INTERVIEW
 
Consultant
François Benveniste
"Titre"
Créé en novembre 1999, le site de jouet AbCool fermait ses portes fin mars 2001 faute de capitaux suffisants (Lire l'article du JDNet du 21/02/01). Sept mois plus tard, François Benveniste, ancien PDG du site, évoque les éléments qui contribuent, selon lui, à la rentabilité des sites marchands et sur ce qu'il ferait s'il avait à relancer une entreprise comme AbCool.
08 octobre 2001
 
          

JDNet. Quand AbCool a fermé, vous étiez loin d'avoir atteint votre équilibre. Quel regard portez-vous sur cette expérience. Si c'était à refaire, comment vous y prendriez-vous ?
François Benveniste. Je referais la même chose, mais en levant 80 millions de francs au lieu de 30. Ce qui a manqué à AbCool, c'est le temps et l'argent pour tenir. Nous n'étions pas financièrement équipés pour tenir au-delà de deux ans. A l'époque, nous avions tous fait le pari de deux ans, sauf les grands groupes qui peuvent perdre encore de l'argent aujourd'hui. Or, il nous a fallu environ un an pour apprendre notre métier et commencer à nous faire connaître. Après un an et demi de vente, même si notre notre chiffre d'affaires n'a pas atteint les 10 milllions que nous espérions, il augmentait régulièrement. Après, les problèmes logistiques et d'ergonomie se résolvent. Tout cela était loin d'être parfait, mais était sur un trend d'amélioration perpétuel et assez rapide. Nous serions parvenus à l'équilibre d'exploitation et à des bénéfices substantiels dans un délai de quatre ou cinq ans. Nous aurions pu, à partir de ce moment, augmenter nos marges, car nous aurions étalé nos frais sur un nombre de commandes plus important. Dans l'équation du cybercommerce, les frais fixes ne croissent pas aussi vite que le chiffre d'affaires.

D'après votre expérience, quels sont les facteurs qui contribuent le plus à la rentabilité d'un site marchand ?
A mon avis, il y en a deux principaux. Le premier, c'est la potentialité de volume de ventes qui peut dépasser, et de loin, celui d'une boutique traditionnelle. Dès que le volume est là, le coût de la vente diminue très vite. Dans le commerce réel, ce n'est pas le cas : pour augmenter le volume de ventes, les magasins sont obligés d'augmenter leur surface. Le tout étant de générer les volumes et d'avoir le temps de le faire. C'est ce qui a manqué à AbCool.

Et le second facteur ?
Le second, c'est la qualité du produit. Ici, il existe clairement une dichotomie entre les produits qui sont vendables sur Internet et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui n'ont pas leur place sur le réseau sont ceux dont la promesse est non clairement définie, ou bien ceux dont la qualité est variable. Exemple, un camembert est un produit variable, non homogène, que l'on ne peut pas tâter sur Internet pour connaître son état et acheter celui que l'on juge bon. Quant aux produits non définis, ce sont les produits inconnus. Les articles qui ne sont pas à la mode, donc inconnus, ne sont pas vendables sur Internet. Ce qui n'est pas le cas dans le commerce traditionnel, car on peut le toucher et en discuter avec le vendeur. A l'inverse, les produits connus, non variables, comme les produits culturels, se vendent très bien sur Internet. La conclusion à laquelle j'étais arrivé chez AbCool, c'est que les sites de commerce électronique ne sont pas des commerçants, mais des distributeurs. Cela signifie qu'ils distribuent des articles connus du public. La capacité d'un site commerçant à dériver la vente est proche de zéro, alors qu'il s'agit d'une constante majeure du commerce traditionnel.

Comment expliquez-vous ce phénomène ?
J'explique cela par un concept, "la charnalité de la vente". Ce terme recouvre l'environnement de la vente, à savoir le vendeur, le rayon, l'agencement de la boutique et le choix physique qui peut-être appréhendé d'un coup d'oeil. Une dimension dont on ne peut pas rendre compte sur Internet. Il est difficile de faire instantanément la différence entre un site proposant 1 million de références et un autre qui en présente 100. Le choix est donc moins visible et les achats peuvent moins évoluer.

Doit-on en conclure que le positionnement est un facteur de moindre importance pour la rentabilité d'un site marchand ?
Tout à fait. Lorsqu'on est commerçant, la raison d'un positionnemment marketing est d'inciter les internautes à aller acheter chez soi. Pour cela, on utilise le prix, le choix ou l'environnement de la vente. Or, je ne crois pas qu'un internaute viennent chez AbCool ou sur Fnac.com pour venir acheter chez l'un ou chez l'autre. Il n'y a pas d'environnement de vente. Le choix est difficilement perceptible. Lorsqu'un internaute vient sur un site, il recherche un produit et un prix. La seule exception à ce raisonnement à la serpe, c'est lorsque l'internaute fait moins attention au prix et qu'il est attentif aux services qui accompagnent le produit. Pris en ce sens, le service peut être un positionnement pour un commerçant et contribuer à le différencier de ses concurrents.

