JDNet. Quelle approche a McKinsey de l'e-business?
Christophe Bédier.
McKinsey intervient
sur tous les aspects de la conduite des entreprises
avec une perspective d'efficacité "micro-économique".
Ce principe nous l'appliquons au domaine d'Internet,
par opposition aux cabinets de conseil qui réfléchissent
à partir d'une plate-forme technologique et disent "Voilà
ce que la technologie peut faire" ou, se concentrant
sur le côté lyrique, veulent "ré-inventer le monde"
avec de nouveaux concepts. McKinsey réalise des missions
dans le secteur du e-business depuis le milieu des années
90, sous l'impulsion de John Hagel, auteur, entre autres,
de "Net Gain". En France en 2000, 80 % de nos missions
ont concerné des grands acteurs en place. Notre
spécificité, je crois, est de raisonner en termes d'apports
concrets, pour chacun des acteurs de la chaîne de valeur.
De
quelle manière intervenez-vous auprès de vos
clients ?
Nous effectuons deux types de prestations : d'abord,
la réflexion sur le business plan, avec pour objectif
d'ancrer la "solution technologique" dans une approche
de création de valeur au niveau micro-économique car
seules survivront les propositions ayant une valeur
économique prouvée. Ensuite, le "business building"
: nous jouons le rôle d'accélérateur, en coordonnant,
par exemple, des intégrateurs, des agences et des marketers.
Quelle
est votre perception actuelle du marché ?
Une réaction négative excessive a succédé à un engouement
lui-même excessif. Aujourd'hui, on observe, d'une part,
une réflexion sur la mise en place de relations plus
profondes et plus "intelligentes" entre acteurs du B
to B au sein d'une même industrie. Mais dans beaucoup
de cas, les grands consortiums doivent encore prouver
leur légitimité et leur potentiel de valeur ajoutée
concrète. D'autre part, on voit la reprise par les acteurs
télécoms ou les opérateurs de contenu des plates-formes
que des acteurs du B to C voulaient développer. C'est
l'exemple de Vizzavi qui devient progressivement un
pôle majeur d'agrégation. Désormais, les centres de
gravité seront très probablement soit les télécoms,
avec des portails généralistes à contenu fort, soit
les opérateurs et agrégateurs de contenus.
Qui
profitera, selon vous, de cette nouvelle donne ?
Les entreprises qui
bénéficient de cash flows substantiels en provenance
d'autres activités : elles ont les reins beaucoup plus
solides pour financer et attendre le développement du
marché. On n'est plus du tout sur un mode de "cash burn-out"
à durée courte, financée par des levées de fonds
successives, mais sur un mode d'investissement ayant
la capacité d'attendre deux ou trois ans que la demande
évolue. Ces intervenants sont les nouveaux VC de l'Internet.
On peut voir de nouveaux services arriver, via des entreprises
indépendantes, mais elles subiront l'attraction des
constellations de services qui se mettent en place.
Le
désarroi semble pourtant général...
En
apparence, il ne se passe rien : le marketing ne décolle
pas, les clients ne sont pas là
En réalité, une nouvelle
vague extrêmement puissante de "nouvelle nouvelle économie"
est en train de se structurer, fondée sur des portefeuilles
d'activités à exploiter et du cash pour le faire. Aujourd'hui
la demande n'est pas mature, cependant les acteurs du
B to C vont mieux l'influencer en utilisant non seulement
leur portefeuille de contenus, mais aussi l'évolution
technologique : large bande proposée aux particuliers,
téléphone mobile, convergence des supports homme/machine.
Une démarche très pragmatique s'annonce, guidée par
des ambitions micro-économiquement justifiées avec des
prises de risque industrielles. Beaucoup de tests-marchés
auront lieu, ce que ne faisaient pas les premiers VC,
qui levaient 20 millions de dollars avant même d'avoir
un client. Des signes
positifs existent. Aujourd'hui de nombreux petits sites
de jeux en ligne ou de vidéo par exemple créent une
accoutumance pour beaucoup de transactions courantes
de la vie. Le câble, le satellite et l'ADSL doivent
ensemble développer la pénétration de l'internet à large
bande en France. La consommation chez les distributeurs
en ligne ne progresse pas aussi vite que prévu, d'accord,
mais les clients sont fidèles et ils sont en train d'acquérir
une nouvelle habitude de consommation, ce n'est pas
un simple effet de mode. Les gens qui réalisent des
transactions bancaires sont de plus en plus nombreux.
Les indices sont vraiment favorables.
Comment
définiriez vous les stratégies e-business des
grands groupes aujourd'hui ?
