INTERVIEW
 
Trésorier
Betor Cfdt
Jean-Michel Rousseau
"Titre"
Composante de la CFDT, l'organisation syndicale Bétor CFDT est connue pour l'importance de son engagement dans le secteur de l'informatique et des SSII. Jean-Michel Rousseau, analyste chez Cap Gemini, est à la fois vice-secrétaire du comité d'entreprise international du groupe et trésorier du Bétor CFDT.
Dans la période agitée que connaît le secteur, Jean-Michel Rousseau s'exprime sur le dossier des 35 heures. Attentif également à la réglementation portant sur l'utilisation de nouvelles technologies dans l'entreprise et plus généralement à l'évolution du management RH, il évoque l'utilisation du mail sur le lieu de travail ainsi que les conséquences des nouvelles formes d'organisation du travail sur la vie collective et syndicale dans l'entreprise.
29 novembre 2001
 
          

Emploicenter. Pourriez-vous d'abord nous rappeler l'origine du Betor ?
Jean-Michel Rousseau. Le Bétor a été créé en 1963 par des ingénieurs de bureaux d'études techniques qui voulaient mettre en place un syndicat pour des cadres issus de métiers non industriels. Les métiers des services informatiques sont devenus prépondérants pour le Bétor au cours des années 70. Nous nous sommes ensuite engagés dans la high-tech au sens large.

Quel est le nombre d'adhérents de votre syndicat ?
La réponse est complexe car nous ne couvrons pas l'ensemble du secteur informatique pour la France au sein de la CFDT. Par exemple, les salariés d'une petite entreprise locale de Clermont- Ferrand ne dépendront pas du Bétor mais plutôt du syndicat CFDT local. Mais, pour répondre précisément à la question, nous avons aujourd'hui environ 3 500 adhérents. 36 % d'entre eux sont issus du secteur informatique, environ 15 % du secteur de la publicité et 15 % des bureaux d'études. Le secteur du conseil ne représente que 6 % de nos adhérents.

35 HEURES
"Un bon accord 35 heures se situe au-delà de la moyenne de 12 jours de RTT"

 

 

Où en est le secteur high-tech dans la mise en place des 35 heures ?
Nous avons signé beaucoup d'accords sur les 35 heures mais il m'est difficile de dresser un bilan car je n'ai pas de chiffres sur l'ensemble des entreprises du secteur. Ce que je peux dire, c'est que les grandes entreprises comme Atos, Cap Gémini ou encore Unilog sont passées assez vite aux 35 heures. Pour les entreprises moyennes, on a deux cas de figure : certaines ont décidé d'anticiper le mouvement et ont choisi de mettre en oeuvre les 35 heures très tôt, mais elles sont minoritaires sur le marché. De l'autre côté, la majorité des petites entreprises ont maintenant compris qu'elles devaient franchir le cap et travaillent actuellement à la préparation de leur accord sans attendre un éventuel aménagement légal du passage aux 35 heures. Nous sommes actuellement submergés de demandes d'entreprises qui souhaitent mettre en place un tel accord.

Combien d'accords avez-vous signé à ce jour ?
Le Bétor est un des grands pourvoyeurs d'accords RTT en région parisienne avec environ 700 accords signés.

Comment expliquez-vous que les entreprises soient si nombreuses à vous solliciter sur le sujet ?
D'abord pour les entreprises, la CFDT apparaît comme un interlocuteur presque naturel pour les 35 heures car nous avons porté cette revendication depuis les années 60. De plus, nous sommes considérés comme un syndicat réaliste par rapport aux spécificités professionnelles de la branche. Nous apparaissons comme un syndicat capable de prendre en compte les préoccupations des cadres et des travailleurs indépendants.

On vous considère donc comme un interlocuteur plus modéré ?
On peut dire les choses comme ça. Je parlerais plutôt de notre pragmatisme.

Quelles sont les principales dispositions de ces accords 35 heures ?
D'abord, on sait que, dans cette branche, le contrôle du temps de travail est très relatif. C'est pourquoi la plupart des accords se fondent sur des jours de récupération RTT. Ce qui compte pour nous, c'est que le nombre de jours de RTT soit significatif. En principe, en dehors de l'accord Cap Gémini qui n'a pas été signé par la CFDT, nous ne signons pas d'accord en deçà de 10 jours de RTT. Mais il y a aussi des accords qui fixent 15 ou 17 jours. En revanche, il faut avouer que très peu d'accords prévoyant plus de 20 jours de RTT ont tenu.

