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Comment un ancien doyen de l'INSEAD se retrouve à la
tête d'un fonds de capital risque ?
Claude Rameau. En quittant mon poste à l'Insead j'ai
voulu revenir dans l'innovation, mon ancien métier. (Claude
Rameau était ingénieur Telecom, NDLR). Je sentais qu'avec
Internet des pans entiers de l'économie allaient changer et
que les sociétés européennes auraient besoin de se diversifier
pour trouver des relais de croissance. Mais Fontainebleau
Ventures n'est finalement qu'une formule différente de ce
que ce que je faisais avant. Depuis 1995 j'avais en effet
déjà une petite activité de "business angel". J'ai ainsi participé
à la première levée de fonds de Netpartners,
dirigé par deux anciens de l'INSEAD, dont le taux de rentabilité
a été très bon. J'ai donc décidé ensuite de créer ma propre
structure.
Et
que vous inspirait la Nouvelle économie ?
J’ai préféré regarder d’abord avant d’investir dans l'Internet.
A l’époque j'en avais tiré deux conclusions : tout d'abord
le risque est beaucoup plus élevé que dans les projets classiques,
mais l'espoir de gains est rapide et rémunéré
à la hauteur de ce risque. Ensuite, contrairement à
d'autres activités, le besoin en fonds est énorme dès
le démarrage. Si dans des sociétés classiques les investissements
peuvent être modulés dans le temps on ne peut pas se le permettre
dans l’Internet. En conclusion, il fallait donc répartir les
risques sur les dossiers et investir massivement dès le départ,
ce qui sous-entend, qu'un bon investissement se fait à plusieurs.
Vous vous êtes spécialisé dans un domaine
?
Non.
Nous regardons tous les dossiers dans le secteur des nouvelles
technologies. En revanche nous nous focalisons uniquement
sur l'amorçage. En résumé nous cherchons
des bonnes idées qui ont besoin d'aide et de capitaux.
Nous nous chargeons ensuite de mieux positionner le projet,
voire de définir complètement le business-model.
A la fin de la période d'amorçage passée
avec nous, la société doit avoir des clients
et du chiffre d'affaires.
Comment
vous arrivent les dossiers ?
Quand nous avons commencé notre activité, j'étais persuadé
que je devrais embaucher une personne pour aller dénicher
des projets. Finalement, comme nous ne sommes pas nombreux
à faire de l'amorçage, les dossiers arrivent tous seuls sur
nos bureaux. Il faut dire également que nous avons un excellent
réseau avec notre comité
de développement ou le réseau des anciens de l'Insead.
L'amorçage
est quantité négligable en ce moment dans la
politique des fonds. Vous en ressentez les effets ?
Il
est vrai qu'en amorçage les montants ont tendance à augmenter
car il faut anticiper des difficultés de financements aux
tours suivants. En ce moment les fonds traditionnels sont
focalisés sur leurs investissements de l’an dernier et se
sentent légitimement obligés de les soutenir. C'est peut-être
une erreur car je persiste à croire que le marché est extrêmement
porteur et les dossiers de meilleure qualité. Pour notre part,
nous n'avons pas trop de problèmes de financement car chaque
investisseur du fonds s'est engagé à investir un montant prédéfini
pour cinq ou dix projets à venir. Nous continuons donc à investir
normalement malgré le climat ambiant.
Quels sont vos investissements à l'heure actuelle ?
Nous avons trois dossiers dans des secteurs bien différents
mais qui utilisent Internet pour optimiser leur coeur de métier.
Il y a Magenta, qui s'appuie sur le haut-débit pour
proposer une offre de presse numérique destinée
à la communication des entreprises. Nous avons également
HotelNetbusiness,
une plate-forme de services à destination des hôtels
indépendants. Et enfin ToBepro, un distributeur en
ligne de fournitures industrielles et de produits pour la
maintenance.
Comment
expliquez vous le retournement de tendance actuelle de la
part des investisseurs ?
C'est un vaste débat mais qui se reproduit à
chaque innovation technologique majeure. L'engouement est
toujours suivi d'une période de désenchantement.
Les chemins de fer ont vécu ce genre de paradoxe au
début du siècle. En fait, cela est plutôt
bon signe car cela marque une normalisation de l'Internet.
Cette technologie va ainsi progressivement être absorbée
par l'industrie tout entière et ne sera plus considéré
comme un phénomène en soi. Selon moi, Internet
est clairement une sorte de mai 68 de l'économie. Une révolution
dont les effets se mesureront au fil du temps. L'e-commerce
en est le meilleur exemple à mon sens car faire ses courses
en ligne ne sera bientôt plus vécu comme quelque
chose extraordinaire.
Mais
aujourd'hui les financiers hésitent à injecter
des fonds dans les sociétés, notamment celles
évoluant dans le e-commerce...
C'est normal, car chez les marchands il y a, à l'heure
actuelle, une inadéquation entre la communication et la capacité
à servir. Un sites suédois comme celui de Boo.com en est l'exemple
type. Beaucoup de publicité trés coûteuse mais
pas de produits derrière, ni de réelle demande. En
revanche je vous concède qu’en ce moment tout le monde est
peut-être trop focalisé sur les marchés financiers
et sur l'opinion des analystes. Et cela a une influence en
amont car la communauté financière dans son ensemble a été
d’un panurgisme rare lors des derniers mois à propos d’Internet.
Justement
comment comptez-vous gérer vos sorties si la Bourse
continue à baisser ?
Ce n'est pas un problème car j'ai toujours été intimement
persuadé que pour des sociétés Internet, la Bourse n'était
pas la meilleure solution. Tout simplement parce qu'Internet
n'est pas un business en soi mais un outil. Nous privilégions
donc le rapprochement avec des industriels. Les grands groupes
ont souvent besoin de l'expertise de sociétés
trés spécialisées.
Mais
en matière de fusion-acquisitions, les grands industriels
restent également frileux à cause... de la Bourse ?
Non, ce n'est pas exact. Les gens ne se rendent pas compte
de la dimension des groupes industriels actuellement. Elle
demeure considérable malgré les aléas de la Bourse et leur
permet largement de supporter les errements des marchés
financiers. L’important pour eux est donc simplement de répartir
habilement le risque pour supporter les rachats de plusieurs
sociétés. Quand un Vivendi perd 100 millions de francs lors
d’une opération, il faut relativiser. Car tout d'abord sa
surface financière est sans commune mesure avec ce montant
et ensuite parce que le groupe a amorti le risque en prenant
de nombreuses participations. Ils restent donc de très belles
opportunités de sorties avec les groupes industriels.
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