Quel bilan faites-vous de l'année
2003 ? Sur le marché de la high tech et dans le
capital-investissement ?
François Dubrule 2003 se résume en deux points : d'une
part les investisseurs, qu'ils soient privés ou
institutionnels, se sont concentrés
sur des sociétés cotées plus que
sur des sociétés non cotées ; d'autre
part, il y a eu une globale pénurie de projets directement
liés aux nouvelles technologies et particulièrement
à Internet. Si on part d'une analyse plus macro-économique,
2003 est une année pendant laquelle l'effervescence
des marchés financiers américains a été
assez bien relayée par les valeurs de croissance
au Nasdaq puis en France. La reprise de croissance constatée
en fin d'année aux US et en Europe est due pour
partie à des dépenses en technologies liés
à la défense
L'effet boule de neige
qu'elles ont créé s'est traduit non seulement
par un accroissement du carnet de commandes des sociétés,
mais aussi par une dynamique européenne positive.
Les SSII comme Arès, Business et Décisions,
Devoteam ou Aubay ont beaucoup profité de ces rebonds.
Jusqu'à présent
les Etats-Unis avaient toujours une longueur d'avance
sur l'Europe. Pour cette reprise, on a l'impression
qu'elle s'est déclarée en même temps
des deux côtés de l'Atlantique. L'écart
entre les deux continents serait-il en train de se réduire
?
Il est vrai que la reprise a été simultanée
en Europe et aux Etats-Unis. Mais au-delà du
fait que nous avons rattrapé notre retard de
croissance, l'intervention des Etats-Unis en Irak a
aussi contribué à la reprise. Et je pense
que le bénéfice de la France aura été
meilleur en n'étant pas partie prenante dans
le conflit.
Vous
citez la pénurie de projets comme une caractéristique
remarquable de 2003. Comment l'expliquez-vous ?
Historiquement, en 2000-2001, nous avons eu une constellation
de projets de qualité médiocre pour la
plupart. En 2002-2003, il y a eu peu de projets de création,
mais les quelques-uns créés étaient
souvent de qualité. Mais s'il y a eu moins de
projets directement Internet, c'est parce que de nombreuses
sociétés ont été créées
autour de la construction des infrastructures Internet
(qui englobent les services ou le contenu) ; ainsi,
après 2000-2002, il était difficile de
trouver un segment de marché disponible dans
la thématique commerce/contenu. Pour Angel
Invest, cette période a été très
dure puisque c'est le domaine dans lequel nous sommes
le plus actif.
Comment doit évoluer
le marché selon vous ?
Aujourd'hui un opérateur mobile, Orange, SFR
ou Bouygues, a le choix parmi 2 500 producteurs de contenu.
Ce chiffre montre bien que le
marché doit à présent se consolider.
D'autre part, dans les métiers de l'Internet,
la donne est en train de changer avec le développement
de nouveaux supports de diffusion. Nous sommes passés
de l'écran de PC à des écrans de
mobiles dont le contenu est beaucoup plus sélectif.
Nous sommes revenus dans un cycle dans lequel on refait
de nouvelles infrastructures et on réadapte les
contenus. Aussi je pense qu'il y a plus à attendre
en terme d'infrastructures qu'en terme de création
de nouveaux projets.
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Quand
une entreprise montre des signes de faiblesses,
il faut jeter l'éponge." |
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Cela veut dire qu'en 2003
-et en 2004 - les sociétés d'investissements
se sont contentées de re financer les sociétés
de leur portefeuille ?
Aussi performante qu'une entreprise soit sur son marché,
ce qu'on lui demande aujourd'hui c'est d'entrer dans
une phase de consolidation. Il n'y a plus de refinancement
pour le refinancement
ce qui pouvait encore être
le cas en 2002-2003, où l'on persistait à
miser sur un acteur qui n'avait pas encore fait ses
preuves. Maintenant c'est différent. Quand l'acteur
que l'on a dans le portefeuille commence à montrer
quelques signes de faiblesses, il faut être honnête
et jeter l'éponge. Aujourd'hui ceux qui gagnent
ce sont ceux qui sont arrivés à l'équilibre,
voire qui dégagent un bénéfice
; ce sont eux que nous devons supporter.
Quels ont été
vos investissements en 2003 ?
Notre année 2003 se solde par un bilan mitigé
puisque nous n'avons financé aucun nouveau projet.
Pour une raison simple : notre cible est située
dans l'e-commerce et les médias Internet et nous
n'avons pas trouvé de projet satisfaisant dans ces deux
métiers. En 2003, nous avons vu 450 dossiers
dans toutes les thématiques, en biotech, médical,
software, etc
. 80 % étaient des dossiers
de refinancements dans lesquels nous n'avions pas forcément
envie d'entrer. A côté, un certain nombre
de dossiers relevaient d'opérations de reengineering,
des projets de retournements. Il s'agit de sociétés
qui manifestent des perspectives intéressantes
mais qui sont dans une situation très délicate.
Elles peuvent donc être rachetées auprès
d'un acteur industriel pour très peu ; et il
est possible de leur faire passer le cap avec assez
peu de fonds et un petit peu de méthode, ce qui
est aussi notre travail.
Au final...
Au final, nous avons réinvesti
2 millions d'euros répartis dans cinq sociétés
du portefeuille. 75% du montant l'ont été
dans des entreprises du e-commerce, c'est-à-dire
2foismoinscher, ConsoTel, FilmBox, Bebloom et Directinet.
Côté média, notre portefeuille compte
Newsport, Relaxnews et CanalChat. Nous avons aussi investi
dans un acteur de l'ASP (hébergement de services),
Khawa.