Pour quelles raisons ?
A partir d'un certain niveau, ça pose des problèmes de choix des jours de RTT. Dans ces métiers, la gestion des jours de congés payés était déjà délicate et la gestion des RTT rend plus grande cette difficulté de gestion. Cela entraine d'ailleurs une évolution, car dans les premiers accords, les entreprises cherchaient à maximiser le nombre de jours de RTT choisis par l'employeur. Mais dans la pratique, on s'aperçoit que les entreprises ont tellement de difficultés à planifier les jours de RTT imposés, qu'elles ont tendance à laisser les salariés choisir également les jours employeurs. Dans les accords récents, la tendance est donc à laisser plus de jours au choix du salarié. Plus l'entreprise est grande, moins elle sait gérer les jours de RTT.

Quelle est pour vous la fourchette d'un bon accord RTT ?
La question est difficile, je dirais que la moyenne étant de 12 jours, un accord qui se situe au-dessus de cette moyenne est un bon accord. Mais il ne faut pas se limiter aux seuls jours de RTT pour apprécier l'intérêt d'un accord 35 heures.

Quels sont les autres paramètres à prendre en compte ?
Je pense par exemple au fait de décompter les cadres considérés comme autonomes en jours de travail et non plus en heures. Il s'agit d'une mesure introduite par la loi Aubry II. Pour eux, on considère qu'ils travaillent 217 jours par ans sans référence à des heures de travail ou à des heures supplémentaires. La seule exigence est de leur accorder au moins 10 heures de pause entre deux journées de travail.

Mais quel est l'intérêt pour le cadre ?
Et bien on sait que cette pratique est courante dans notre secteur alors que très peu de contrats de travail introduisaient la notion de forfait pour les cadres. L'intérêt de la loi Aubry, c'est qu'elle consacre cette situation de fait, tout en limitant cette pratique aux cadres de niveau III selon la convention collective, soit des niveaux de salaires de l'ordre de 2 fois le plafond de la sécurité sociale ce qui correspond à près de 30 KF par mois. On reconnaît donc l'existence du cadre autonome à partir du moment où son niveau de salaire consacre ce niveau de responsabilité. C'est un élément collatéral des accords. Cela choque dans d'autres branches mais contrairement à des secteurs comme la pub et les télécoms, nous avons ainsi limité cette pratique à un niveau restreint de cadres. Mais cet accord de branche Syntec n'a été voté que la CFDT et la CGC.

Beaucoup d'accords 35 heures font une différence entre le nombre de jours de RTT accordés aux cadres et ceux accordés aux non-cadres, qu'en pensez-vous ?
Beaucoup d'accords sont effectivement plus généreux pour les non-cadres. Mais nous n'approuvons pas cette pratique car elle ne reconnaît pas la qualité de l'investissement des cadres. Cependant, cela ne nous empêche pas non plus de signer un accord prévoyant ce type de disposition.

Comment intervenez-vous pour la négociation d'un accord 35 heures ?
Pour les sociétés qui n'ont pas de délégués syndicaux, la loi prévoit la possibilité qu'un salarié soit mandaté par une organisation syndicale pour négocier. Dans notre cas, le salarié doit être adhérent au Bétor pour négocier en notre nom et c'est finalement le syndicat qui contre-signe définitivement l'accord.

La nécessité de boucler les accords 35 heures n'entraîne-t-elle pas des adhésions de circonstances ?
C'est un risque, il y a effectivement des salariés qui adhèrent au Bétor pour cette unique raison, mais l'enjeu pour nous est de les convaincre de poursuivre leur engagement au-delà du seul accord des 35 heures. Sur nos 3 500 adhérents, je pense que 700 sont venus à l'occasion des mandatements 35 heures.

Quel est le taux de salariés syndiqués dans le secteur, sachant que la moyenne nationale se situe à 8,6 % de la population active selon l'Insee ?
Nous avons peu de visibilité mais je pense qu'il se situe à 1 ou 2% seulement des actifs du secteur. Nous cherchons donc à montrer aux salariés mandataires l'intérêt du syndicat dans ses négociations avec l'employeur, même lorsqu'il s'agit d'une petite structure.

Quelle a été la conséquence des 35 heures pour les entreprises ?
Cela a permis aux sociétés de remettre à plat la charge de travail, notamment pour les cadres. Même s'ils ne sont pas toujours d'accord sur le principe, tous les salariés sont attentifs aux conditions du passage aux 35 heures.

