JDNet.
Vous
avez créé CanalWeb en septembre 1998. Comment définiriez-vous
la société aujourd'hui ?
Jacques Rosselin. Au début, nous nous définissions
comme une société Internet, le plus gros opérateur de télévision
sur Internet. Aujourd'hui, nous sommes un opérateur de télévision
numérique, le plus petit en Europe. Nous sommes petits mais
nous avons deux ou trois atouts qui font qu'on est en avance
et qu'on peut, dans la télévision numérique et la télévision
interactive, prendre une part de marché intéressante. Le marché
de la télé évolue vers un marché de la télé à la carte, et
dans ce marché-là, nous serons au rayon télé spécialisée.
Quels sont
ces atouts ?
D'abord, la plate-forme technique de diffusion. Aujourd'hui,
elle supporte la diffusion en direct d'une centaine d'émissions
hebdomadaires, plus l'accés à près de 10.000 émissions en
vidéo à la demande. C'est la plus grosse plate-forme de télévision
interactive existante. Elle n'a évidemment pas aujourd'hui
la qualité de la télé classique, mais c'est sans doute la
plateforme la plus en avancée en Europe. Nous avons décidé
de la filialiser, sous le nom de CanalWebCast, afin de lui
donner les moyens de son développement, car le haut débit
arrive, la diffusion multi-plateforme est là. Il faut intégrer
dans cette plate-forme des outils marketing de gestion d'abonnés
et des outils de mesure d'audience, qui sont très peu développés
aujourd'hui.
Deuxième atout : nos programmes. On a émis les premiers en
janvier 1999. Depuis un an et demi, on développe des programmes
de télévision spécialisés ou ultra-thématiques. On apprend
à les faire et on apprend à les vendre, aux annonceurs et
aux téléspectateurs. Cette télé thématique est en train de
naître. Quand elle se généralisera avec le haut-débit, on
aura sur les opérateurs de la vieille télévision une avance
à la fois technologique, éditoriale et marketing.
Les divers
projets des grandes chaînes de télé vous inquiètent-ils?
Les chaînes de télé regardent la nouvelle télévision avec
une sorte de condescendance. L'autre jour, j'entendais Patrick
Le Lay [NDLR : le président de TF1] dire que la télé locale
en hertzien numérique, ce sera la télévion des chasseurs de
papillons de Ménilmontant. Ca c'est le discours, mais en réalité,
on sait très bien que les chaînes travaillent d'arrache-pied
à rattraper le retard qu'elles ont en matière de télévision
interactive, même si elles gardent une culture de média de
masse. TF1, par exemple, vient de créer une télévision thématique,
TV Breizh : s'ils lancent cette télévision thématique, dans
le capital de laquelle on retrouve Murdoch, Berlusconi et
Jean-Claude Darmon, c'est que les chasseurs de papillons les
intéressent beaucoup plus qu'ils ne le disent
Vous
seriez prêts à travailler avec ces chaînes?
A priori, non. Ce sont deux cultures totalement différentes.
Mais on est ouvert à tous types de discussion. CanalWebCast
a vocation à proposer à des chaînes de télévision ou à tout
producteur d'émission une diffusion interactive en broadband
sur Internet.
Vous
annoncez la diffusion, d'ici la fin de l'année de vos programmes
sur le câble et le satellite. Quelles retombées en attendez-vous
et qu'est-ce que cela implique techniquement pour CanalWeb?
CanalWeb.tv,
qui a été conventionnée par le CSA, va diffuser ses programmes
en broadcast (diffusion de masse) en fin d'année ou en début
d'année prochaine. Nous discutons avec tous les opérateurs,
car c'est une vitrine pour nos programmes sur Internet. Techniquement,
comme nous diffusons déja en direct sur le Web les 100 émissions
hebdomadaires tournées sur nos plateaux après un encodage
pour l'internet, il suffit ensuite de faire un encodage Mpeg2
pour la télévision, ou plusieurs autres encodages pour le
haut débit. Bien sûr, il nous faut intégrer au sein de notre
plateforme CanalWebCast une infrastructure classique télévision,
mais ce planning est presque en place.
