JDNet. De plus en plus d'analystes et d'observateurs
du monde du recrutement diagnostiquent un retournement
de tendance du marché, en particulier dans le
secteur high-tech. Partagez-vous cette analyse ?
Serge Perez.
Il faut d'abord s'entendre sur les difficultés
dont on parle.
Aujourd'hui nous vivons effectivement le contrecoup
des difficultés économiques apparues depuis
le mois de mai mais aussi des évènements
dramatiques du 11 septembre dernier. Les entreprises
ont une véritable difficulté à
appréhender clairement les choses pour la fin
d'année et le début de l'année
prochaine. Or le marché du recrutement est directement
lié aux projections des entreprises sur l'avenir
du marché et sur leur propre avenir. On ne peut
pas encore dire si nous sommes dans une réelle
situation de crise ou bien s'il s'agit simplement d'une
période d'incertitude passagère liée
aux attentats américains. Nous aurons certainement
davantage de recul à la fin de l'année.
Mais
si l'on ne tient pas compte la période d'inquiétude
générée par le drame américain,
pensez-vous qu'une détérioration durable
du contexte économique pourrait générer
une crise comparable à celle des années
80 ?
Non. La seule
analyse des facteurs statistiques montre que le passage
à la retraite de la génération
des cadres du baby-boom à l'horizon des années
2004-2006 confrontera les entreprises à une pénurie.
Certaines grandes entreprises anticipent dores et déjà
ce mouvement dans la gestion de leur pyramide des âges.
Cela signifie que, même si l'économie ralentit
encore, l'enjeu pour les entreprises ne sera plus seulement
la gestion de leur croissance mais tout simplement le
remplacement de leurs cadres.
Vous
ne croyez-donc pas dans un tassement durable du marché
?
Il est très
vraisemblable que le marché se maintiendra, tout
particulièrement dans le secteur high-tech pour
lequel les perspectives de croissance restent fortes.
Il faut noter que le phénomène démographique
que je viens d'évoquer affectera l'ensemble de
l'Europe et devient aujourd'hui une préoccupation
centrale des DRH. Même si à court terme
l'environnement économique est jugé incertain,
l'anticipation du remplacement des compétences
est inéluctable. Je pense même qu'une période
d'accalmie comme celle que nous vivons sur le terrain
du recrutement peut permettre aux entreprises de profiter
d'opportunités inespérées pour
le recrutement de profils rares.
Mais
la période d'euphorie que nous venons de connaître
n'a-t-elle pas montré que les entreprises ne
pouvaient pas facilement parier sur une fidélisation
des salariés, en particulier à un horizon
de 4 ou 5 ans ?
C'est exact,
mais je crois que les années que nous allons
vivre seront d'abord marquées par un développement
des moyens qui vont permettre de fidéliser les
compétences recrutées par l'entreprise.
On ne pourra plus séparer la problématique
du recrutement de la problématique de fidélisation
des salariés. Votre question illustre l'un des
grands problèmes posés aux employeurs
pour demain, à savoir comment recruter et fidéliser
ses ressources humaines.
De
ce point de vue, le développement des plans de
BCE dans le secteur high-tech a-t-il changé quelque
chose à ces politiques de fidélisation
?
Je crois que
les BCE ont été un épiphénomène.
En revanche l'intégration
du capital humain dans la création de valeur
pour l'entreprise correspond, elle, à un mouvement
de fond. Nous ne pourrons plus gérer demain le
capital humain d'une entreprise sans tenir compte de
l'ensemble de l'offre RH proposée par l'entreprise.
J'inclus dans cette notion à la fois l'employabilité,
l'évolution de carrière, mais aussi l'ensemble
des systèmes de rémunération de
la valeur ajoutée humaine. Cela restera, je pense,
un véritable acquis de cette courte période
d'euphorie que nous venons de vivre.
Cette
notion de la rémunération globale ne sera-t-elle
pas davantage intégrée à l'avenir
dans les stratégies de communication des entreprises
?
