JDNet. Après avoir co-fondé Business Objects,
un éditeur de logiciels, vous avez lancé
en juillet 2001 une plate-forme de services logistiques.
Comment s'est effectué le passage de l'un à
l'autre ?
Denis Payre.
En fait, j'ai quitté
Business Object début 1997. Au bout de sept ans,
j'ai voulu mener une vie un peu moins trépidante,
moins nomade. Et puis je n'ai pas souhaité m'installer
en Californie alors que cela devenait indispensable
à l'époque, puisque tous nos grands clients,
tous nos grands actionnaires étaient américains.
Je suis donc resté quelques temps au conseil
d'administration et puis j'ai fini par quitter le conseil
et le capital. Ensuite, pendant trois ans, j'ai eu une
toute autre activité. J'ai été
investisseur en capital-risque à titre personnel
et j'ai également co-fondé Croissance
Plus, qui est une association d'entrepreneurs de croissance
en France.
Par la suite, j'ai eu envie de redémarrer un
projet européen. Je ne voulais pas relancer un
éditeur de logiciels, mais un projet qui contenait
une dimension technologique assez forte, puisque c'est
mon domaine. L'idée m'est venue de travailler
sur la logistique, lorsque j'ai rencontré Marc
Fourrier, un ingénieur de 45 ans, spécialiste
de l'économie de la logistique. Il a créé
deux sociétés de conseil en management
qui ont très bien réussi, Eurossept Associés
et Clerversys. C'est un expert en systèmes d'information
et logistique. C'est aussi un business-angel qui a bien
réussi, puisqu'il est à l'origine de deux
sociétés française côtées
au Nasdaq, Ilog et Wavecom. Il connaît aussi bien
le monde de la technologie que des télécoms.
Comment
décrivez-vous Kiala et quels sont vos partenaires
commerciaux ?
C'est un réseau de 260 points de livraison en
Belgique qui regroupe des stations-service, des épiceries
de proximité, des librairies... Il
permet au consommateur achetant à distance de
récupérer son colis où et quand
il veut et de le retourner facilement si nécessaire.
Un de nos premiers partenaires commerciaux a été
La Redoute. Elle nous a confié la partie de son
réseau constitué par des indépendants,
en nous chargant de reprendre ces commerces ou de les
abandonner. Sur la centaine de points, nous en avons
gardé quarante. Nous avons également démarré
avec 3 Suisses, mais uniquement au Luxembourg, et puis
il nous a confié la Belgique au bout de quelques
mois. Nous travaillons depuis septembre avec Quelle
et, en test, avec Yves Rocher. Depuis novembre, la société
de téléachat Shoplijn nous a rejoints.
Et depuis janvier 2002, nous avons comme client l'équivalent
belge des Pages jaunes, qui possède 70 boutiques
en ligne. Nous sommes en discussion avec d'autres vendeurs
en ligne, dont Proxis, qui devrait nous rejoindre en
mars ou avril. Actuellement, nous avons 60% du marché
belge de la vente à distance dans notre réseau
et nous pensons atteindre les 80% d'ici 2002.
Qui
sont vos actionnaires ?
Marc Fourrier et moi-même avons investi 3 millions
d'euros et nous avons
levé 14 millions d'euros en septembre auprès
d'investisseurs européens : la banque allemande
West LB, Logispring (un fonds créé par
TPG, la poste hollandaise et Booz Allen and Hamilton),
Part'com (Caisse des Dépôts et Consignations), Arts
Alliance, Déficom ou Sofindev. Nos investisseurs ont
aujourd'hui une part non négligeable du capital.
Nous disposions donc de 17 millions d'euros et nous
comptons en investir 25 millions dans les quatre prochaines
années. Notre ambition est d'ouvrir 10.000 points
de livraison d'ici 2004.
Quels
sont vos premiers résultats ?
Au
31 décembre, nous avons livré 160.000
colis et nous en avons repris 60.000, ce qui est la
norme en Belgique. Les taux de retour
sont de l'ordre de 30%. Nous avons géré
40.000 paiements contre remboursement et notifié
160.000 clients. Notre chiffre d'affaires en 2001 aura
été de 200.000 euros. Ces résultats
nous positionnent comme le leader européen dans
ce métier.
Les
points de livraison, ce n'est pas nouveau. 3 Suisses
et La Redoute sont des pionniers dans ce domaine...
Nous nous étions penchés sur le problème
de l'absence au domicile au moment du passage du livreur,
un obstacle au développement de la vente à
distance en général et du e-Commerce en
particulier. Un consultant a mené pour nous une
étude mondiale, en Europe, aux Etats-Unis et
au Japon, pour répertorier les solutions à
ce problème. En fait, elles sont rares aux Etats-Unis
comme au Japon. C'est en France et en Belgique que nous
avons trouvé la solution la plus intéressante,
celle des Points Relais, développés par
3 Suisses et La Redoute. Avec un succès important,
puisque ces réseaux, de 4.000 points chacun captent
50 et 60% des commandes de ces sociétés.