Aux Etats-Unis, les sites de e-Commerce ont, après une période de communication de masse, fortement réduit leur coût d'acquisition client. En matière de dépense marketing, jusqu'au faut-il aller et quels sont les outils à privilégier ?
La réduction du coût d'acquisition client est effectivement un facteur important de la rentabilité des sites marchands. C'est une tendance lourde aujourd'hui, qui est intimement liée à un autre phénomène : la baisse de la concurrence entre les sites marchands. Maintenant, l'objectif est de faire descendre le coût d'acquisition client en dessous du coût d'acquisition dans le commerce traditionnel. Ce qui est théoriquement possible, car le potentiel de volume est plus important, un site web n'ayant pas de limite physique. Quant aux actions à mener, il n'y a pas de loi générale. Chez Abcool par exemple, une action de marketing direct consistant à jeter des documentations dans des boîtes aux lettres a beaucoup mieux marché qu'une publicité bandeau sur Internet. Nous avions également observé que la publicité offline marchait moins bien en terme de coût pour mille que la publicité sur Internet. Mais il faut replacer ces actions dans leur contexte. AbCool n'avait pas de marque. Nous commencions à peine à nous créer une notoriété.

A côté de ces facteurs de succès, quelles sont les erreurs à ne pas commettre ?
Il y a celles qui valent pour tous les commerçants. On trouve dans cette catégorie la mauvaise définition des produits, un environnement technique non adapté, un site mal foutu, trop lent, trop indiscret... Mais au delà, il existe également des facteurs plus fondamentaux qui sont essentiellement le temps. Je suis persuadé que beaucoup de sites peuvent être rentables, mais cela prendra quatre à six ans au lieu de un à deux ans comme on le pensait à l'origine.

Que pensez vous de la logistique ? Est ce un facteur très important dans la profitabilité d'un site marchand et comment l'appréhender ?
C'est pour moi à la fois un facteur de succès et d'insuccès. Un commerçant qui connait bien son métier et qui a bien peaufiné son système informatique et sa chaîne logistique, peut fonctionner sans stock. Mais commencer sans stock n'est pas un conseil à donner à un e-commerçant débutant. Au fil du cycle d'apprentisage et de la croissance de ses volumes, il peut progressivement alléger ses stocks.

Quels sont les sites qui, selon vous, seront le plus rapidement rentables sur Internet ?
Le site sur lequel il n'y a pas d'horreur, ni au niveau service, ni au niveau logistique, ni au niveau Web. Les sites qui ont des produits invariables et connus. Ceux qui ont le temps de tenir suffisamment lontemps pour que la clientèle afflue en masse et que les effets de réduction de coût fonctionnent à plein, de façon à générer des marges plus importantes.

Que pensez-vous du fait que la plupart des sites rentables sont des petits sites ?
Je pense que si on analyse les facteurs de succès de ces sites, on doit retrouver à peu près les éléments que je viens de citer.

Dans ce paysage, quelle est la situation des "pure players" ?
Les pure players ont une caractéristique : ils n'ont pas le temps d'attendre. Sauf Amazon, et encore, on peut se poser la question. Mais sinon, un pure player peut être aussi bon que n'importe lequel des marchands traditionnels. Il a également contre lui le fait qu'il n'a pas de marque. Ce qui n'est pas toujours vrai. Certains comme eBay ou Amazon sont en passe de se constituer des marques.

 
Propos recueillis par Anne-Laure Béranger

PARCOURS
 
Agé de 54 ans, François Benveniste est un des pionniers du Net français. Licencié en droit et diplômé de gestion de l'université de Paris-Dauphine, il a occupé les postes de directeur marketing dans des grands groupes internationaux (Philip Morris France, Pathé Marconi, Groupe Thomson, Apple France). Il a ensuite pris en charge les activités de sponsoring international de Marlboro (Groupe Philip Morris) puis les activités de droits dérivés en Europe chez Warner Bros. En 1993, il fonde une des premières sociétés Internet en France, Calvacom (fournisseur d'accès, hébergeur et concepteur de sites). En 1998, François Benveniste devient PDG de PSINet France, où il s'occupe essentiellement de l'activité conception et hébergement de sites webs (Calvacom Web Design). En 1999, il crée AbCool, dont la fermeture intervient fin mars 2001.

   
 
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