le mode de communication ("the medium is the message"). Deuxièmement, on distingue parmi les différents moyens de communication les moyens dits chauds ("hot media") des moyens dits froids ("cool media"). En 1969, il a évoqué la notion de "global village" face au développement de la télévision et de la radio.

 
Propos recueillis par Philippe Guerrier

PARCOURS
 
Francis Balle est Docteur d'Etat ès lettres et diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et professeur de sciences politiques à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas. Entre 1976 et 1986, il a occupé les fonctions de Directeur de l'Institut français de presse. Puis, il est devenu
vice-chancelier des Universités de Paris (1986-1989). Entre 1989 et 1993, Francis Balle a été membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les médias dont, récemment, Les médias, (Coll. Dominos Flammarion, 2000), et Médias et Sociétés, (Montchrestien), dont la dixième édition est sortie cette année.

   
 
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