JDN.
L'IE-Club affirme regrouper des "investisseurs et entrepreneurs
de la tech-économie". Qu'est-ce que cela signifie ?
Maurice Khawam.
La tech-économie, c'est l'économie de l'innovation à
travers la technologie. Grosso modo, cela recoupe trois
grands secteurs : la technologie pure et dure (les sociétés
qui par leur R&D créent des produits qui seront vendus),
les sociétés qui mettent en place un modèle basé sur
un service conduit par la technologie, et enfin, celles
qui continuent à opérer sur des marchés avec des produits
traditionnels ou nouveaux mais dont le modèle a été
transformé grâce à la technologie (e-commerce, géolocalisation,
etc).
C'est
un lobby de plus ?
Notre angle est la défense des intérêts
des investisseurs et des entrepreneurs de la tech-économie.
Toutes les actions que nous menons le sont à partir
de la réflexion de ces acteurs.
Mais
vous ne rejetez pas le terme de lobby
C'est une des choses que l'on fait, pas
forcément celle que l'on fait le mieux aujourd'hui,
mais elle est de plus en plus importante, notamment
parce que notre volonté est de créer un réseau européen.
Quelle
est la genèse de ce club?
Nous avons commencé notre action début
2000, à une époque où les enjeux étaient très différents
d'aujourd'hui. Nous avons d'abord essentiellement uvré
à créer notre réseau, dans une réflexion très liée à
l'Internet.
Mais
depuis 2000, l'environnement a beaucoup changé
Nous avons d'abord été un club de réflexion
sur les modèles de l'Internet. On était certes en pleine
euphorie, mais il y avait une réelle recherche de nouveaux
modèles. A présent, cette compréhension de l'Internet
est acquise et nous voulons plus être une force de proposition.
L'objectif est d'aider les acteurs qui se sont réinventés
pour survivre et qui ont besoin aujourd'hui d'un lieu
de discussion.
Concrètement,
quels sont vos objectifs ?
Notre défi est de saisir l'opportunité
de l'Europe. Auparavant, une société devait aller aux
Etats-Unis pour se développer. Aujourd'hui, l'Europe
démultiplie la taille du marché et donne à l'entreprise
un potentiel de valorisation beaucoup plus important.
Il est donc important à nos yeux de démystifier le développement
européen, d'abord à travers des intervenants que nous
souhaitons de plus en plus européens et aussi à travers
des actions de lobbying pour obtenir une harmonisation
des règles permettant la création d'un statut de jeune
entreprise innovante européenne. Il faut qu'une entreprise
qui se crée à Paris ou à Munich n'ait pas à affronter
des règles différentes dans chaque pays. Cette réflexion
est en train de converger dans un livre blanc qui sera
remis lors de notre manifestation de janvier aux différents
acteurs. Un autre de nos combats est le statut de l'entrepreneur,
qui n'est pas suffisamment protégé aujourd'hui. Il n'a
pas exemple pas la couverture sociale d'un salarié,
ce qui n'est pas normal à nos yeux. Nous mettons aussi
en avant la structure du produit de l'entreprise innovante,
qui n'est pas protégé comme il l'est aux Etats-Unis
par le Small Business Act.
Ces
problématiques sont certes européennes, mais ont aussi
une dimension française...
Nous avons des contacts officiels avec
le cabinet du Premier ministre où nous avons des échos
sympathiques. Mais nous souhaitons aller plus loin,
par exemple pour que le statut de l'entrepreneur soit
reconnu par une législation. Il n'est pas normal qu'un
entrepreneur qui a pris des risques ne soit pas protégé
par la loi, comme un salarié. Ensuite, il faut que ces
législations soient implémentées au niveau de l'Europe.
Cela permettra aux sociétés de se développer dans les
autres pays.
Que
représente l'IE-Club aujourd'hui ?
C'est un comité exécutif d'une quinzaine
de personnes et 150 membres qui appuient l'action de
l'IE-Club vers une communauté d'environ 10.000 personnes.
On y retrouve l'investisseur au sens large, celui qui
investit en argent et en temps, des consultants et des
entrepreneurs. Globalement, c'est un mélange d'innovation
et de finance.
Dans
la tech-économie comme dans le reste de la société française,
les choses ne bougent-elles qu'à travers les réseaux
?
Je pense que nous sommes dans une société
de réseau de façon générale. Les projets d'innovation
aujourd'hui ayant d'emblée une dimension multiple -
technologique, financière et partenariat -, les acteurs
qui gagnent sont ceux qui savent employer les réseaux.