Mais les entreprises françaises ne sont-elles pas pénalisées par les 35 heures à l'échelle internationale malgré l'intérêt que la loi présente pour les salariés ?
C'est un débat complexe et sans fin. Prenez par exemple la concurrence que nous livrent les pays de l'Europe de l'Est comme la Tchécoslovaquie ou la Pologne dans lesquels les niveaux de salaires ne sont pas comparables avec les nôtres : nous n'allons pourtant pas réduire les salaires en France ! Ce qui compte c'est plutôt la tendance vers laquelle se dirigent ces pays émergents et le sens général vers lequel les autres pays évoluent. Au niveau syndical, l'expérience française est observée avec beaucoup d'attention, en Espagne, Italie et en Belgique notamment, Ce sont des pays dont nous sommes très proches sur le plan culturel. En Allemagne, ils explorent une autre voie avec le projet de faire évoluer le temps de travail en fonction de l'avancement du salarié dans sa carrière. Nous rejoignons également cette idée avec le principe du compte épargne temps. L'idée est de pouvoir travailler davantage à un certain moment de sa carrière pour récupérer du temps libre pour l'avenir.

Pour finir sur les 35 heures, pensez-vous qu'elles ont permis des créations d'emploi ?
Il y a eu des créations de postes au début de la loi Aubry dans les grandes entreprises, mais il s'agissait d'une période de forte croissance et l'impact réel de la loi a été difficile à cerner. Nous avons remarqué peu de croissance d'effectifs d'administratifs mais plutôt des embauches pour les postes productifs. Je pense qu'il s'agissait plutôt d'une conséquence de la bonne tenue du contexte économique. Le ralentissement du marché de l'emploi à partir de juillet dernier conforte cette idée.

MARCHE DE L'EMPLOI HIGH-TECH
"Les SSII sont dans une phase d'anticipation de la crise car elles manquent de visibilité"

 

 


Quel est votre sentiment sur l'évolution du marché à court et moyen terme ?
En dehors des constructeurs informatiques qui sont très touchés actuellement, les SSII sont plutôt dans une phase d'anticipation de la crise car elles manquent de visibilité. Cela n'a rien à voir avec la crise du début des années 90. Il y a beaucoup de reports de contrats mais ce n'est pas une vraie tempête. Je pense qu'il s'agit d'une situation transitoire qui devrait évoluer à partir de la fin du premier semestre 2002.

Quelles sont les conséquences des nouvelles formes de travail comme le télétravail, le travail collaboratif ou encore le statut d'indépendant sur la notion d'entreprise?
Nous avons entamé une réflexion en Europe sur le télétravail et les notions de travailleurs dépendants et indépendants. La première chose à préciser est que le télétravail est encore très peu développé. En Belgique, par exemple, un pôle d'activité ultra-moderne avec des infrastructures permettant le télétravail avait été mis en place, mais aujourd'hui il est très peu utilisé. Le véritable télétravail reste très rare. On a vu se développer une autre forme de télétravail, qui est plus une délocalisation du travail avec les call-centers internationaux, mais cela n'a pas grand chose à voir avec ce que nous imaginions il y a quelques années.

Et que pensez-vous du nombre non négligeable d'informaticiens qui choisissent le statut de freelance ?
Nous sommes hostiles à l'idée que des entreprises remplacent leurs salariés par des freelances contractualisés. C'est une façon de précariser le statut de salariés qui passent d'une relation employeur-salarié à une relation client-prestataire. Nous nous interrogeons sur la socialisation des travailleurs isolés. Mais de mon point de vue, ce phénomène reste marginal. Plus largement, ce qui nous pose question est la socialisation de l'ensemble des salariés du secteur high-tech car la technologie a pour conséquence un isolement de plus en plus important des personnes. Cela nous pose également des problèmes en tant qu'organisation syndicale.

De quels problèmes s'agit-il ?
Les salariés n'ont plus vraiment de rapports entre eux, de sorte que, pour le syndicat, il faut établir et entretenir des liens avec chaque salarié individuellement. Ce n'est pas le mode de fonctionnement traditionnel du syndicat qui était plutôt organisé par section d'entreprises. Actuellement, 20 à 30 % de nos adhérents le sont à titre individuel.

Vous utilisez beaucoup Internet et le mail pour vos relations avec vos adhérents ?
C'est même devenu le moyen privilégié pour communiquer dans le cadre de la vie syndicale. Or, l'utilisation de la messagerie professionnelle pour ces correspondances pose parfois problème à l'employeur. En général, nous cherchons à résoudre ces difficultés grâce à des accords avec les entreprises concernées.

