INTERVIEW 
 
Eric Freyssinet
Responsable du département informatique et électronique
IRCGN
Eric Freyssinet
"160 personnes luttent quotidiennement contre la cybercriminalité"
Le ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin, a annoncé l'augmentation des effectifs pour la lutte contre la cybercriminalité d'ici à 2007. Eric Freyssinet, responsable du département informatique à l'IRCGN, dresse un état des lieux des moyens disponibles.
(09/09/2004)
 
JDN. Quand l'IRCGN (Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale) a-t-il été créé et dans quel but ?
  Le site
La gendarmerie nationale

Eric Freyssinet. Le département informatique électronique a été créé en 1992. L'IRCGN a pour sa part été créé dès 1987. Son but premier était d'analyser des données intégrées dans des ordinateurs dans le cadre d'enquêtes judiciaires. A l'époque il s'agissait souvent d'affaires économiques et financières, concernant des comptes d'entreprises notamment, ou d'affaires de piratage de logiciels au sens de la copie illicite. Plus globalement, l'institut récolte des éléments de preuves au cours des enquêtes, en particulier dans le secteur informatique. Nous travaillons sur la preuve numérique à partir des supports informatiques, des réseaux informatiques et de télécommunications, les réseaux de téléphonie mobile par exemple. Enfin, nous étudions les cartes à puce, cartes bancaires, les émetteurs récepteurs utilisés par les délinquants, les GPS dans les voitures, l'électronique automobile en général, etc.

Comment une preuve numérique se constitue-t-elle et quel type de procédure est conduite ensuite ?
La preuve numérique est constituée d'un ensemble d'éléments matériels sous forme numérique : les données sur le disque dur du suspect ou d'une victime, sur une carte SIM retrouvée lors d'une perquisition, l'adresse IP trouvée dans une enquête... Les témoins sont là pour apporter un éclairage, les experts apportent une explication. Les déclarations des suspects sont un dernier élément probant. L'exploitation de la preuve numérique commence par des enquêtes de terrain, par exemple un enquêteur saisi d'une affaire d'achat frauduleux par carte bancaire en ligne qui fait le rapprochement avec la banque pour déterminer l'adresse IP du fraudeur. Pour le piratage, il s'agit d'analyser le disque dur de l'ordinateur d'un suspect. Depuis le mois de juillet, les experts de la cellule de veille Internet ont reçu une habilitation d'officier de police judiciaire, ce qui leur permet de faire les premiers actes d'enquête, par exemple des réquisitions auprès des fournisseurs d'accès dans le cas de fichiers contrefaits mis à disposition en ligne. Ils disposent donc de l'adresse IP d'une personne suspecte. C'est une première étape d'identification des suspects potentiels. Puis la suite de l'enquête a lieu au niveau local.

Comment s'organise le travail de lutte contre la cybercriminalité au sein du pôle technique de l'IRCGN ?
Les personnels de la cellule de veille réalisent une surveillance, notamment des chat-rooms, pour prévenir la protection des mineurs. Ils font d'abord des constatations : déterminer, dans le cas d'un acte cybercriminel, s'il a techniquement eu lieu en France, si l'acte s'adresse à un public français ou s'il a un rapport avec une entreprise française qui héberge son site à l'étranger, par exemple. Le but étant de trouver un lien avec la France, puisque c'est notre priorité. Pour la veille sur Internet, les diffusions par les utilisateurs de contenus pédopornographiques en direct sur Internet sont les plus répandues. Mais le courrier électronique est également utilisé. Dans ce cas, nous nous infiltrons dans ces groupes d'échanges. Ou encore, de fil en aiguille, nous identifions un suspect à partir d'une plateforme de P2P. Le département informatique réalise pour sa part des interventions plus techniques, telles que l'examen d'un disque dur.

Et comment le travail de veille entre la police et la gendarmerie va-t-il se répartir puisque Dominique de Villepin souhaite une collaboration accrue entre les deux services ?
La police se consacrera plus spécifiquement aux faits de racisme, antisémitisme, haine raciale, terrorisme ou piratage informatique. La gendarmerie se focalisera plus particulièrement sur la veille des contenus pédopornographiques. Pour la gendarmerie, c'est le département de lutte contre la cybercriminalité à Rosny-sous-bois qui réalise la veille, il existe depuis 1998-1999. Pour la police nationale, différentes directions seront associées au travail. Concrètement, il s'agit de se connecter à IRC (réseau de chat), à des groupes de news, de télécharger un grand nombre d'informations puis d'en faire un tri. L'idée étant désormais de spécialiser police et gendarmerie dans des secteurs particuliers.

70 enquêteurs "Ntech" agissent directement
sur le terrain."

Quelles sont les ressources humaines engagées dans la lutte contre la cybercriminalité ?
Le pôle technique de l'IRCGN comprend plusieurs départements. Le département informatique compte un effectif de quatorze personnes : huit ingénieurs et six techniciens. Ils sont tous sous-officiers de gendarmerie. Pour sa part, la cellule de veille sur Internet compte huit personnes. Mais ces effectifs vont doubler d'ici à 2007. Le Centre national d'analyse des images pédophiles, mis en place depuis un an, va gérer une banque d'images pour effectuer des rapprochements entre les affaires. A ceci, il faut ajouter depuis 2001, 70 enquêteurs pour la gendarmerie baptisés "Ntech" qui agissent directement sur le terrain et sont formés pendant six semaines aux nouvelles technologies au centre national de formation de police judiciaire de la gendarmerie (CNFPJ). Nous leur apportons une formation technique complémentaire sur l'analyse des disques durs.