Et le facteur temps est de plus en plus important, d'où
la nécessité d'avancer à un certain rythme. Un bon patron
de jeune entreprise doit être "connecté" et savoir faire
intervenir les différents acteurs.
Cela
ne favorise-t-il pas eux qui sont installés au bon endroit,
à Paris par exemple ?
C'est vrai que nous sommes dans un pays
assez centralisé, mais nous souhaite avoir des centres
d'excellence européens, dans des régions et des environnements
bien précis à l'exemple de Grenoble ou de la Bretagne
autour des télécoms. Je crois que des organisations
comme la notre uvrent à élargir les réseaux et à faire
que des gens qui n'y avaient pas forcément accès puissent
rentrer dans cette logique pour développer leur entreprise.
Si on peut aider un jeune patron d'entreprise à réfléchir
avec nous, à démultiplier ses canaux de communication,
à faire passer ses idées à un maximum de gens, à européaniser
sa réflexion, alors on aura atteint notre objectif.
Nous le faisons dans une logique associative qui incite
à dire que ce réseau appartient à tout le monde et qu'il
suffit d'apporter un peu du sien pour en profiter.
Comment
jugez-vous l'environnement de la tech-économie aujourd'hui
?
Il faut être prudent, mais le Nasdaq
a progressé de 50% par rapport à son plus bas, ce qui
est une preuve de la vitalité de cette industrie et
ce qui rassure les gens. Les sociétés dont le plan de
développement est réaliste intéressent les investisseurs.
J'en ai vu récemment plusieurs qui n'ont pas réussi
à lever des fonds en 2002 mais reviennent aujourd'hui
à la charge dans des environnements plus ouverts.
A
propos de Bourse, certains évoquent un risque de nouvelle
bulle. C'est votre avis ?
Je ne pense pas, parce qu'on était descendu
en dessous de ce qui était réaliste. Il est possible
qu'il y ait des ajustements, mais je ne vois pas de
risque de bulle dans cet environnement que je qualifie
de prudent.
Et
comment se porte le capital-risque ?
Lever des fonds reste un exercice difficile,
car les investisseurs sont exigeants quant aux perspectives
de développement des sociétés, mais encore une fois,
des projets bien mesurés entre coûts et perspectives
de développement rencontrent des investisseurs.
Donc
le capital-risque redémarre?
Ceux qui sont toujours là ont un peu
plus de repères aujourd'hui. Nous sommes passés par
une phase difficile, et même si l'on n'en est pas complètement
sorti, nous sommes un tout petit peu plus sereins qu'il
y a douze mois.
Moutonniers,
excessifs, frileux, etc... Les reproches adressés aux
capitaux-risqueurs vous semblent-ils mérités ?
Cela a été mérité à une époque. Nous
avons été pris dans une hystérie collective où émergeait
tous les six mois de grands thèmes à la mode. Du coup,
on se retrouvait dans des projets équivalents avec des
comportements similaires, ce qui était effectivement
moutonnier. Je crois qu'aujourd'hui nous avons tous
fait notre mea culpa, investisseurs et entrepreneurs.
Les premiers sont revenus vers une très grande sélectivité.
Et les seconds sont motivés et dynamiques mais ont déjà
une certaine expérience dans le domaine où il souhaitent
se développer. On revient aux notions de base et on
a oublié ce qui polluait la réflexion, à l'époque où
l'on parlait tellement de business model qu'on n'avait
plus aucune réflexion autour du produit. On revient
aussi à une plus grande spécialisation des investisseurs.
Vouloir être dans différents secteurs, à différents
niveaux d'intervention et dans plusieurs entreprises,
c'est un risque difficile à assumer quand les temps
vont mal.
Le
milieu aurait donc retrouvé sa crédibilité?
Je ne dirais pas qu'il l'a tout à fait
retrouvée, mais j'espère que dans les deux prochaines
années, on pourra montrer à nos investisseurs et grâce
à nos entrepreneurs que nous avons fait le mea culpa
nécessaire.
Que
manque-t-il à la tech-économie pour que son redémarrage
soit total ?
Les donneurs d'ordres qui avaient surinvesti
ont pris de plein fouet le balancier du ralentissement
de l'économie. Quand les grandes sociétés vont reprendre
le chemin de l'investissement, il faut que cela s'accompagne
de passages d'ordres vers les jeunes entreprises. Nous
somme très vigilants et nous insistons pour que cette
reprise soit non seulement celle des grands acteurs
technologiques mais aussi celle des jeunes entreprises,
afin que ces dernières ne restent pas au bord de la
route.
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