INTERVIEW 
 
Patrick Devedjian
Ministre délégué à l'Industrie
Patrick Devedjian
"Le cinéma risque d'affronter sur Internet les mêmes problèmes que le disque"
Musique en ligne, prix des SMS, création des MVNO, TNT... Ces derniers mois, le ministre délégué à l'Industrie a multiplié les prises de position dans le domaine des nouvelles technologies. Et de futurs chantiers s'annoncent déjà.
(04/10/2004)
 
JDN. Quel a été votre rôle dans la création de MVNO en France ?
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Ministère de l'industrie
Patrick Devedjian. Mon rôle s'est limité à inciter les opérateurs mobiles à accueillir des MVNO. Nous ne sommes pas dans un état dirigiste. Cependant, le pouvoir ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. On a souvent critiqué l'Etat français, le qualifiant d'autoritaire et de centralisé. Il est vrai, cela a inculqué quelques habitudes culturelles... Et quand un ministre se dit préoccupé, on l'écoute. Il s'agit d'ensemencer une nouvelle culture dans ce secteur, nous en sommes un peu à un stade expérimental. Finalement, nous avons réussi à amorcer la pompe. D'ailleurs, j'ai cru comprendre que certains opérateurs mobiles jusque-là farouchement opposés aux MVNO tendent à changer d'opinion.

Vous avez brocardé une entente tacite entre les trois opérateurs mobiles sur les prix des communications. Le conseil de la Concurrence doit statuer sur ce point avant la fin de l'année au terme d'une préocédure qui aura duré plus de deux ans. Ne trouvez-vous pas ça un peu long ?
Je n'ai jamais parlé d'entente. J'ai seulement constaté que les prix étaient à peu près les mêmes chez tous les opérateurs mobiles, et qu'ils étaient élevés. D'ailleurs, vous avez sans doute remarqué que les prix avaient baissé depuis. S'agissant des délais qui sont nécessaires au traitement de ce genre de plainte, l'Etat n'y peut rien. Le problème est général à tout le fonctionnement de la justice en France. Elle est trop lente, là comme ailleurs. Quand aux SMS, l'Etat a mis du temps à réagir. Les prix élevés ont duré assez longtemps pour que les opérateurs amortissent leurs investissements. Ils ont certes baissé, mais pas suffisamment. Ce n'est qu'un début.

Vous prônez une baisse des tarifs de la musique vendue en ligne. Mais à 0,99 euro le titre, les distributeurs se plaignent de réaliser une marge très faible, une grande partie du prix étant reversé aux éditeurs. Quelle est votre position ?
Je trouve les prix encore trop élevés. Je note en passant que 0,99 euro, c'est encore 20 % plus cher que les 0,99 dollar pratiqués aux Etats-Unis. Cela prouve donc qu'il y a 20 % de marge possible. Et si les éditeurs de musique prennent une marge trop importante, alors ils doivent revoir leur marge à la baisse. Il est en effet indispensable de proposer des prix attractifs pour voir apparaître une offre légale abondante et attractive. Sur une plate-forme légale, il n'y a pas de risque pénal, la qualité des fichiers est supérieure, il y a une bonne vitesse de transmission, et aucun risque de virus. L'autre problème vient du fait que les titres de bas de catalogue, qui sont amortis depuis longtemps, sont vendus au même prix que les nouveautés. Je souhaite que les offres évoluent, et que les catalogues s'enrichissent. A ce jour, on trouve sur ces plates-formes très peu de musique classique ou de jazz.

L'UFC Que Choisir et de nombreux distributeurs comme la Fnac ou Virgin dénoncent l'incompatibilité entre les différents formats de fichiers musicaux vendus par les distributeurs (Apple, Sony, Microsoft) et les baladeurs numériques. Que comptez-vous faire pour régler ce problème qui porte atteinte à l'industrie et la libre concurrence ?
Soyons clair, je suis pour l'interopérabilité, c'est un enjeu important. Les constructeurs de baladeurs, en rendant incompatibles leur différent système, portent une responsabilité évidente. On ne peut pas à la fois reprocher à des millions d'internautes de se procurer des titres musicaux sur Internet en toute illégalité lorsque les moyens légaux sont chers, difficilement accessibles, peu ergonomiques, et en plus, non compatibles entre eux. C'est pourquoi nous avons commandé un rapport au professeur Kahn afin de considérer les conditions de faisabilité d'une telle interopérabilité. Ce rapport devrait être rendu ces prochains jours. Nous pourrons alors étudier la question en détails.

Pourquoi Bercy a-t-il ressenti le besoin de chapeauter la charte anti-piraterie entre FAI et éditeurs ?
Notre action a eu un grand avantage : elle a permis à ces acteurs de se mettre autour d'une table pour dialoguer directement, sans passer par l'AFP. Cette charte marque le commencement d'une déontologie volontaire et commune à ces industries pour lutter ensemble contre le piratage. Il a fallu trouver un terrain d'entente entre les FAI, qui ne voulaient pas être tenu responsables du téléchargement illégal en France, et les éditeurs, qui voulaient interdire le peer-to-peer en France. Ce fut difficile, mais nous avons réussi.

