JDNet.
Quelles sont aujourd'hui les différentes structures
de votre groupe ?
Marco Tinelli.
En fait nous sommes à
peu près organisés comme une cabinet de
conseil avec huit associés au sein de l'agence
qui gèrent à la fois l'agence et leurs
clients. Sous le nom du groupe Grey Interactive, nous
avons trois marques différentes : Fullsix,
qui est une activité de conseil au champ très
large, Fullsix Research, qui est une société
d'étude on et offline, et Six Com dont l'activité,
si l'on est réducteur, correspond à de
l'achat d'espace. Nous avons donc mis dans Six Com toutes
les activités de génération d'audience,
c'est-à-dire l'achat d'espace mais aussi l'e-mailing,
le référencement et l'affiliation. Je
pense qu'une activité d'achat d'espace seule
n'est pas pertinente.
Vous
ne vous considérez donc pas comme une web-agency
?
Non, même si
c'est souvent la catégorie dans laquelle on nous
classe sur le marché. Pourtant nous avons des
activités de conseil dont le produit final n'est
pas lié à une campagne ou à une
opération de communication. Notre activité
d'audit de business plan est par exemple aujourd'hui
une activité qui se porte particulièrement
bien. Mais nous avons, c'est vrai, une activité
marketing autour de la conception de site et une activité
de communication. Il s'agit d'une véritable offre
intégrée autour de la culture de l'interactivité.
Mais la marque Grey Interactive ne nous permet pas d'exprimer
tout cela, car elle très associée à
l'activité de web-agency. C'est la raison pour
laquelle nous avons créé FullSix pour
modéliser cette offre intégrée.
En terme de volume, l'activité web-agency représente
environ 50% de notre chiffre d'affaires.
Que
représente l'ensemble du groupe sur le plan des
ressources humaines ?
Sur la France,
nous employons environ 250 personnes soit grosso-modo
une centaine de consultants, une centaine de créatifs
et une cinquantaine d'ingénieurs. Pour les différentes
enseignes, SixCom représente une petite quinzaine
de personne, FullSix Research représente dix
personnes et le reste de l'activité Grey-Interactive
FullSix mobilise 225 personnes.
Vous
travaillez avec de nombreux grands comptes. Qu'est-ce
qui a changé dans leurs projets depuis un an ?
Globalement il y
a moins de choses et les projets sont repoussés
dans le temps. Mais il reste malgré tout des
projets et des investissements très significatifs
sur le online. La différence est qu'ils sont
beaucoup plus concentrés. Prenez par exemple
un client de la taille du Crédit Lyonnais. Et
bien ce client n'a plus trois projets à 1 million
de francs mais un seul à trois millions de francs.
Ces acteurs privilégient donc les vrais projets
stratégiques. Par ailleurs la notion d'urgence
a disparue.
Comment
expliquez-vous cela ?
Beaucoup de gens
reprennent leur souffle après avoir vécu
un sprint pendant quatorze mois. Ce qui induit une espèce
de fatigue générale à la fois chez
les clients et chez les prestataires. On revient aujourd'hui
à des cycles décisionnels plus normaux.
La grande terreur des dotcoms qui allaient dépouiller
les banques en 20 minutes et récupérer
tous leurs clients sur Internet est passée. Quand
on est une banque comme le Crédit Lyonnais ou
le CCF, on ne se dit plus que si le projet n'aboutit
pas avant la fin de l'année on risque de disparaître.
Quels
en sont les impacts sur Grey interactive ?
C'est d'abord un
changement d'organisation. Nous avions beaucoup investi
sur des outils d'organisation pour aller très
vite. Nous nous nous adaptons progressivement à
la gestion de délais plus longs. C'est plutôt
déstabilisant pour une entreprise comme la nôtre,
car nous ne pouvons plus gérer un budget comme
l'année dernière.
Concrètement
quelles sont les incidences sur la vie de l'agence ?
Par exemple sur
la gestion des heures. L'année dernière,
un client arrivait avec un projet et occupait 100% d'une
équipe pour un mois. L'équipe se reposait
un jour ou deux puis recommençait avec l'arrivée
d'un nouveau client. Les équipes étaient
mono-client et sur des délais courts. Aujourd'hui
les équipes se consacrent à plusieurs
clients sur des délais plus longs. C'est d'ailleurs
mieux pour les créatifs qui ne peuvent pas éternellement
travailler dans l'urgence. En revanche sur la gestion
du niveau d'activité c'est déstabilisant.
Mais nous nous sommes réorganisés pour
cela en avril dernier.
Faut-il
comprendre qu'il n'y a plus du tout de projets urgents
?
