INTERVIEW
 
Directeur associé
McKinsey
Christophe Bédier
"Titre"
Le cabinet de conseil en stratégie s'appuie entre autres sur son expérience américaine pour développer sa propre vision de l'e-business aussi bien coté B to B que grand public. Christophe Bédier, Directeur associé de McKinsey Paris, voit apparaitre une "nouvelle nouvelle économie" plus patiente, plus proche des marchés et financée par de puissants acteurs. 21 septembre 2001
 
          

JDNet. Quelle approche a McKinsey de l'e-business?
Christophe Bédier. McKinsey intervient sur tous les aspects de la conduite des entreprises avec une perspective d'efficacité "micro-économique". Ce principe nous l'appliquons au domaine d'Internet, par opposition aux cabinets de conseil qui réfléchissent à partir d'une plate-forme technologique et disent "Voilà ce que la technologie peut faire" ou, se concentrant sur le côté lyrique, veulent "ré-inventer le monde" avec de nouveaux concepts. McKinsey réalise des missions dans le secteur du e-business depuis le milieu des années 90, sous l'impulsion de John Hagel, auteur, entre autres, de "Net Gain". En France en 2000, 80 % de nos missions ont concerné des grands acteurs en place. Notre spécificité, je crois, est de raisonner en termes d'apports concrets, pour chacun des acteurs de la chaîne de valeur.

De quelle manière intervenez-vous auprès de vos clients ?

Nous effectuons deux types de prestations : d'abord, la réflexion sur le business plan, avec pour objectif d'ancrer la "solution technologique" dans une approche de création de valeur au niveau micro-économique car seules survivront les propositions ayant une valeur économique prouvée. Ensuite, le "business building" : nous jouons le rôle d'accélérateur, en coordonnant, par exemple, des intégrateurs, des agences et des marketers.

Quelle est votre perception actuelle du marché ?
Une réaction négative excessive a succédé à un engouement lui-même excessif. Aujourd'hui, on observe, d'une part, une réflexion sur la mise en place de relations plus profondes et plus "intelligentes" entre acteurs du B to B au sein d'une même industrie. Mais dans beaucoup de cas, les grands consortiums doivent encore prouver leur légitimité et leur potentiel de valeur ajoutée concrète. D'autre part, on voit la reprise par les acteurs télécoms ou les opérateurs de contenu des plates-formes que des acteurs du B to C voulaient développer. C'est l'exemple de Vizzavi qui devient progressivement un pôle majeur d'agrégation. Désormais, les centres de gravité seront très probablement soit les télécoms, avec des portails généralistes à contenu fort, soit les opérateurs et agrégateurs de contenus.

Qui profitera, selon vous, de cette nouvelle donne ?
Les entreprises qui bénéficient de cash flows substantiels en provenance d'autres activités : elles ont les reins beaucoup plus solides pour financer et attendre le développement du marché. On n'est plus du tout sur un mode de "cash burn-out" à durée courte, financée par des levées de fonds successives, mais sur un mode d'investissement ayant la capacité d'attendre deux ou trois ans que la demande évolue. Ces intervenants sont les nouveaux VC de l'Internet. On peut voir de nouveaux services arriver, via des entreprises indépendantes, mais elles subiront l'attraction des constellations de services qui se mettent en place.

Le désarroi semble pourtant général...
En apparence, il ne se passe rien : le marketing ne décolle pas, les clients ne sont pas là… En réalité, une nouvelle vague extrêmement puissante de "nouvelle nouvelle économie" est en train de se structurer, fondée sur des portefeuilles d'activités à exploiter et du cash pour le faire. Aujourd'hui la demande n'est pas mature, cependant les acteurs du B to C vont mieux l'influencer en utilisant non seulement leur portefeuille de contenus, mais aussi l'évolution technologique : large bande proposée aux particuliers, téléphone mobile, convergence des supports homme/machine. Une démarche très pragmatique s'annonce, guidée par des ambitions micro-économiquement justifiées avec des prises de risque industrielles. Beaucoup de tests-marchés auront lieu, ce que ne faisaient pas les premiers VC, qui levaient 20 millions de dollars avant même d'avoir un client. Des signes positifs existent. Aujourd'hui de nombreux petits sites de jeux en ligne ou de vidéo par exemple créent une accoutumance pour beaucoup de transactions courantes de la vie. Le câble, le satellite et l'ADSL doivent ensemble développer la pénétration de l'internet à large bande en France. La consommation chez les distributeurs en ligne ne progresse pas aussi vite que prévu, d'accord, mais les clients sont fidèles et ils sont en train d'acquérir une nouvelle habitude de consommation, ce n'est pas un simple effet de mode. Les gens qui réalisent des transactions bancaires sont de plus en plus nombreux. Les indices sont vraiment favorables.

Comment définiriez vous les stratégies e-business des grands groupes aujourd'hui ?
Je vois quatre types d'acteurs. Il y a toujours des retardataires qui se disent "on a eu raison de ne rien faire" et laissent aujourd'hui l'initiative internet à leurs services informatiques. Ces groupes seront les grands perdants de demain. Il y a ceux qui ont compris que cela pouvait représenter un outil de productivité intelligente, permettant de redéfinir l'interface homme-machine ou homme-client. Ils investissent, en raisonnant sur des coûts mis en face de recettes. Ces groupes vont d'ici quatre à cinq ans réaliser des gains de productivité immenses. Cela représente la majorité de nos missions, aujourd'hui. Il y a des visionnaires qui ne perdent pas de vue qu'il s'agit d'un avantage stratégique. A leurs yeux, offrir des prestations autour d'Internet est un avantage compétitif qui ne se traduit pas forcément en termes de coûts, mais en termes de consolidation de leur industrie et d'augmentation de leurs parts de marché. Cela concerne notamment les biens d'équipement ou la distribution automobile.Il y a enfin quelques secteurs peu touchés jusque là, mais qui continuent à se poser des questions, ce sont des "retardataires intelligents".