Vous avez
créé CanalWeb Corporate, qui fait de la prestation pour les
entreprises. Dans quel but ?
Aujourd'hui, c'est notre principale source de revenus. La
publicité commence seulement à rentrer et les abonnements
sont inenvisageables pour l'instant, donc nous comptons sur
la prestation de services BtoB, avec des clienst allant de
Siemens à Moulinex [le jour de l'interview, les équipes
de CanalWeb enregistraient dans les studios de la société
une interview du top-model Cindy Crawford, nouvelle figure
de proue de la marque d'électro-ménager]. C'est
pourquoi nous nous sommes alliés à IEC Professionnel Media,
le plus gros groupe d'audiovisuel d'entreprise en France.
Quelle
est l'audience de Canalweb aujourd'hui ?
En mai, nous avons franchi la barre des 400.000 visiteurs.
En juin, on a marqué le pas et en juillet et août, on a baissé
de 30%. On espère repasser rapidement la barre des 400.000
visiteurs.
Etes-vous
satisfait des outils de mesure ?
Aujourd'hui, on mesure avec Webtrends. Tout le monde fait
ses mesures en interne et c'est un des freins au développement
de la pub sur notre site. Il faut des outils communs, mais
ceux qui existent ne donnent pas satisfaction à tout le monde,
à nous en particulier, qui sommes une télé. Nos visiteurs
restent en moyenne entre 12 et 13 minutes sur le site, ils
vont rearder une quinzaine de pages et rester longtemps sur
une même page. Nous sommes vraiment atypiques. Comparer l'audience
de deux sites Internet, c'est comparer deux médias différents.
One ne peut par exemple pas comparer l'audience d'un site
qui fait du transactionnel à celle d'un site d'information.
Où en êtes-vous
en termes financiers ?
On va faire ce qu'on avait dit, sans plus. On sera à un peu
de 10 millions de francs de chiffres d'affaires en fin d'année,
essentiellement constitué par le BtoB, à 90% environ, pour
des dépenses cinq fois supérieures. On est dans une phase
d'investissement, de conquête de marchés, d'autant plus que
dans la télévision, nous avons affaire à des groupes très
gros. Pour nous, c'est la course contre la montre. On s'est
développé, extrêmement vite alors qu'on aurait pu être
à l'équilibre en deuxième année si on était resté sur
le modèle BtoB avec quinze personnes en train de faire de
la prestation d'entreprises et pour les mairies. Mais ce n'est
pas du tout notre business plan. Nous voulons être un média,
un opérateur de télévision spécialisé dans la télévision thématique
et cela a un coût.
Quels sont
les effectifs de Canalweb ?
120 personnes. On a doublé le personnel tous les six mois
depuis la création. On va marquer un peu le pas, car on a
désormais les ressources nécessaires pour développer les filiales,
sauf au niveau de la plateforme technique, qui aura sa propre
logique de développement.
Et les
filiales à l'étranger ?
Ce sont des équipes de six à dix personnes qui doivent produire
à partir d'octobre des programmes pour les besoins locaux.
En Espagne, nous nous sommes associés à une société de production
qui exploite Barcelone TV. En Angeleterre, avec H2P, créée
par un ancien de la BBC. En Allemagne, nous avons pris un
ancien des studios de Babelsberg qui a pour mission de trouver
un partenaire local. La fonction principale de ces filiales
va être de créer les bouquets de programmes, sachant qu'elles
n'auront pas à investir dans les aspects techniques.
A quoi
vous a servi votre deuxième tour de table de 130 millions
de francs en mai dernier ?
Il accompagne le développement de CanalWeb jusqu'à son entrée
en Bourse. C'est un marche-pied. Le marché nous donnera ensuite
les moyens de nous hisser au rang d'opérateur de télévision
en Europe face à de grosses machines commme Telefonica, Endemol,
Vivendi ou Carlton.
Votre entrée
en Bourse était annoncée fin 2000...
