JDNet. Quand AbCool a fermé, vous étiez
loin d'avoir atteint votre équilibre. Quel regard
portez-vous sur cette expérience. Si c'était
à refaire, comment vous y prendriez-vous ?
François Benveniste.
Je referais
la même chose, mais en levant 80 millions de francs
au lieu de 30. Ce qui a manqué à AbCool,
c'est le temps et l'argent pour tenir. Nous n'étions
pas financièrement équipés pour
tenir au-delà de deux ans. A l'époque,
nous avions tous fait le pari de deux ans, sauf les
grands groupes qui peuvent perdre encore de l'argent
aujourd'hui. Or, il nous a fallu environ un an pour
apprendre notre métier et commencer à
nous faire connaître. Après un an et demi
de vente, même si notre notre chiffre d'affaires
n'a pas atteint les 10 milllions que nous espérions,
il augmentait régulièrement. Après,
les problèmes logistiques et d'ergonomie se résolvent.
Tout cela était loin d'être parfait, mais
était sur un trend d'amélioration perpétuel
et assez rapide. Nous serions parvenus à l'équilibre
d'exploitation et à des bénéfices
substantiels dans un délai de quatre ou cinq
ans. Nous aurions pu, à partir de ce moment,
augmenter nos marges, car nous aurions étalé
nos frais sur un nombre de commandes plus important.
Dans l'équation du cybercommerce, les frais fixes
ne croissent pas aussi vite que le chiffre d'affaires.
D'après
votre expérience, quels sont les facteurs qui
contribuent le plus à la rentabilité d'un
site marchand ?
A mon avis, il y en a deux principaux. Le premier, c'est
la potentialité de volume de ventes qui peut
dépasser, et de loin, celui d'une boutique traditionnelle.
Dès que le volume est là, le coût
de la vente diminue très vite. Dans le commerce
réel, ce n'est pas le cas : pour augmenter le
volume de ventes, les magasins sont obligés d'augmenter
leur surface. Le tout étant de générer
les volumes et d'avoir le temps de le faire. C'est ce
qui a manqué à AbCool.
Et
le second facteur ?
Le second, c'est
la qualité du produit. Ici, il existe clairement
une dichotomie entre les produits qui sont vendables
sur Internet et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui n'ont
pas leur place sur le réseau sont ceux dont la
promesse est non clairement définie, ou bien
ceux dont la qualité est variable. Exemple, un
camembert est un produit variable, non homogène,
que l'on ne peut pas tâter sur Internet pour connaître
son état et acheter celui que l'on juge bon.
Quant aux produits non définis, ce sont les produits
inconnus. Les articles qui ne sont pas à la mode,
donc inconnus, ne sont pas vendables sur Internet. Ce
qui n'est pas le cas dans le commerce traditionnel,
car on peut le toucher et en discuter avec le vendeur.
A l'inverse, les produits connus, non variables, comme
les produits culturels, se vendent très bien
sur Internet. La conclusion à laquelle j'étais
arrivé chez AbCool, c'est que les sites de commerce
électronique ne sont pas des commerçants,
mais des distributeurs. Cela signifie qu'ils distribuent
des articles connus du public. La capacité d'un
site commerçant à dériver la vente
est proche de zéro, alors qu'il s'agit d'une
constante majeure du commerce traditionnel.
Comment
expliquez-vous ce phénomène ?
J'explique cela par un concept, "la charnalité
de la vente". Ce terme recouvre l'environnement
de la vente, à savoir le vendeur, le rayon, l'agencement
de la boutique et le choix physique qui peut-être
appréhendé d'un coup d'oeil. Une dimension
dont on ne peut pas rendre compte sur Internet. Il est
difficile de faire instantanément la différence
entre un site proposant 1 million de références
et un autre qui en présente 100. Le choix est
donc moins visible et les achats peuvent moins évoluer.
Doit-on
en conclure que le positionnement est un facteur de
moindre importance pour la rentabilité d'un site
marchand ?
