INTERVIEW
 
Président et fondateur
Skyrock (groupe Orbus)
Pierre Bellanger
"La révolution Internet n'a pas encore commencé"
Radio spécialisée dans le rap et le R&B, Skyrock (groupe Orbus) multiplie les initiatives en ligne. Les dernières en date sont un service de weblog (skyblog.com) et un site communautaire de vente et d'achat d'occasion (Bonbiz.net). Son président-fondateur, lui, continue à s'intéresser aux phénomènes de convergence, et vient de publier, via Internet, son dernier ouvrage "La convergence, c'est le code". Décryptage avec l'auteur. 25 mars 2003
 
          
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La convergence, c'est le code de Pierre Bellanger - 2003 - Disponible en téléchargement gratuit (format PDF)

JDN. Votre défendez l'idée de "convergence de code". Estimez-vous que les groupes média ont fait fausse route avec la "convergence des médias" ?
Pierre Bellanger. Le titre de mon ouvrage résume ma réflexion. Mon point de départ est le suivant : n'existe-t-il pas un point de vue neuf sur la théorie de la convergence, qui a été la théorie explicative de l'Internet ? Contrairement à l'idée que c'est l'accumulation des pièces du puzzle qui fait la convergence, j'explique que c'est le code informatique, le logiciel, qui est la pièce maîtresse. J'ai cherché à savoir ce qui unifie, ce qui relie, ce qui ajoute à la valeur, ce qui donne un sens à la fusion des activités audiovisuelles, des télécommunications et de l'informatique : c'est la maîtrise du code.

Quelle est l'origine de cette réflexion ?
En 1994, j'ai fondé une société commune avec France Télécom qui s'appelait France en Ligne (cf plaquette de présentation de l'époque). Je voulais développer un "AOL à la française", en m'appuyant sur un logiciel client propriétaire. France Télécom était le partenaire idéal car je pensais que le métier de la connexion au réseau était un métier d'opérateur de télécommunications. Je considérais en second lieu l'interface propriétaire comme la clé de capitalisation de la valeur. Mais, en 1995, le navigateur Netscape a connu, à raison, un essor extraordinaire. AOL était pour presque tous condamné et donc a fortiori France en Ligne. Je me suis trouvé seul pour défendre l'idée du client propriétaire et de la nécessaire maîtrise de l'interface. AOL a par la suite racheté Netscape ; tout est dit. Je veux simplement indiquer que, huit ans plus tard, cette réflexion est toujours d'actualité.

Toujours dans votre ouvrage, vous considérez Microsoft comme un "Net Etat" détenant les codes. Par conséquent, estimez-vous que Microsoft détient les rênes de l'Interrnet ?
Non. C'est plus complexe. Microsoft est une nouvelle puissance, qui apporte une dimension supplémentaire. Il y a convergence des pouvoirs entre la maîtrise du code et les prérogatives que l'on attribue à l'Etat. Je rejoins dans ce sens l'analyse de l'universitaire américain Lawrence Lessig, qui résume sa pensée sous la formule "Code is law". Très certainement, le procès anti-trust dont a fait l'objet Microsoft a été un terrain de confrontation entre le code et l'Etat. En 1997, j'avais écrit un article concernant la stratégie de Microsoft dans lequel j'indiquais que le géant informatique était en train de devenir opérateur de télécommunications, puisque la valeur migrait de la bande passante vers le le code informatique qui l'accompagne.

Le débat semble décalé. Pourquoi le relancez-vous maintenant ?
Le reflux de l'intérêt pour l'Internet, qui est en train de s'achever, est aussi irrationnel que la surexcitation qui a accompagné sa prise de conscience. A mon avis, la révolution Internet n'a pas encore commencé. Nous n'en sommes qu'aux prémices. Nous sortons d'un mouvement de balancier entre deux préjugés. Le rejet de la publicité sur Internet est en ce sens significative. Actuellement, c'est un média clairement sous-valorisé. Pourtant, il a un potentiel extraordinaire. En fin d'année dernière, nous avons fait une campagne publicitaire sur Internet pour environ 100.000 euros. Ce fut une campagne tout a fait efficace.