Si, nous avons
tout de même le cas de sociétés
qui ont un timing précis mais qui hésitent
longuement avant de lancer le projet. Par exemple je
pense à un projet qui devait démarrer
en avril pour un lancement en septembre mais pour lequel,
finalement, l'accord n'est arrivé qu'en juin
avec toujours la nécessité de démarrer
en septembre.
Quels
sont vos principaux clients ?
Ceux qui me viennent
en premier sont des groupes comme Procter, Mars, Fimatex,
le Crédit Lyonnais, Orange ou Carrefour. Pour
ces groupes nous travaillons souvent sur des sites marketing.
Pour Carrefour nous faisons vraiment de tout. Sur le
projet Carrefour Vacances par exemple, nous avons couvert
à la fois la définition du site, sa réalisation
et ses développements intranets. Pour le Crédit
Lyonnais, nous intervenons également à
la fois sur l'intranet, sur la communication pour e-créditlyonnais
mais aussi sur le site corporate.
Pourtant
le Crédit Lyonnais a investit dans la Web agency
ImageForce ?
Oui, mais il s'agit
là d'une stratégie d'investissement qui
n'a rien à voir avec l'opérationnel. Tout
le monde ne fait pas comme Europ@web.
C'est-à-dire
?
Rien, je n'ai rien
dit (rires). Europ@web avait une volonté d'investissement
stratégique avec deux objectifs : la réalisation
d'une plus-value financière et faire travailler
ensemble ses participations. Vu d'ici, je ne suis pas
sûr que cela ait eu un grand succès. Mais
cela ne nous empêche pas de travailler pour Europ@web.
Parmi
vos clients historiques figure iBazar. Son rachat par
eBay risque-t-il de remettre en cause cette collaboration
?
A priori non. J'espère
même que nous travaillerons pour eBay aux Etats-Unis,
et rien ne nous permet de penser à une remise
en cause de cette collaboration.
Quels
sont vos autres grands clients parmi les dotcoms ?
Nous travaillons
beaucoup avec Fimatex, Oreka mais nous ne travaillons
plus avec Boursorama, qui a décidé de
faire sa communication en interne. C'est d'ailleurs
ce qu'ils auraient probablement dû faire dès
le début. Mais ce secteur génère
quand même beaucoup moins d'activité. Dans
nos clients récents nous avons CDC Zontazz, spécialisé
dans l'archivage intelligent de données numériques,
ou encore eWin, spécialisé dans le développement
de nouveaux formats publicitaires rich-média
avec un coût réduit pour l'annonceur. Nous
les avons d'ailleurs aidés dans la conception
de leur technologie.
Le
marché publicitaire en ligne est remis en cause
actuellement, qu'en pensez-vous ?
Sur l'état
des lieux du marché, il me semble qu'il ne faut
pas trop dramatiser. Le marché de la pub en ligne
n'est pas forcément plus en retard dans son histoire
qu'ont pu l'être des médias comme le câble
et la télé. Une récente étude
de Marketer montre qu'Internet génère
actuellement autant de revenus publicitaires que lorsque
la télévision avait 30 ans d'existence
et cinq fois plus que le câble après 3
ans d'existence. Mais au-delà de ces combats
d'arrière-garde, le principal problème
c'est que globalement la pub en ligne a été
mal utilisée. Je pense même que si j'étais
un annonceur qui avait testé l'année dernière
ce qu'on proposait à l'époque, je ne le
referai pas.
Mais
vous avez vous-même contribué à
l'élaboration de ces campagnes ?
C'est parfaitement
exact. Je crois que dans l'urgence toute l'industrie
s'est laissé aller à la facilité.
On a conçu des bannières standards, assez
peu créatives tout en faisant croire que ce qui
compte sur une campagne à 150.000 francs c'est
le CPM. Tout cela n'est pas structuré et ça
rend la communication en ligne extraordinairement complexe
à gérer. Le marché est beaucoup
trop fragmenté. Sur l'achat d'espace en télé,
vous avez aujourd'hui trois grandes régies. Si
vous voulez faire de l'achat d'espace sur Internet vous
devez travailler avec 40.000 grandes régies avec
des prix et des modes de vente qui changent tous les
jours à la tête du client. Le résultat
c'est que dans notre activité SixCom nous passons
autant de temps pour gérer un budget global de
200.000 francs que quelqu'un qui traite en télévision
un budget de 40 millions de francs ! C'est donc plus
un problème d'afflux de demandes sur un marché
qui n'était pas prêt et non structuré,
plus qu'un problème de format publicitaire.
Comment
doit donc être vendu le média Internet?
Il ne faut pas
le vendre pour ce qu'il ne sait pas faire. L'interactif
n'est pas fait pour gérer de la notoriété,
on le sait.