Tout à fait. Lorsqu'on est commerçant,
la raison d'un positionnemment marketing est d'inciter
les internautes à aller acheter chez soi. Pour
cela, on utilise le prix, le choix ou l'environnement
de la vente. Or, je ne crois pas qu'un internaute viennent
chez AbCool ou sur Fnac.com pour venir acheter chez
l'un ou chez l'autre. Il n'y a pas d'environnement de
vente. Le choix est difficilement perceptible. Lorsqu'un
internaute vient sur un site, il recherche un produit
et un prix. La seule exception à ce raisonnement
à la serpe, c'est lorsque l'internaute fait moins
attention au prix et qu'il est attentif aux services
qui accompagnent le produit. Pris en ce sens, le service
peut être un positionnement pour un commerçant
et contribuer à le différencier de ses
concurrents.
Aux
Etats-Unis, les sites de e-Commerce ont, après
une période de communication de masse, fortement
réduit leur coût d'acquisition client.
En matière de dépense marketing, jusqu'au
faut-il aller et quels sont les outils à privilégier
?
La réduction du coût d'acquisition client
est effectivement un facteur important de la rentabilité
des sites marchands. C'est une tendance lourde aujourd'hui,
qui est intimement liée à un autre phénomène
: la baisse de la concurrence entre les sites marchands.
Maintenant, l'objectif est de faire descendre le coût
d'acquisition client en dessous du coût d'acquisition
dans le commerce traditionnel. Ce qui est théoriquement
possible, car le potentiel de volume est plus important,
un site web n'ayant pas de limite physique. Quant aux
actions à mener, il n'y a pas de loi générale.
Chez Abcool par exemple, une action de marketing direct
consistant à jeter des documentations dans des
boîtes aux lettres a beaucoup mieux marché
qu'une publicité bandeau sur Internet. Nous avions
également observé que la publicité
offline marchait moins bien en terme de coût pour
mille que la publicité sur Internet. Mais il
faut replacer ces actions dans leur contexte. AbCool
n'avait pas de marque. Nous commencions à peine
à nous créer une notoriété.
A
côté de ces facteurs de succès,
quelles sont les erreurs à ne pas commettre ?
Il y a celles qui valent pour tous les commerçants.
On trouve dans cette catégorie la mauvaise définition
des produits, un environnement technique non adapté,
un site mal foutu, trop lent, trop indiscret... Mais
au delà, il existe également des facteurs
plus fondamentaux qui sont essentiellement le temps.
Je suis persuadé que beaucoup de sites peuvent
être rentables, mais cela prendra quatre à
six ans au lieu de un à deux ans comme on le
pensait à l'origine.
Que
pensez vous de la logistique ? Est ce un facteur très
important dans la profitabilité d'un site marchand
et comment l'appréhender ?
C'est pour moi à la fois un facteur de succès
et d'insuccès. Un commerçant qui connait
bien son métier et qui a bien peaufiné
son système informatique et sa chaîne logistique,
peut fonctionner sans stock. Mais commencer sans stock
n'est pas un conseil à donner à un e-commerçant
débutant. Au fil du cycle d'apprentisage et de
la croissance de ses volumes, il peut progressivement
alléger ses stocks.
Quels
sont les sites qui, selon vous, seront le plus rapidement
rentables sur Internet ?
Le site sur lequel il n'y a pas d'horreur, ni au niveau
service, ni au niveau logistique, ni au niveau Web.
Les sites qui ont des produits invariables et connus.
Ceux qui ont le temps de tenir suffisamment lontemps
pour que la clientèle afflue en masse et que
les effets de réduction de coût fonctionnent
à plein, de façon à générer
des marges plus importantes.
Que
pensez-vous du fait que la plupart des sites rentables
sont des petits sites ?
Je pense que si on analyse les facteurs de succès
de ces sites, on doit retrouver à peu près
les éléments que je viens de citer.
Dans
ce paysage, quelle est la situation des "pure players"
?
Les pure players ont une caractéristique : ils
n'ont pas le temps d'attendre. Sauf Amazon, et encore,
on peut se poser la question. Mais sinon, un pure player
peut être aussi bon que n'importe lequel des marchands
traditionnels. Il a également contre lui le fait
qu'il n'a pas de marque. Ce qui n'est pas toujours vrai.
Certains comme eBay ou Amazon sont en passe de se constituer
des marques.
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