Comment contribuez-vous au développement du Net avec Skyrock.com ?
Nous sommes sur la bonne voie. L'Internet s'inscrit dans notre logique de première radio de nouvelle génération. En radio, nous avons une audience quotidienne de 4 millions d'auditeurs par jour qui sont des ultra-communicants. Dans l'univers interactif de Skyrock, nous développons une communauté pour faciliter les échanges à travers divers outils (forums, chats, weblogs, SMS, services Audiotel) regroupés sur une plate-forme globale. J'ai la chance de travailler avec une équipe remarquable dirigée par Frank Cheneau et qui gère tous les services interactifs en interne [à travers Téléfun, la filiale interactive du groupe, NDLR]. Ce qui nous donne une grande marge de manœuvre créative.

Vous communiquez peu sur vos résultats. Quel est votre chiffre d'affaires global ? Vos activités Web sont-elles rentables ?
En 2002, le groupe a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 23 millions d'euros pour 3 millions d'excédent brut d'exploitation. Le pôle interactif, quant à lui, a supporté d'importants investissements et devrait atteindre l'équilibre cet année.

Pourriez-vous ajouter une couche Web TV sur Skyrock.com ?
Nous ne sommes pas intéressés par une logique de flux mais plutôt à la carte. Nous cherchons à développer une politique d'exclusivité (comme la diffusion d'un clip en ligne avant sa sortie TV). Nous pouvons anticiper une équation économique à court terme mais nous ne construirons pas de porte-avion dans une flaque d'eau. L'absence structurelle de rentabilité n'est pas acceptable.

Plus largement, seriez-vous intéressé pour monter une télévision Skyrock sur un bouquet satellite ou sur un canal TNT ?
Pas du tout. Il y a tellement à faire en radio ! Les déclinaisons télé sont des divergences et non des convergences. Le cas de Fun Radio (groupe RTL) est exemplaire : au départ, Fun Radio et Fun TV devaient fonctionner de manière synchrone. Dans les faits, il a fallu que Fun TV développe ou tente de développer sa propre identité.

Vous exercez une pression auprès du CSA pour augmenter le nombre de fréquences atttribuées à Skyrock en France. Pourriez-vous trouver un paliatif en pariant sur les nouvelles technologies de diffusion numérique ?
Non. La mauvaise gestion du parc de fréquence et la discrimination administrative dont fait l'objet Skyrock constituent le seul et dernier point de blocage. Les élites encore aujourd'hui monoculturelles ont du mal à comprendre la nouvelle génération dans sa diversité. Skyrock est une véritable radio populaire. C'est un esprit qui nous anime depuis le mouvement des radios libres. Donc la discrimination technique est inacceptable. Certes, nous avons des auditeurs qui nous captent par TPS ou Canal Satellite ou par le Net. Ce sont des compléments que j'apprécie mais, en aucun cas, c'est un palliatif. La principale fonction de l'Internet n'est pas de pouvoir écouter Skyrock via un player. La faculté essentielle est de créer une relation horizontale entre les auditeurs de la communauté Skyrock et un lien fort avec notre station. C'est ce qui se passe, par exemple, avec les 10.000 SMS que nous recevons chaque jour avec le service 41SKY.

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Forum Benchmark Applications Wi-Fi
(Jeudi 15 mai 2003)

Dans votre ouvrage, vous portez une attention particulière au Wi-Fi...
Je pense que le Wi-Fi est, pour l'usage de l'Internet, une révolution aussi importante que l'apparition du Web. Cela ressemble dans un premier temps à la révolution qui a eu lieu au passage du poste radio fixe au transistor dans les années 60. L'hertzien devient la couche périphérique du réseau, il permet la mise en réseau de toutes les intelligences informatiques.

Le Wi-Fi pourrait-il faire émerger une nouvelle vague de radios libres ?
Naturellement, nous voyons apparaître des "radiosblogs". Avec ces radios, l'intégralité de la production musicale existante sera forcément diffusée au moins une fois par jour sur le réseau. C'est une véritable richesse.