Nous les avons copiés, mais également
améliorés.
Dans
quels domaines?
Notre plate-forme technologique tout d'abord. Nous avons
beaucoup investi
dans l'automatisation des procédures et la visibilité
des colis dans le réseau. La première
permet de réduire le temps que passent les gérants
des points de livraison à manipuler les produits,
à gérer l'encourt, à appeler les
clients et à faire des opérations de reporting.
Quant à l'absence de visibilité, elle
doit être combattue car elle entraîne, lorsque
surgit un problème, une cascade de coûts
considérables. Le centre d'appels du vépéciste
doit appeler le point de livraison, qui doit chercher
si le colis se trouve dans sa réserve, s'il est
dans le réseau, etc... Le second volet sur lequel
nous avons essayé d'apporter de la valeur est
la qualité du recrutement des points de livraison.
Nous travaillons avec des grands réseaux établis,
des stations-service ou des épiceries de proximité,
pour avoir une certaine homogénéité.
Nous avons une quinzaine de critères de sélection
très exigeants, comme la taille de la réserve,
la distance entre la réserve et la caisse, pour
s'assurer que tous les aspects opérationnels
soient validés. Nous avons également passé
beaucoup de temps sur la localisation des points, avec
des outils de géomarketing, en superposant quatre
cartes : celle des foyers, celle des foyers qui achètent
à distance, celle des grands axes de trafic et
celle des centres commerciaux.
Quel
a été le coût de ce projet ?
Nous avons investi 4 millions d'euros dans la plate-forme
technologique, construite avec EDS et Arthur Andersen,
qui permet d'automatiser toutes les procédures.
La partie émergée de l'iceberg, c'est
un petit terminal, signé Symbol Technologies,
avec à l'intérieur un système PalmOS,
un scanner et un modem intégré qui permet
de télécharger régulièrement
des données concernant les colis qui vont être
livrés et de transmettre les données relatives
aux colis qui ont été retournés,
car nous gérons également les retours,
ou ceux qui ont été retirés.
Vous
gérez aussi les paiements ?
Nous offrons effectivement le paiement contre remboursement.
Cette option a un grand intérêt pour les
e-commerçants, en raison du manque de confiance,
qui existe toujours, des consommateurs à l'égard
du paiement en ligne. Chez nous, elle est également
gérée de manière automatique en
utilisant les moyens de paiement du point de livraison.
Comment
les clients sont-ils prévenus que leur colis
est disponible ?
Nous avons mis en place un robot téléphonique
qui appelle les clients lorsque le colis est bien arrivé.
Il lui rappelle l'adresse et l'heure à laquelle
il peut retirer son colis. Ce système de notification
automatisé permet d'aller plus vite que l'envoi
d'un courrier, d'alerter le client s'il n'est pas allé
chercher son colis dans les cinq jours et de déclencher
automatiquement le retour au bout de quatorze jours.
Ce service existe pour les téléphones
filaires et les téléphones GSM. D'ailleurs,
grâce à des accords avec des opérateurs
de téléphonie comme Proximus et Mobistar,
nous sommes capables de déposer un message sur
une messagerie sans déranger le client. Mais
les alertes peuvent également être envoyées
par e-mail et à partir de fin 2002-début
2003, par SMS. Mais dans ce domaine, nous ne constatons
pas une demande énorme, bien que la Belgique
ait été un pays pionnier.
Pourquoi
avoir choisi la Belgique comme lieu d'implantation des
activités de Kiala ?
Le projet était d'emblée européen.
Mais la Belgique est un pays idéal pour lancer
ce type de plate-forme, car relativement petit, où
l'on peut faire un lancement national tout en ne dépensant
pas des sommes gigantesques et en pouvant se permettre
des petites erreurs d'ajustement au départ. Et
enfin, c'est un pays où se trouvent réunis
tous les grands vendeurs à distance européens,
avec de petites organisations, ce qui facilite le contact
avec la direction générale. Cette implantation
nous a permis d'avoir un pilote européen au sein
de toutes les sociétés de vente à
distance européennes, que ce soit l'allemand
Otto, présent à travers 3 Suisses en France,
PPR, via La Redoute, ou Karstadt-Quelle.
Quels
sont vos projets en France ?
Nous projetons de lancer notre service en France, sous
la forme d'un pilote, avec une vingtaine de points,
dans la région Lyon-Bourgogne-Saint-Etienne,
probablement entre juillet et septembre. Cette région
a été choisie par les grands vépécistes
français car ils la jugent représentative
en raison de sa structure de population. Elle comprend
des grands pôles urbains et des zones rurales.
Nous recrutons aujourd'hui essentiellement dans l'épicerie
de proximité, car nous pensons que c'est un bon
modèle en France, ce type de commerce permettant
des achats combinés nombreux. Nous lancerons
également le service en septembre aux Pays-Bas
et à la fin de l'année en Allemagne.