Est-ce la fin d'un premier cycle
d'investissement pour Angel-Invest ? Dans ce cas, qu'elle
sera la seconde étape ?
Cela traduit en effet la fin d'une première phase
d'investissement dans la vie d'Angel Invest, qui a une
durée de dix ans. Il est nécessaire de
fermer le fonds en terme de nouveaux investissements.
Nous nous étions laissé 2003 pour faire
encore quelques nouveaux projets, et le fait que nous
n'ayons pas sous la main assez de dossiers nous a amené
à mettre fin par anticipation à cette
première période d'investissement. Pendant
les six ans qui viennent nous allons investir uniquement
dans les sociétés de notre portefeuille,
dans l'objectif de les préparer à se consolider, à être cédées
ou à s'introduire en Bourse.
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A la fermeture du fonds, nous espérons un TRI d'environ 10 %" |
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Quel est votre taux de rendement
interne ?
Depuis deux ans, notre TRI est élogieux puisque
nous avons vendu deux sociétés sur lesquelles
nous avons fait des plus-values. Sur un an, il est de
30%. En revanche, notre TRI à quatre ans a été
très pénalisé par des augmentations
de capital que nous avons réalisées sur
des bases beaucoup plus faibles que celles sur lesquelles
nous étions rentrés. Par conséquent
le TRI est très proche de 0.
Et pour les prochaines années
?
Dans six ans, à la fermeture du fonds, nous prévoyons
de verser des liquidités à nos actionnaires.
Nous avons déjà procédé
à une première distribution de cash au
mois de janvier dernier, quatre ans après la
création d'Angel Invest. Nous avons versé
à chaque actionnaire 20% de la somme investie
initialement. Dans six ans, nous complèterons
par une redistribution finale, et à ce moment-là,
nous espérons un TRI d'environ 10%.
Quelles étaient les
sorties de l'année 2003 ?
Il y a deux raisons pour lesquelles il faut vendre une
société. Soit on nous propose un montant
très important, soit le manager ne veut plus
continuer. En 2003, nous sommes sortis de deux sociétés
pour ces deux raisons. Le premier cas, en avril, était
celui de la société LeBonKado ; l'autre
était Penbase, une entreprise qui n'a pas su
s'imposer sur le marché et qui a été
vendue à un consortium belge comprenant Belgacom et
Siemens.
Quelles vont être
les sorties 2004 ?
Nous fondons tous nos espoirs sur quatre sociétés : 2foismoinscher, Directinet, Relaxnews et Newsport. Mais aucune sortie n'est encore prévue. A l'opposé, Filmbox et Canalchat ont d'assez
mauvais résultats, ce sont des sociétés
qui n'auront pas su s'imposer sur le marché,
nous n'allons pas continuer avec elles. Il y a des sociétés
qui sont des market leaders pour lesquelles la
Bourse est un moyen formidable pour lever beaucoup de
capitaux, communiquer et augmenter la crédibilité
vis-à-vis des clients. Toutes les sociétés
n'ont pas forcément besoin de cela. Directinet
est en revanche un vrai market leader sur son
marché de bases de données et de marketing
direct on line. Il aura sans doute des occasions d'entrer
en Bourse dans un avenir proche. Il est aussi fort possible
que nous sortions de la société Khawa
cette année.
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Kelkoo
est un outil qui dégage la magie et
la puissance d'Internet." |
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Comment voyez-vous 2004
après l'introduction d'Iliad et les perspectives
d'introductions de Rue du commerce et de Kelkoo ?
Malgré une introduction réussie d'Iliad
et un contexte de reprise de la crédibilité
des entreprises Internet, elle n'a pas été
suivie par une confirmation de reprise. Il y a encore
un manque de confiance de la part des investisseurs
professionnels. D'autre part, autant Kelkoo est un outil
puissant, né et exploité de façon
exponentielle grâce à Internet, autant
je reste sceptique sur Rueducommerce. Certes, il enregistre
de bons résultats et son modèle économique
est prouvé, mais je ne crois pas que Rueducommerce
soit un exemple rassurant sur ce modèle-là.
Que pensez-vous de la place
que prennent les FCPI dans le capital-investissement
?
Il y aurait entre 500 millions et un milliard d'euros
dans ces FCPI destinés à être investis
dans des entreprises innovantes. C'est-à-dire
qu'il y a beaucoup plus d'argent disponible que de projets
à capitaliser. Cela implique que ceux qui sont
financés le sont sur des bases de valorisation
anormales et peu regardées par les FCPI qui ont
un besoin important d'investir. Cela maintient de façon
artificielle des valorisations élevées
d'entreprise alors que les résultats ne sont
pas forcément là
et c'est probablement
un phénomène qui nous a pénalisé
en 2003. D'autre part, je pense qu'il faudrait étendre
les critères d'éligibilité aux
entreprises qui font travailler des sociétés
qui pourraient bénéficier d'un label Anvar.
Etes-vous business angel
à titre personnel ? Si oui dans quels projets
?
Non, c'est une question de déontologie. Je ne
peux être qu'à 100% sur Angel Invest.
Dans quelle société
auriez-vous aimé investir ?
Iliad
et tous les fournisseurs d'accès
en général. Et je mettrais même
au même niveau Bouygues Telecom car ils sont basés
sur le même modèle économique d'abonnement,
qui s'adresse à une clientèle nouvelle
avec un produit nouveau. Que ce soit un fournisseur
d'accès télécom ou Internet, le
contenu est différent mais la problématique
est la même. Ce sont ces modèles-là
qui sont les plus tentants.
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