Que pensez-vous des polémiques liées aux services peer-to-peer d'échanges de fichiers musicaux ?
La technologie peer to peer est remarquable. L'esprit d'échange de fichiers musicaux peut parfaitement se comprendre. Autrefois, on échangeait bien des cassettes d'enregistrement afin de faire partager la musique que l'on aime. Maintenant, avec le Net, ce principe prend une dimension aux proportions planétaires. Les maisons de disques, en position défensive, opposent frontalement le payant limité au gratuit illimité : c'est une bataille perdue d'avance. Avec la probable disparition de l'anonymat sur Internet et, par conséquent, la traçabilité des actes qu'elle implique, la partie redeviendra jouable pour les maisons de disques. Nous allons assister à l'émergence de la responsabilité pénale et judiciaire des utilisateurs compte tenu des développements de système d'identification. Simultanément, l'industrie du disque ne cesse d'améliorer ses services de musique en ligne. Un point d'équilibre sera trouvé. Il subsistera cependant une zone "underground", où les fichiers musicaux resteront en libre circulation. Mais ce sera infime par rapport à la contre-façon des CD pratiquée par certains pays. N'oublions pas enfin que les entreprises dont la valeur ajoutée est le réseau de distribution physique sont menacées par l'Internet indépendamment de tout piratage. La mise en relation directe des artistes et du public par le réseau est une légalité tout aussi redoutable pour les maisons de disques que l'illégalité éventuelle du peer-to-peer.

Personnellement, utlisez-vous ces services peer to peer ?
J'ai téléchargé Napster. La richesse de l'offre était impressionnante. Il y a tant de morceaux intéressants qui ne sont plus dans le commerce. Mais je suis tombé sur beaucoup de fichiers de mauvaise qualité. J'ai également téléchargé Kazaa mais je n'ai pas apprécié la présence simultanée de logiciels mouchards. Ce double discours, libertaire d'un côté et espionnage de l'autre, n'est pas cohérent.

Quand verra-t-on le "skyblog" de Pierre Bellanger ?
Je n'en ressens pas le besoin. Ma vie est un "skyblog". Je lis cependant des weblogs qui sont très intéressants. Par exemple, celui de l'exceptionnel auteur de science-fiction canadien Cory Doctorow [et non américain comme précédemment indiqué (NDLR, 28/03/03)]. Ce dernier m'a fait connaître la licence Creative Commons que j'ai adoptée pour mon ouvrage mis en téléchargement gratuit. Le fichier a été téléchargé plus de 2.000 fois en moins de deux mois. C'est pas mal pour un ouvrage de réflexion. Je ne fais pas de promotion, il se fait connaître par bouche à e-mail, je l'ai presque caché sur le Net comme un secret alchimique. J'échange avec les lecteurs. L'Internet est une conversation. J'ai une adresse mail auquel je répond : pierre@skymail.fr.

Avez-vous personnellement investi dans des projets Internet ?
Non. Mais on me l'a souvent proposé. Je concentre mes efforts personnels et capitalistes sur mes propres entreprises. Cela demande déjà énormément de travail.

* Lawrence Lessig est professeur de droit à Harvard Law School. Entre 1991 et 1997 et 1997, il a été professeur de l'University of Chicago Law School. Son livre Code, and Other Laws of Cyberspace est publié chez Basic Books.

 
Propos recueillis par Philippe Guerrier

PARCOURS
 
Pierre Bellanger, 45 ans, est un professionnel des médias numériques. Au début des années 80, il avait largement contribué au mouvement des radios libres (Radio Paris 80, Radio Cité Future, La Voix du Lézard). Actuel président de Skyrock, il a fondé cette station de radio en 1986 avec Filipacchi Media. En 1999, Skyrock entre dans la société de participation Orbus, détenue par Morgan Grenfell Private Equity et présidée par Pierre Bellanger. Passionné par les technologies numériques, il a créé en 1991 le service MultiRadio (premier service de radios numériques payante par câble et satellite). En 1994, il monte Contact Télévision (CTV), une chaîne de petites annonces diffusée sur le câble. On le retrouve à l'origine du service MultiMusic, diffusé sur Canal Satellite à partir de 1996. Dans les années 94-97, Pierre Bellanger multiplie les collaborations Internet avec France Télécom Multimédia : lancement du projet France en Ligne mais aussi création de guides Internet (Mirandole pour l'éducation) ou l'Internet rapide (Presto). Pierre Bellanger a également écrit des ouvrages et des articles sur les développements technologiques liés au numérique comme La Radio du Futur (éditions Armand Collin).

   
 
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