De
nombreux post-test et plusieurs études semblent
démontrer pourtant un certain effet de la publicité
en ligne en terme de notoriété ?
Certes, mais si
l'objectif est de faire seulement de la notoriété,
en terme de rapport qualité prix, ce n'est pas
le bon média. Cela ne veut pas dire que le Web
n'a aucun effet en terme de notoriété,
mais ce n'est pas sa principale vocation. Les raisons
pour lesquelles on a dit aux gens qu'il fallait aller
sur Internet étaient en décalage avec
la réelle utilité du support. Et je le
dis parce que nous avons nous-même fait les mêmes
conneries. Simplement ça a été
fait dans l'urgence. Aujourd'hui le retour de bâton
est assez violent mais plutôt justifié.
Quelle
réponse apporter à la situation actuelle ?
Il ne sert à
rien de pleurer sur le sujet, il faut trouver une réponse
adéquate. C'est pourquoi nous avons développé
l'activité SixCom qui va au-delà de l'achat
d'espace et offre un arsenal plus complet avec une approche
plus sérieuse. Le support Internet est suffisamment
efficace et compétitif en terme de qualité
de message perçu et en terme de taux de mémorisation.
Le rapport qualité-prix est donc excellent. Nous
avons également arrêté une énorme
connerie qui était de spécialiser des
créatifs sur la seule création de bannières,
simplement pousser par l'afflux de la demande sur le
marché.
Et
en terme de média-planing ?
Nous nous sommes
organisés avec les régies, parce que je
trouve intolérable qu'un web-planner ait besoin
d'appeler quinze régies avant de savoir ce qu'il
peut élaborer comme campagne. Nous avons mis
au point des outils pour simplifier ça et connaître
à la fois les tarifs actualisés et les
performances de nos campagnes antérieures.
Ne
devrions-nous pas assister à une concentration
des régies sur le marché ?
Objectivement je
pense que d'ici le premier semestre 2002, il ne restera
que 3 ou 4 régies significatives. Quant aux régies
internes, je considère que c'est le cache-sexe
de la crise. Certains ont pensé que leur régie
était incompétente, ce qui n'est d'ailleurs
pas toujours faux. Ils ont cru que l'internalisation
de la régie était une bonne chose. Mais
je pense qu'on revient actuellement à des choses
plus rationnelles. Les éditeurs commencent à
comprendre que la pub ne suffira pas à faire
vivre leur site, ni leurs résultats. Ils commencent
à se tourner à nouveau vers des régies
performantes pour se consacrer à leur métier
et atteindre l'équilibre financier.
Et
la reprise du marché publicitaire, vous l'attendez
pour quand ?
Je n'ai absolument
aucune idée sur le sujet. Je crois que tout le
monde a un grand espoir pour la rentrée, mais
moi je n'en suis pas convaincu car plusieurs effets
se conjuguent : les problèmes de performance,
de frilosité générale face à
la pub Internet, car c'est tellement plus facile de
faire autre chose. Je ne vois pas de vraie reprise avant
le début 2002 et, si reprise il y a, elle sera
beaucoup moins violente qu'en 2000. Les choses vont
se stabiliser et repartir doucement.
Sur
un plan plus personnel, quels sont vos sites favoris?
Je lis beaucoup
Business2.com
. Sinon sur un plan plus privé je suis totalement
fou d'histoire et j'adore tous les sites consacrés
à cette matière avec des sites comme Historia.
J'aime bien par exemple le site
de la fondation Napoléon. Mais je pense en fait
que nous manquons d'un vrai grand site consacré
à l'histoire. Sinon j'aime bien Citation
du Monde que je trouve rigolo.
Vous
achetez en ligne ?
Oui, beaucoup.
J'achète souvent des livres sur Amazon.
J'ai longtemps utilisé la Fnac
mais il ne m'ont pas livré plusieurs commandes
à Noël, donc j'ai abandonné définitivement.
Je fais mes courses avec un cybermarché, mais
deux sont des clients... je ne donnerai donc pas de
noms ! J'achète des voyages sur Travelprice
qui est lui aussi un de nos clients et des fleurs chez
Interflora.
J'ai également acheté des cigarettes en
duty-free, pour voir, sur un site suisse mais il ne
faut pas le dire.
Qu'est
ce vous aimez sur Internet ?
J'aime le contenu
utile et efficace et l'insolence en terme de ton.
Il
y a des choses que vous n'aimez pas sur le réseau
?
Je n'aime pas le
pipeau, c'est-à-dire tous les mots que personne
ne comprend, par exemple "si on faisait du CRM
en B2C et je ne sais quoi"... Ca me met vraiment
hors de moi ! Il y a beaucoup plus intelligent
et utile à faire que ça.
|