Que vous inspire la récente jurisprudence de la cour de cassation qui interdit à l'employeur d'accéder aux mails personnels des salariés ?
C'est une jurisprudence qui mérite d'être consolidée et nous allons bientôt nous-même pouvoir l'éprouver car nous avons le cas d'un adhérent qui vient d'être licencié suite à un mail échangé avec nous. Nous allons naturellement accompagner le salarié dans son action fondée sur cette jurisprudence.

Que pensez-vous de la multiplication des règlements intérieurs et des chartes d'utilisation restrictives sur l'utilisation d'Internet et de la messagerie dans l'entreprise ?
Une somme d'interdictions qui n'a pas fait l'objet d'une négociation en amont est très vite lue et très vite oubliée par le salarié. On ne peut pas imaginer que le salarié n'utilise jamais son poste de travail pour consulter un horaire de train ou pour l'envoi d'un mail à des fins personnelles. Tout est affaire de règles générales et de mesure. Mais cela revient au problème posé par l'utilisation du téléphone professionnel il y a quelques années. Cela pose aussi souvent la question de la possibilité d'accéder au site du syndicat pour le salarié. Ce type de problème est généralement réglé, non sans difficultés, dans le cadre des accords négociés dont je vous parlais.

A quelles difficultés faites-vous référence ?
Nous avons eu par exemple le cas d'une entreprise avec laquelle nous avions négocié la duplication de notre site dans son propre Intranet. Mais dans la pratique l'entreprise supprimait l'ensemble des liens hypertextes du site. Une autre difficulté se pose lorsque nous voulons communiquer avec l'ensemble des salariés de l'entreprise sous forme de liste de diffusion. La hantise de l'entreprise reste l'idée d'une communication générale de la part du syndicat pour déclencher un mouvement de grève.

La fin de l'ère start-up a-t-elle modifié le regard des salariés du secteur vis à vis de votre organisation syndicale ?
Absolument. Pendant cette période, l'idée du syndicalisme était à mille lieues des préoccupations des salariés, en particulier des jeunes qui ont rejoint ces structures. Tout se passait comme si ces salariés se pensaient à l'écart du monde du travail ordinaire, loin des contingences classiques des salariés. Le retournement a été violent et massif. Beaucoup de ces jeunes salariés se sont retrouvés dans les lieux-communs du salariat du jour au lendemain et ils ont alors été très nombreux à nous contacter pour les aider lors de la disparition de leur entreprise.

SYNDICALISME
"Le syndicalisme peut être autre chose que la simple revendication du maintien de tel ou tel avantage acquis"

 

 

 

Que pouviez-vous faire pour eux ?
Très peu de choses malheureusement, car on nous demandait d'intervenir beaucoup trop tard pour des entreprises très jeunes. Mais cette expérience permettra peut-être de comprendre qu'aucune filière, aucune entreprise ne se situe à l'extérieur du monde du travail et que le syndicalisme pouvait être autre chose que la simple revendication du maintien de tel ou tel avantage acquis.

Comment expliquez-vous cela ?
En fait, bon nombre de ces salariés pensaient pouvoir établir un lien direct avec leur employeur et que ce lien direct leur suffisait pour s'assurer de la conformité de leur contrat de travail. Mais l'expérience nous montre que les clauses de mobilité, de non-concurrence et même de dédit formation sont de plus en plus courantes dans les contrats de travail du secteur high-tech. Au final, les salariés signent des clauses parfois à la limite de la légalité, par lesquelles ils s'engagent à rembourser une somme forfaitaire, supérieure au coût de leurs formations s'ils démissionnent avant une certaine date. D'autres clauses reviennent à les empêcher de continuer à travailler dans le secteur après leur départ. Mais lorsque l'on vient nous voir, il est souvent trop tard.

Quelle demande formuleriez-vous à l'intention du futur président de la république ?
Je demanderais deux choses : d'abord une mesure d'aide économique au secteur pour accélérer le développement de l'Internet haut-débit. Puis, je demanderais également une refonte du droit du travail dans les très petites entreprises pour permettre la poursuite des négociations sous forme de mandatement au-delà des accords 35 heures.

Pour finir, sur un plan plus personnel, vous utilisez beaucoup Internet ? Beaucoup effectivement. D'abord, je reçois énormément de demandes par mails, une quarantaine par jour en moyenne et cela représente maintenant une partie non-négligeable de mon temps de travail. Sinon, j'achète aussi beaucoup sur le web, depuis mes billets de train sur le site de la SNCF, des jeux vidéo sur Alapage et je réserve aussi souvent depuis les sites web des petits hôtels indépendants.

 
Propos recueillis par Fabien Claire

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