En
France, un certain nombre de projets de relais-colis
ont vu le jour. Certains, comme Zendis, ont fait un
passage éclair. Que faut-il pour réussir
dans ce métier ?
Aujourd'hui, la vente
à distance traditionnelle a des flux quarante
fois supérieurs à ceux de l'e-Commerce.
Donc pour réussir dans ce métier, il faut
s'associer aux grands vendeurs à distance traditionnels,
qui au passage, sont aussi de grands e-commerçants.
Un certain nombre d'acteurs ont également sous-estimé
la complexité de ce métier. Le concept
à l'air très simple, mais l'exécution
de ce concept est industrielle. Il faut des compétences
dans des tas de métiers différents et,
en premier lieu, comprendre la vente à distance.
Un fois que vous avez convaincu un Amazon ou un Redoute,
il vous faut encore convaincre leurs clients, s'intégrer
à leur mailing-list et à leur site web
au bon endroit. Il faut ensuite comprendre la franchise
et le transport, à la fois au plan technique
et économique. Il faut bien comprendre les technologies,
le logiciel mais aussi les télécom. Il
faut enfin, des compétences en création
de marque.
Que
représente le e-Commerce dans votre activité
?
Il représente encore une part assez faible. En
France, nous discutons avec tous les e-tailers et tous
sont intéressés, car ils ont une clientèle
moins disponible et plus active, donc plus sensible
à notre service. Nous espérons que l'e-Commerce
atteindra assez rapidement entre 5 et 10% de nos flux.
Par
rapport aux autres modes de livraison, quels sont les
bénéfices des relais-colis ?
Notre prix de vente est calculé pour être
au même niveau que la poste, car c'est le seul
moyen de capter des flux massifs pour construire un
réseau moderne avec une densité suffisante.
Notre solution représente donc une économie
de coût par rapport aux transporteurs express.
A tel point que nous sommes aujourd'hui en discussion
avec ces transporteurs pour leur offrir une solution
pour livrer les particuliers.
Que
pensez-vous du m-Commerce ?
Je
crois pas mal au m-Commerce avec le GPRS pour des produits
très normalisés, comme les services, les
tickets de spectacle. Pour des produits plus physiques,
même un livre ou un CD, c'est plus limité
à court terme, tant que l'on ne dispose pas de
l'UMTS.
Vous
évoquiez Croissance Plus. Quel bilan tirez-vous
de vos actions et quels sont celles que vous menez actuellement
?
Nous
nous sommes beaucoup battus pour rénover le régime
des stock-options en France. Avec succès d'ailleurs,
puisque nous avons convaincu le gouvernement Jospin
et, à l'époque, Dominique Strauss-Kahn,
de faire voter un certain nombre de lois qui ont beaucoup
impacté l'environnement français des entreprises
de croissance, comme les BSPCE (Bons de souscription
de parts de créateurs d'entreprises). A l'expiration
de mon mandat de président, j'ai voulu donner
à Croissance Plus une dimension plus européenne.
A l'époque, et aujourd'hui encore, les principaux
gouvernements européens avaient du mal à
comprendre le modèle des entreprises de croissance,
l'importance des stock-options, celle du capital-risque,
etc. J'ai donc conduit la fusion de Croissance Plus
avec Europe 500, qui était déjà
présente dans la plupart des pays européens.
C'est ainsi qu'est née à Bruxelle en mai
1999, Growth Plus Europe. J'occupe aujourd'hui un des
deux postes de vice-président. Dans ce cadre,
nous avons conduit, pour la deuxième année
consécutive avec Andersen un benchmarking des
environnements des entreprises de croissance en Europe,
ceci afin de sensibiliser les gouvernements européens
sur ce thème. Nos actions auprès de la
Commission européenne semblent avoir porté
leurs fruits, puisque la création d'un environnement
plus compétitif pour les entreprises de croissance
a été un des thème de la conférence
des chefs d'Etats européens de Lisbonne. Quant
aux actions en France, elles concernent essentiellement
la sensibilisation des candidats à la présidence
de la République aux thèmes contenu dans
notre Livre blanc (Lire l'article
du JDNet du 28/11/01).
Qu'est-ce
que vous aimez sur Internet ?
Je
suis un très bon client d'Amazon, car il dispose
d'un stock de livres rares ou en langue étrangère
assez important. Et puis Internet est une vitrine sur
le monde. C'est d'une transparence totale. Il n'y a
rien de tel pour suivre vos concurrents.
Et
qu'est-ce que vous détestez ?
Les
temps de réponse. Lorsqu'on aura réglé
les problèmes de bande passante, nous aurons
la télévision au bout des doigts.
Quels
sont vos sites préférés ?
Amazon
et les sites de voile en général, car
je suis un passionné de voile.
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