Je continue à pousser le Mpeg4."
Pourquoi l'industrie du cinéma, qui est également victime du téléchargement illégal, n'était pas présente autour de la table ?
Il est vrai que l'industrie du cinéma connaît les mêmes problèmes. Elle est encore préservée du fait de la taille des fichiers à télécharger. Mais les usages qui s'instaurent avec le développement du haut débit vont changer la donne, le cinéma risque d'affronter sur Internet les mêmes problèmes que le disque. Et les professionnels s'en inquiètent, non sans raison. Pour eux, l'effet risque d'être dévastateur. Le préjudice est bien plus important lorsqu'il s'agit d'un film que lorsqu'il s'agit d'un titre ou d'un album. L'industrie du cinéma aurait donc intérêt à instaurer un réflexe culturel pour habituer les internautes à acheter les films en ligne. Dans ce but, il ne faudrait pas qu'elle tarde de trop à proposer des plate-formes de vente ou de location de films sur Internet. Je pense que la signature d'une charte entre FAI et producteurs, sur le modèle de ce qui a été fait pour la musique, pourrait prochainement voir le jour.

N'avez-vous pas l'impression que la guerre entre partisans de Mpeg2 et de Mpeg4 revenait à une guerre entre pro et anti TNT ? Vous avez vous-même poussé à l'adoption du Mpeg4...
Vous n'attendez tout de même pas d'un ministre délégué à l'Industrie qu'il repousse le progrès technique ! L'industrie du Mpeg2 est en Chine, celle du Mpeg4 est en France. Nous n'avions aucun intérêt à favoriser le Mpeg2. Je continue donc à pousser le Mpeg4. D'ailleurs, les récents événements ont montré que j'ai bien fait. On m'opposait il y a quelques mois que ces standards n'étaient pas compatibles. Pourtant, on voit aujourd'hui apparaître des décodeurs évolutifs qui permettront de gérer les deux technologies. Au final, la TNT se lancera bien en mars 2005, et la France sera prête à passer à la TV haute définition avec l'adoption du Mpeg4. Ma seule motivation est d'ouvrir la porte à l'innovation.

L'Association des Régions de France s'est plainte, la veille du dernier CIADT, de l'absence d'aide directe de l'Etat pour mener ses projets de construction de réseaux. Elle évoque un besoin immédiat d'un milliard d'euros. Le CIADT a dit souhaiter un "plan d'action gouvernemental". Quelle est votre position ?
Ils n'ont pas besoin de ça. D'ailleurs, ils n'ont pas utilisé, ni même programmé, les 100 millions d'euros mis à leur disposition lors du CIADT de décembre 2003. Il y aura six millions d'abonnés haut débit à la fin de l'année. La France est numéro 1 dans le monde pour la progression du haut débit, et sans subventions de l'Etat. France Télécom m'a confirmé son engagement d'équiper en ADSL l'ensemble des 12.000 répartiteurs situés sur le territoire national avant fin 2006, toujours sans subventions.

Dans les régions, les accords de France Télécom avec les départements dans le cadre de la convention "départements innovants" apportent une couverture haut débit quasi-totale de la population, et cela, sans que les départements n'investissent un euro. Par exemple, seuls 2 % de la population ne sont pas couverts dans les Alpes-Maritimes. Je note d'ailleurs qu'aucune convention n'a été remise en cause par l'un des concurrent de France Télécom. Une seule me paraît problématique. Une délibération du Conseil Général du Tarn-et-Garonne, évoque une contribution financière versée à France Télécom. J'ai demandé à mes services de vérifier qu'il ne s'agissait pas d'une subvention à France Télécom, ce qui serait évidemment condamnable.

Bercy a beaucoup communiqué sur sa volonté de voir les prix des produits de grande consommation baisser. Vous-même vous prônez la baisse de prix sur les mobiles, la musique en ligne. Est-ce compatible avec une politique visant à lutter contre la délocalisation des entreprises françaises ?
C'est une bonne politique. Cela a permis de relancer la consommation à l'inverse de l'Italie, où la consommation est atone. Je remarque ainsi que nous avons le meilleur taux de croissance de la zone euro avec 2,5 points. Une entreprise qui baisse ses prix est une entreprise qui est plus perméable à la consommation des bas salaires. Il faut trouver des niveaux de prix attractifs et améliorer la compétitivité des entreprises françaises à l'étranger.

Lors du dernier CIADT, le gouvernement s'est dit volontaire au développement de "pôles de compétitivité". Quelle définition donneriez-vous à ce terme ?
Ce sont des zones d'activité où des entreprises, des laboratoires de recherche, des universités, travaillent ensemble, au quotidien. Je pense par exemple au plateau de Saclay, où l'école Polytechnique a noué un partenariat avec Thalès et Alcatel pour créer une chaire d'ingénierie dans les systèmes complexes. Ce partenariat va d'ailleurs bientôt s'étendre au CEA et au CNRS. L'Etat doit stimuler les collaborations entre ces différents univers afin de créer un climat propice à la multiplication de ces coopérations.

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Comment protéger les entreprises françaises détenant des technologies dîtes "sensibles", à l'instar de Gemplus, dont les employés ont dénoncé le risque d'un transfert de technologie outre-Atlantique ?
On regarde la structure du capital, et on fait attention à son évolution. Et si le besoin s'en fait ressentir, on peut essayer de trouver des solutions quand un des actionnaires cherche à se séparer de ses participations.
 
 
Propos recueillis par Frantz GRENIER, JDN

PARCOURS
 
 
Patrick Devedjian, est né le 26 août 1944 à Fontainebleau.

Titulaire d'une licence en droit, il est diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et avocat au Barreau de Paris depuis 1970.

Maire d'Antony de 1983 au 30 mai 2002, il est aujourd'hui président de la communauté d'agglomération des Hauts-de-Bièvre, vice-président du Conseil général des Hauts-de-Seine, maire-adjoint d'Antony, et secrétaire départemental de la Fédération UMP des Hauts-de-Seine.

Avant d'être ministre délégué à l'industrie, il fut ministre délégué aux libertés locales de mai 2002 à mars 2004

   
 
 
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