INTERVIEW
 
Membre du directoire
Sacem
Catherine Kerr-Vignale
"Les majors sont réticentes à notre politique de tarification de la musique en ligne"

La musique en ligne reste un terrain miné. Si les sociétés d'auteurs tentent d'harmoniser leur approche, les relations avec les majors musicales demeurent conflictuelles. Pourtant, le débat évolue avec l'approche de la transposition en France de la directive européenne liée au commerce électronique, prévue en début d'année prochaine, ainsi qu'avec l'arrivée attendue des plates-formes américaines MusicNet et PressPlay.
En qualité de société d'auteurs, la Sacem est au centre des discussions liant les ayant droit à l'exploitation de leurs oeuvres sur Internet. Catherine Kerr-Vignale, membre du directoire de la Sacem en charge de ce dossier complexe, fait le point sur les derniers chantiers dans ce domaine.

14 novembre 2002
 
          
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JDNet. Dans quelle mesure le débat "droit d'auteur et musique en ligne" s'est-il clarifié ?
Catherine Kerr-Vignale. Tout dépend de l'interprétation que vous faites de la notion de clarté... Les fondements juridiques en terme d'exploitation de la musique n'ont pas à être bousculé lorsqu'il s'agit d'une déclinaison en ligne. Ce qui a évolué récemment, c'est la réflexion autour des propositions de contrats et des tarifs. Nous devons prendre en compte le fait que les modèles économiques des sociétés Internet qui se sont lancées en premier dans la musique en ligne ont changé en quatre ans : nous sommes passés d'un modèle de téléchargements payants purs à un mixte de téléchargements gratuits/payants. Les sociétés d'auteurs françaises ont donc récemment modifié leurs offres contractuelles pour la musique en ligne.

En quoi avez-vous changé les conditions d'exploitation ?
Nous avons voulu coller à la demande actuelle qui tourne autour d'exploitation de plates-formes qui offrent du téléchargement avec un système d'écoute à la demande (y compris la pré-écoute). Un contrat a été signé avec les déclinaisons françaises des plates-formes de musique en ligne Vitaminic et OD2. Le Geste (Groupement des éditeurs de services en ligne), qui accueille une commission musique en ligne, a validé ces conditions contractuelles qui ont vocation à s'appliquer rétroactivement. [NDLR : l'accord Vitaminic, qui a été signé avec la Sacem, la SDRM et Sesam pour une durée d'un an, permet d'utiliser le répertoire de la société d'auteurs sur le Web. Vitaminic France régle directement les droits d'auteur au titre de la diffusion en ligne d'œuvres musicales à la demande, qu'il s'agisse de streaming (diffusion en continu) ou de téléchargement, y compris sous forme de services d'abonnement comme Vitaminic Music Club].

Tous les acteurs sont-ils prêts à appliquer ces nouvelles règles ?
L'une de nos difficultés est que nous notons des réticences à nos structures tarifaires, notamment du côté des majors du disque. Par exemple, Universal Music France, qui a des services Internet comme e-Compil.fr, ne veut pas entrer dans ce schéma. D'ailleurs, nous n'avons signé aucun accord avec cette maison de disque. En général, les majors veulent obtenir de nous payer comme sur un disque, ce qui ne correspond pas à la réelle exploitation sur les réseaux. Cette démarche des majors ne convient pas à notre principe qui est d'appréhender l'ensemble des recettes liées à l'exploitation de l'oeuvre.

N'existe-il pas de solutions technologiques qui permettraient justement d'avoir une idée précise de l'exploitation des oeuvres ?
J'imagine que vous parlez des solutions liées au digital right management (DRM, gestion des droits des contenus numériques). J'ai rencontré de nombreux professionnels, généralement des représentants de sociétés de logiciels, qui m'ont garanti pouvoir donner tous les éléments de reporting pour avoir une idée précise de l'exploitation : nombre et fréquence des fichiers consultés, nombre d'utilisateurs, quelles statistiques de consultations par pays, etc. Mais, le développement de ce type de logiciels perfectionnés est coûteux. Et au final, nous n'obtenons pas un reporting détaillé. C'est un vrai problème pour nous car nous sommes chargés de repartir avec précision les revenus issus de l'exploitation des oeuvres sur Internet. Ce qui est impossible en l'état actuel. Troisième problème : en admettant que le volet reporting s'améliore, toute société d'auteurs doit mettre en place des procédures de contrôle. Rien n'existe à l'heure actuelle. La solution pourrait être de passer par un système de certification de société tiers.

Des prestataires technologiques comme Yacast ne peuvent pas vous aider dans ce sens ?
Effectivement, la Sacem a signé un contrat avec eux mais les solutions de ce prestataire permettent surtout d'identifier les oeuvres diffusées mais ne nous donnent aucune information sur les recettes liées à l'exploitation des oeuvres. Nous avons mis en place une ébauche d'une solution propre - Fast-Track - qui pourrait être utilisée à l'échelle européenne voire aux Etats-Unis. Son développement dépasse le cadre franco-français. Mais aujourd'hui, l'outil n'est pas prêt.