Je vois quatre types d'acteurs. Il y a toujours des
retardataires qui se disent "on a eu raison de ne rien
faire" et laissent aujourd'hui l'initiative internet
à leurs services informatiques. Ces groupes seront les
grands perdants de demain. Il y a ceux qui ont compris
que cela pouvait représenter un outil de productivité
intelligente, permettant de redéfinir l'interface homme-machine
ou homme-client. Ils investissent, en raisonnant sur
des coûts mis en face de recettes. Ces groupes vont
d'ici quatre à cinq ans réaliser des gains de productivité
immenses. Cela représente la majorité de nos missions,
aujourd'hui. Il y a des visionnaires qui ne perdent
pas de vue qu'il s'agit d'un avantage stratégique. A
leurs yeux, offrir des prestations autour d'Internet
est un avantage compétitif qui ne se traduit pas forcément
en termes de coûts, mais en termes de consolidation
de leur industrie et d'augmentation de leurs parts de
marché. Cela concerne notamment les biens d'équipement
ou la distribution automobile.Il y a enfin quelques
secteurs peu touchés jusque là, mais qui continuent
à se poser des questions, ce sont des "retardataires
intelligents".
Quels
types de solutions techniques recommandez-vous à vos
clients ?
Nous n'avons
pas de prescription particulière. Nos recommandations
s'adaptent au contexte spécifique de chaque client.
Les éditeurs de logiciels réalisent des investissements
importants pour des suites applicatives complètes, et
les intégrateurs un peu moins, mais ils prennent des
responsabilités sur des mises en place très rapides.
Nous privilégions les logiciels déjà sophistiqués, pré-étudiés
pour des domaines fonctionnels comme le CRM ou la gestion
de l'authentification.
Quels
sont les écueils à éviter lorsque les entreprises mettent
en place leur stratégie e-business ?
Il ne faut pas
inventer des clients qui n'existent pas, croire qu'il
suffit de mettre une offre en ligne pour qu'il y ait
un marché. Il faut éviter d'investir dans l'acquisition
de clients qui ne rembourseront jamais ce qu'ils ont
coûté. Mieux vaut exploiter une base de clients existante
avec de nouveaux services. Il faut gérer les sites comme
des entités opérationnelles classiques, avec des contraintes
de management en ce qui concerne la rentabilité. Chaque
investissement doit être justifié. La vraie problématique
va être de définir les risques pour la nouvelle génération
de services. La chose à ne pas faire, c'est de partir
seul. Il faut mutualiser les risques via des alliances
ou coopérations. Un fournisseur de contenu doit être
à l'écoute de la technologie, et inversement un fournisseur
de technologie doit bien comprendre quels contenus peuvent
être des leviers. C'est un jeu de proximité, où les
partenaires ne sont pas forcément intégrés au
sein d'un même groupe, mais doivent être capables d'avancer
ensemble en discutant vite.
Les
Etats-Unis sont toujours réputés en avance
sur le sujet. Y' a-t-il des exemples à suivre ?
Les Etats-Unis
n'ont plus un temps d'avance, même s'ils ont démontré
depuis six mois beaucoup d'initiatives en matière
de B to B, et ont poussé un cran plus loin l'exploitation
technologique autour de l'amélioration des coûts et
de la logistique. Mais ils n'ont pas le monopole de
l'innovation. Par contre, ce qui m'inquiète, c'est que
la proportion de gens qui disent "ouf, je ne vais rien
faire" est plus élevée en Europe.
Quels
conseils donner aujourd'hui à un portail reposant sur
un modèle du type média, avec pour principaux revenus
les recettes publicitaires ?
A un moment,
on a cru que les internautes voulaient des portails
personnalisés. En fait, ils cherchent à reconnaître
leur type de personnalité dans un portail plus large.
Ils ne cherchent pas une boutique sur-mesure, mais un
grand magasin à explorer, dont certains rayons répondent
à leurs attentes personnelles. Les portails généralistes
ont énormément de valeur dans ce domaine. Toutefois,
les recettes publicitaires sont sur une tendance négative
durable, selon moi. Si les portails n'arrivent pas à
augmenter leur niveau de service, ils vont soit choisir
la concentration (pour capter un trafic maximal), soit
disparaître. L'enjeu pour un portail est de devenir
indispensable, de ne pas rester un simple lieu de passage.
Ces portails devraient devenir fournisseurs de services
payants, par exemple en jouant sur la convergence téléphone
mobile/PDA. Les internautes seront bientôt prêts à payer
pour les services obtenus.
Les
marchands peuvent-ils de leur côté développer des outils
d'audience ?
On s'avance vers un modèle collaboratif, de type
"centre commercial", où chaque participant doit se spécialiser
en profondeur pour apporter le meilleur dans son domaine,
plutôt que d'essayer de tout faire. Une des erreurs
du passé était d'imaginer un type de service fermé.
La gestion des marques est cruciale, il y aura trois
ou quatre marques dominantes par type de prestation.
Mais, si Amazon a réussi à construire une vraie marque,
il n'y a pas de raison pour qu'un distributeur ne puisse
pas le faire.
Est-ce
qu'une start-up B to C en France peut aujourd'hui survivre
?
Soit le concept ne tient pas la route, et autant
arrêter tout de suite. Soit il est à peu près sain,
et il faut chercher l'ombrelle protectrice d'un rassembleur,
afin de ne pas vivre dans la panique du financement.
Un acteur grand public qui serait aujourd'hui déjà établi
et rentable en France, pourrait se vendre tout de suite.
Et très cher !
Quels
sont vos sites préférés ?
La Fnac pour le shoppping en ligne, les sites de
blagues pour enfants. En nombre d'heures, les sites
bancaires et Boursorama.
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