Quels types de solutions techniques recommandez-vous à vos clients ?
Nous n'avons pas de prescription particulière. Nos recommandations s'adaptent au contexte spécifique de chaque client. Les éditeurs de logiciels réalisent des investissements importants pour des suites applicatives complètes, et les intégrateurs un peu moins, mais ils prennent des responsabilités sur des mises en place très rapides. Nous privilégions les logiciels déjà sophistiqués, pré-étudiés pour des domaines fonctionnels comme le CRM ou la gestion de l'authentification.

Quels sont les écueils à éviter lorsque les entreprises mettent en place leur stratégie e-business ?
Il ne faut pas inventer des clients qui n'existent pas, croire qu'il suffit de mettre une offre en ligne pour qu'il y ait un marché. Il faut éviter d'investir dans l'acquisition de clients qui ne rembourseront jamais ce qu'ils ont coûté. Mieux vaut exploiter une base de clients existante avec de nouveaux services. Il faut gérer les sites comme des entités opérationnelles classiques, avec des contraintes de management en ce qui concerne la rentabilité. Chaque investissement doit être justifié. La vraie problématique va être de définir les risques pour la nouvelle génération de services. La chose à ne pas faire, c'est de partir seul. Il faut mutualiser les risques via des alliances ou coopérations. Un fournisseur de contenu doit être à l'écoute de la technologie, et inversement un fournisseur de technologie doit bien comprendre quels contenus peuvent être des leviers. C'est un jeu de proximité, où les partenaires ne sont pas forcément intégrés au sein d'un même groupe, mais doivent être capables d'avancer ensemble en discutant vite.

Les Etats-Unis sont toujours réputés en avance sur le sujet. Y' a-t-il des exemples à suivre ?
Les Etats-Unis n'ont plus un temps d'avance, même s'ils ont démontré depuis six mois beaucoup d'initiatives en matière de B to B, et ont poussé un cran plus loin l'exploitation technologique autour de l'amélioration des coûts et de la logistique. Mais ils n'ont pas le monopole de l'innovation. Par contre, ce qui m'inquiète, c'est que la proportion de gens qui disent "ouf, je ne vais rien faire" est plus élevée en Europe.

Quels conseils donner aujourd'hui à un portail reposant sur un modèle du type média, avec pour principaux revenus les recettes publicitaires ?
A un moment, on a cru que les internautes voulaient des portails personnalisés. En fait, ils cherchent à reconnaître leur type de personnalité dans un portail plus large. Ils ne cherchent pas une boutique sur-mesure, mais un grand magasin à explorer, dont certains rayons répondent à leurs attentes personnelles. Les portails généralistes ont énormément de valeur dans ce domaine. Toutefois, les recettes publicitaires sont sur une tendance négative durable, selon moi. Si les portails n'arrivent pas à augmenter leur niveau de service, ils vont soit choisir la concentration (pour capter un trafic maximal), soit disparaître. L'enjeu pour un portail est de devenir indispensable, de ne pas rester un simple lieu de passage. Ces portails devraient devenir fournisseurs de services payants, par exemple en jouant sur la convergence téléphone mobile/PDA. Les internautes seront bientôt prêts à payer pour les services obtenus.

Les marchands peuvent-ils de leur côté développer des outils d'audience ?
On s'avance vers un modèle collaboratif, de type "centre commercial", où chaque participant doit se spécialiser en profondeur pour apporter le meilleur dans son domaine, plutôt que d'essayer de tout faire. Une des erreurs du passé était d'imaginer un type de service fermé. La gestion des marques est cruciale, il y aura trois ou quatre marques dominantes par type de prestation. Mais, si Amazon a réussi à construire une vraie marque, il n'y a pas de raison pour qu'un distributeur ne puisse pas le faire.

Est-ce qu'une start-up B to C en France peut aujourd'hui survivre ?
Soit le concept ne tient pas la route, et autant arrêter tout de suite. Soit il est à peu près sain, et il faut chercher l'ombrelle protectrice d'un rassembleur, afin de ne pas vivre dans la panique du financement. Un acteur grand public qui serait aujourd'hui déjà établi et rentable en France, pourrait se vendre tout de suite. Et très cher !

Quels sont vos sites préférés ?
La Fnac pour le shoppping en ligne, les sites de blagues pour enfants. En nombre d'heures, les sites bancaires et Boursorama.

 
Propos recueillis par Samuel Kissous

PARCOURS
 
Christophe Bédier est Directeur associé au sein du bureau de Paris de McKinsey. Il est membre actif des centres de compétences Télécom, High Tech et Aéronautique. Il a travaillé à de nombreuses reprises dans des grands groupes industriels en France, en Europe et aux Etats-Unis. Avant d'entrer chez McKinsey, il a passé six ans chez Thomson-CSF Télécommunications. Christophe Bédier est ingénieur et détient un MBA de l'Insead.

   
 
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