Au total, le dispositif d'expertise de lutte contre la cybercriminalité, police et gendarmerie, compte environ 160 personnes. La police met en effet à disposition des enquêteurs spécialisés au niveau local et certaines personnes de l'administration centrale. A cela, s'ajoute un personnel qui travaille par extension quotidiennement sur la question, dans les gendarmeries et commissariats.

Au sein de la cellule informatique et électronique, de quels moyens techniques disposez-vous ?
Pour l'analyse des disques durs, nous utilisons deux logiciels différents : l'un est développé par une société privée, l'autre par des services de police anglais et américains. Les deux sont complémentraires. Par ailleurs, nous développons nous-mêmes des logiciels, comme "Marina" qui permet de détecter automatiquement des images pédophiles sur Internet. Depuis l'an denier il a été mis à la disposition de la police nationale. Nous avons développé également un logiciel de lecture de cartes SIM des téléphones portables, "SIMAnalyste". Une équipe de gendarmerie a aussi développé le logiciel "Log IRC" pour surveiller de manière automatisée les groupes de discussion sur Internet et "Log P2P" pour surveiller les réseaux d'échanges de fichiers. Nous sommes aussi en prospective sur des produits de recherche automatisée sur le sites web mais les solutions existantes ne sont pour l'heure pas très efficaces.

Le ministre de l'Intérieur a annoncé la création d'un réseau d'experts pour gagner en efficacité. De quels experts s'agit-il et comment le travail en commun va-t-il être coordonné ?
Les experts en gendarmerie sont centralisés essentiellement à l'IRCGN. Au sein de la police nationale, un certain nombre d'experts sont mobilisables à l'OCLCTI (Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information et de la communication), à la DST (direction de la surveillance du territoire). Au sein de la préfecture de police parisienne, il y a la BEFTI (Brigade d'enquête sur les fraudes de technologies de l'information). L'idée est de mettre l'ensemble de ces compétences et experts en réseau pour stimuler les contacts, via une mailing liste ou un site web commun par exemple. Le but étant d'échanger ou de développer des choses ensemble. Cela étant, les outils de gestion techniques et opérationnels seront sans doute séparés.

FAI et opérateurs télécoms sont nos partenaires."

Faites-vous appel dans certains cas d'actes cybercriminels à des intervenants extérieurs du domaine privé ?
De manière générale, la justice dans les enquêtes judiciaires fait appel à des experts privés en informatique, il en existe 250 en France. Nous sommes par ailleurs en contact avec des industriels pour les problèmes techniques que nous pouvons rencontrer. Les FAI, opérateurs de télécommunication sont forcément nos partenaires et contribuent positivement à la lutte contre la cybercriminalité. Sur les chat-rooms, les modérateurs ont des contacts avec des les services de police et de gendarmerie pour demander des conseils et signaler des faits répréhensibles.

Quels seront les aménagements prévus de la Loi d'orientation et de programmation de sécurité intérieure ?
C'est un effort de l'Etat en matière de sécurité intérieure. D'année en année, il faut l'adapter aux besoins réels. Dans le cadre de la loi, un effort sera fait en matière de cybercriminalité. Il s'agit principalement de l'augmentation des effectifs globaux dédiés à la lutte contre la cybercriminalité qui doivent passer de 300 à 600 d'ici à 2007, comme l'a indiqué le ministre de l'Intérieur Dominique de Villepin mardi. Nous disposerons également de facilités d'achat de matériel.

  Le site
La gendarmerie nationale

Quels projets en rapport avec la cybercriminalité développez-vous actuellement ?
Au niveau européen, sur le plan de la recherche appliquée, la cellule Informatique et électronique participe à un projet lancé en avril dernier baptisé "Fidis". Il porte sur le futur de l'identité dans la société de l'information. C'est un projet de recherche financée par la Commission européenne dans lequel sont engagés 24 partenaires, dont deux "laboratoires" de police scientifique : le mien et celui des Pays-Bas. Les autres partenaires sont des industriels et des laboratoires universitaires. Le but du réseau est d'animer la recherche dans la biométrie appliquée aux NTIC pour lancer des projets de recherche communs. Rappelons tout de même qu'en France, comme au Royaume-Uni ou en Allemagne, sur une cinquantaine d'interpellations visant des contenus pédopornographiques en ligne, une à deux personnes s'en sont déjà pris effectivement à des mineurs.

 
 
Propos recueillis par Sophie FIEVEE-BALAT, JDN

PARCOURS
 
 
Eric Freyssinet, chef d'escadron de gendarmerie et chef du département informatique électronique à l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN).

Arrivé en gendarmerie en 1995 et à l'IRCGN depuis 1998.

Depuis 1999 Président du groupe de travail sur la preuve numérique de l'ENFSI (European Network of Forensic Science Institutes, Forensic Information Technology Working Group).
Depuis 2002 Vice-président du groupe de travail européen d'Interpol sur le crime lié aux technologies de l'information.
Et aussi Ancien élève de l'Ecole Polytechnique (92), titulaire du Mastère en Sécurité des Systèmes Informatiques et des Réseaux de l'ENST (2000).

   
 
 
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