Nous sommes dans
un pays latin qui a toujours du mal à parler
de rémunération. C'est particulièrement
délicat pour des grands groupes qui disposent
de leur propre système de rémunération
interne. Quand ces entreprises cherchent des compétences,
elles doivent ajuster leurs propositions aux conditions
de ce marché. Or ces dernières peuvent
être en léger décalage avec le système
de rémunération interne du groupe. Je
ne pense donc pas que les choses évoluent beaucoup
sur ce plan, au moins pour la communication externe
des grandes entreprises. Celles-ci n'ont pas intérêt
à mettre trop en avant les éléments
de rémunérations proposés.
Y
a-t-il encore pour vous des situations de pénuries
sur le marché de l'emploi high-tech ?
Il y a toujours
des poches de pénurie qui restent importantes,
mais la vraie question aujourd'hui est de savoir où
se situeront les besoins futurs. Il ne faut pas perdre
de vue que beaucoup de grandes entreprises ont encore
de forts besoins de recrutements. C'est bien-sûr
le cas d'entreprises high-tech, mais également
de spécialistes du consulting, à condition
qu'il n'y ait pas de ralentissement économique
mondial spectaculaire.
Qu'est-ce
qu'Internet a changé sur le marché du
recrutement ?
J'ai envie de
dire à la fois qu'Internet a tout changé
et qu'il n'a rien changé. Je m'explique : Internet
a tout changé parce qu'il permet aux candidats
d'avoir un accès direct à l'entreprise
mais aussi à cette entreprise d'avoir directement
accès aux candidats dans le cadre d'une communication
en quasi temps réel. De ce point de vue, c'est
une authentique révolution. Le recrutement sera
sans aucun doute l'un des métiers où l'Internet
jouera un rôle clé de façon durable.
Ce média a considérablement facilité
le contact entre les acteurs du marché du recrutement.
Et
qu'est-ce qu'Internet n'a pas changé?
La difficulté
de l'entreprise à trouver les candidats de qualité
reste la même. Internet a résolu le problème
de la circulation des candidatures mais n'a pas résolu
celui de la sélection. Il a même accentué
le problème qualitatif en facilitant considérablement
le dépôt d'une candidature. Il n'y a plus
besoin d'être vraiment motivé pour répondre
à l'offre d'une entreprise. Cela génère
un flux important que cette entreprise doit ensuite
gérer. Internet a donc parfaitement résolu
des problèmes de télécommunication
mais il reste aux entreprises à choisir et à
communiquer sur le marché pour séduire
les candidats. On est là sur des questions de
communication corporate et sur ce plan, Internet a décuplé
la situation de concurrence puisque aujourd'hui toutes
les entreprises peuvent joindre les candidats en ligne.
La
gestion des 35 heures est-elle devenue un facteur discriminant
entre les entreprises en phase de recrutement ?
Je pense qu'au-delà
du seul phénomène des 35 heures, c'est
surtout la réflexion concernant l'équilibre
entre vie professionnelle et vie privée qui joue
un rôle qui peut-être discriminant dans
le choix d'une entreprise par le candidat. Il y a d'une
part des entreprises dans lesquelles la proposition
RH intègrera une certaine préservation
de la vie privée. D'autres, en revanche, peuvent
faire une proposition inverse, en général
compensée par une dimension de rémunération.
Il s'agit simplement pour l'entreprise de faire une
proposition claire sur son offre globale afin que celle-ci
rencontre le bon candidat. Aujourd'hui, les candidats
n'ont plus peur d'indiquer s' ils souhaitent privilégier
un certain niveau de vie privée.
Personnellement
utilisez-vous Internet depuis longtemps?
J'utilise le
web depuis trois ans environ, je n'ai donc pas été
un primo-adoptant. Je dois avouer que je l'utilise peu
à des fins personnelles. Quand j'ai cinq minutes,
je me connecte d'abord pour consulter mon compte ou
visiter le site boursorama. En revanche, je sais que
ma femme achète depuis très longtemps
en ligne, de la même façon qu'elle achetait
auparavant sur minitel.
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