On parle de l'élaboration d'un nouveau contrat pour les webradios...
Tous nos contrats sont appliqués à titre expérimental sur une durée d'un an car le marché Internet - et plus particulièrement celui de la musique en ligne - est extrêmement mouvant. L'accord webradio sera reconduit si l'on ne trouve pas de meilleure formule. Là aussi, il y a eu beaucoup de déception autour du modèle économique. Nous avons modifié le minimum garanti, compte tenu du manque de recette des exploitants. Le principe de perception des webradios associatives repose sur la base d'un forfait. Nous avons signé une quinzaine de webradios associatives et une dizaine de contrats de webradios commerciales. Nous réfléchissons actuellement à un nouveau contrat webradio qui entrerait dans un cadre d'offre de services plus complet. Nous sommes en discussion très avancée avec e-DIMA (la branche européenne du groupement américain Digital Media Association) autour du webcasting interactif.

Quel type d'accord avez-vous signé avec les groupes de radiodiffusion qui proposent d'écouter la radio en direct sur le Web ?
Pour certains diffuseurs qui font du simulcasting (c'est à dire la transmission sur les différents types de réseaux d'un programme diffusé, y compris le Web), nous avons étendu les contrats pour inclure Internet. Pour certaines formes d'exploitation, nous sommes toujours en négociation car les services offerts sont multiples. Mais les problématiques changent lorsque la programmation à l'antenne commence à être découpée par fichiers pour une consultation à la demande.

Quel accueil vous réservent les fournisseurs d'accès Internet (FAI) qui souhaitent monter des espaces "musique en ligne" sur leurs portails ?
Nous avons signé des accords avec le portail de Club-Internet (T-Online France) pour des opérations événementielles. Nous avons également des négociations avec Wanadoo (France Télécom), qui utilise les services d'OD2 France, acteur qui a signé un accord Sacem.

La Sacem est membre du collectif Clic (regroupant des organismes de perception liés à la filière de la création). Pourquoi avez-vous pris à partie les FAI dans le domaine de la musique en ligne ?
Le Clic demande une transposition intégrale de la directive européenne
e-commerce en France. Nous demandons aux FAI de respecter ce que la directive stipule. Chaque mot a été pesé lors des discussions liées à l'élaboration de cette directive. Les FAI veulent être des tuyaux sans regarder ce qu'il y a à l'intérieur. Nous voudrions que le discours des FAI évolue : aujourd'hui, les services d'accès Internet n'acceptent de retirer un contenu que sur décision d'un juge. Nous voudrions que les FAI retirent un contenu non autorisé dans le cadre de la propriété intellectuelle à la demande des ayant droits dès lors que leur demande est fondée, de filtrer quand ils sont hébergeurs ou fournisseurs d'accès en évitant de passer systématiquement par un recours en justice pour trancher. Les contacts vont être repris entre les représentants de l'AFA et le Clic.

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Que pensez-vous de la proposition de la Commission européenne de créer un guichet unique européen pour le simulcasting ?
Cette annonce ne concerne pas les droits d'auteurs mais les droits voisins. Et d'ailleurs, la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), tout comme son homologue espagnol, n'est pas signataire. Cette proposition est liée au simulcasting. Elle permet de mettre en concurrence les sociétés de producteurs. La Commission européenne, qui traque les monopoles, voit d'un mauvais oeil la gestion collective. Les sociétés d'auteurs européennes ont signé des accords de représentation réciproque pour s'échanger les répertoires entre pays et perpétuer le système de perception sans se soucier des frontières. Le système de perception sur les médias traditionnels tourne autour d'un critère : la localisation géographique de la diffusion. En clair, la Sacem est l'interlocuteur privilégié pour tout diffuseur français, quelque soit l'origine de l'oeuvre qui est exploité par ce dernier. Pour Internet, nous avons mis en place un avenant de ces accords de représentation réciproque en retenant comme critère principal la résidence économique du fournisseur de contenu en ligne. Récemment, nous avons défendu le système de gestion des droits d'auteurs sur Internet auprès de la Commission européenne. Nous avons tenté de démontrer que notre démarche était rationnelle et efficace. Mais nous avons du mal à nous faire entendre à Bruxelles qui est visiblement plus intéressé à organiser la concurrence que le marché de la musique en ligne. J'estime que nous devons nous mobiliser pour défendre la création et l'avenir de la gestion collective en Europe.

 
Propos recueillis par Philippe Guerrier

PARCOURS
 
Catherine Kerr-Vignale est membre du directoire de la Sacem. Elle occupe les fonctions de Directrice des Relations Clientèles. Dans ce département, elle prend en main les dossiers qui concernent le droit de reproduction, les majors, Internet, les médias, la piraterie et la copie privée.

   
 
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