C'est trop tôt. Nous avons été très occupés à développer la
société et nous allons maintenant nous consacrer à l'écriture
du document d'introduction. J'espère qu'on aura terminé
fin novembre pour entrer en Bourse le plus tôt possible en
2001. En même temps, les investisseurs ont besoin de clarté
sur le business model. C'est une des raisons de la constitution
en groupe avec notre activité de diffusion (CanalWebcast),
notre bouquet de programmes (Canalweb.net) , qui est le cur
de notre métier, CanalWeb Corporate et les filiales thématiques.
Je n'ai pas envie de raconter n'importe quoi au marché, qui
est de plus en plus méfiant et veut qu'on lui présénte un
projet cohérent. Il n'a pas forcément besoin qu'on lui dise
"on sera à l'équilibre l'année prochaine", mais de comprendre
le business model et d'avoir les preuves qu'il fonctionne.
Une fois qu'on aura développé une base de données d'abonnement
sur la plate forme, avec des gens qui s'inscrivent - même
gratuitement-, une fois qu'on commencera à avoir des annonceurs
verticaux, par thème, on pourra dire que le modèle de revenus
abonnement + publicité marche.
La
qualité technique de la télévision sur Internet laisse encore
à désirer. A quand une qualité de rendu équivalente à la télévision
?
C'est possible aujourd'hui si on est abonné au câble ou à
l'ADSL. On peut recevoir du "moyen débit".
C'est une image comparable à la télévision, même si ce n'est
pas encore ça. Nous commençons à travailler sur la diffusion
en haut-débit de nos programmes. Elle ne concerne qu'une minorité
de privilégiés mais les opérateurs se font une telle concurrence
qu'ils vont accélerer la pénétration de l'ADSL et du câble
chez les particuliers. Et nous sommes évidemment la "killer
application du broadband". Ce dernier ne sert à rien s'il
n'y a pas la télé ou la musique. Sinon, autant aller voir
AOL et prendre un forfait à 0 francs par mois, télécommunications
comprises, pour avoir Yahoo!, Amazon ou Allociné.
Quelles
conséquences pour les câblo-opérateurs ou les opérateurs ADSL
?
Pour vendre leurs abonnements haut-débit, il va falloir qu'ils
expliquent qu'on peut recevoir 200 chaînes thématiques comprises
dans l'abonnement. Il y aura des sytèmes de transfert de revenus
assez similaires à la télé, où les ISP reverseront une part
de l'abonnement à des opérateurs comme nous.
Vous travaillez
déjà avec ces acteurs ?
On discute. Cela fait un an qu'on demande à Netissimo de diffuser
les programmes en haut-débit sur leur plateforme, à l'essai.
Moi je ne veux pas me transformer en ISP, je ne vais pas aller
gérer de l'abonnement et installer des prises ADSL chez les
gens. Nous sommes éditeurs d'un bouquet de chaînes de télévision
et nous souhaitons le vendre à des gens. On le vendra vraisemblablement
via les deux ou trois gros distributeurs Internet qui resteront
dans ce pays d'ici deux-trois ans.
Quelle
est votre principale attente en matière technologique ?
Le haut-débit
C'est l'avenir de notre métier en tant qu'opérateur
de télévision interactive et il n'est pas du tout stabilisé.
Les tuyaux, ça marche et tout le monde peut passer une vidéo
en ligne, mais exploiter un bouquet de programmes, c'est plus
compliqué. Nous travaillons actuellement sur le cahier des
charges de l'évolution de notre plate-forme vers le haut débit.
Quels sont
vos sites préférés ?
Le jour où j'aurais
un lecteur MP3, je dirai FranceMP3 ou Napster, parce que j'aime
bien la musique ciblée. Mais pour l'instant, le site que j'utilise
le plus, en dehors du mien, évidemment, c'est les Pages jaunes
et les Pages blanches.
Qu'achetez-vous
sur le Net?
Je fais mes courses
sur Télémarket.
Qu'aimez-vous
sur le Net ?
La télévision et l'e-mail.
Et
que détestez-vous le plus ?
Me connecter
avec un modem.
|