INTERVIEW
 
PDG
Grey interactive
Marco Tinelli
"Titre"
Président et fondateur de l'agence Grey Interactive, Marco Tinelli est un observateur attentif du monde interactif dans lequel évolue l'agence depuis sa création en 1997. Avec 101 millions de francs de marge brute l'année dernière, et un objectif de 170 à 200 millions de francs cette année, le groupe Grey Interactive est un acteur majeur du marché français. Marco Tinelli revient sur la structure du groupe qu'il dirige mais aussi livre un regard plutôt incisif sur l'état du marché publicitaire et les erreurs des agences spécialisées dans le secteur.06 juillet 2001
 
          

JDNet. Quelles sont aujourd'hui les différentes structures de votre groupe ?
Marco Tinelli. En fait nous sommes à peu près organisés comme une cabinet de conseil avec huit associés au sein de l'agence qui gèrent à la fois l'agence et leurs clients. Sous le nom du groupe Grey Interactive, nous avons trois marques différentes : Fullsix, qui est une activité de conseil au champ très large, Fullsix Research, qui est une société d'étude on et offline, et Six Com dont l'activité, si l'on est réducteur, correspond à de l'achat d'espace. Nous avons donc mis dans Six Com toutes les activités de génération d'audience, c'est-à-dire l'achat d'espace mais aussi l'e-mailing, le référencement et l'affiliation. Je pense qu'une activité d'achat d'espace seule n'est pas pertinente.

Vous ne vous considérez donc pas comme une web-agency ?
Non, même si c'est souvent la catégorie dans laquelle on nous classe sur le marché. Pourtant nous avons des activités de conseil dont le produit final n'est pas lié à une campagne ou à une opération de communication. Notre activité d'audit de business plan est par exemple aujourd'hui une activité qui se porte particulièrement bien. Mais nous avons, c'est vrai, une activité marketing autour de la conception de site et une activité de communication. Il s'agit d'une véritable offre intégrée autour de la culture de l'interactivité. Mais la marque Grey Interactive ne nous permet pas d'exprimer tout cela, car elle très associée à l'activité de web-agency. C'est la raison pour laquelle nous avons créé FullSix pour modéliser cette offre intégrée. En terme de volume, l'activité web-agency représente environ 50% de notre chiffre d'affaires.

Que représente l'ensemble du groupe sur le plan des ressources humaines ?
Sur la France, nous employons environ 250 personnes soit grosso-modo une centaine de consultants, une centaine de créatifs et une cinquantaine d'ingénieurs. Pour les différentes enseignes, SixCom représente une petite quinzaine de personne, FullSix Research représente dix personnes et le reste de l'activité Grey-Interactive FullSix mobilise 225 personnes.

Vous travaillez avec de nombreux grands comptes. Qu'est-ce qui a changé dans leurs projets depuis un an ?
Globalement il y a moins de choses et les projets sont repoussés dans le temps. Mais il reste malgré tout des projets et des investissements très significatifs sur le online. La différence est qu'ils sont beaucoup plus concentrés. Prenez par exemple un client de la taille du Crédit Lyonnais. Et bien ce client n'a plus trois projets à 1 million de francs mais un seul à trois millions de francs. Ces acteurs privilégient donc les vrais projets stratégiques. Par ailleurs la notion d'urgence a disparue.

Comment expliquez-vous cela ?
Beaucoup de gens reprennent leur souffle après avoir vécu un sprint pendant quatorze mois. Ce qui induit une espèce de fatigue générale à la fois chez les clients et chez les prestataires. On revient aujourd'hui à des cycles décisionnels plus normaux. La grande terreur des dotcoms qui allaient dépouiller les banques en 20 minutes et récupérer tous leurs clients sur Internet est passée. Quand on est une banque comme le Crédit Lyonnais ou le CCF, on ne se dit plus que si le projet n'aboutit pas avant la fin de l'année on risque de disparaître.

Quels en sont les impacts sur Grey interactive ?
C'est d'abord un changement d'organisation. Nous avions beaucoup investi sur des outils d'organisation pour aller très vite. Nous nous nous adaptons progressivement à la gestion de délais plus longs. C'est plutôt déstabilisant pour une entreprise comme la nôtre, car nous ne pouvons plus gérer un budget comme l'année dernière.

Concrètement quelles sont les incidences sur la vie de l'agence ?
Par exemple sur la gestion des heures. L'année dernière, un client arrivait avec un projet et occupait 100% d'une équipe pour un mois. L'équipe se reposait un jour ou deux puis recommençait avec l'arrivée d'un nouveau client. Les équipes étaient mono-client et sur des délais courts. Aujourd'hui les équipes se consacrent à plusieurs clients sur des délais plus longs. C'est d'ailleurs mieux pour les créatifs qui ne peuvent pas éternellement travailler dans l'urgence. En revanche sur la gestion du niveau d'activité c'est déstabilisant. Mais nous nous sommes réorganisés pour cela en avril dernier.

Faut-il comprendre qu'il n'y a plus du tout de projets urgents ?
Si, nous avons tout de même le cas de sociétés qui ont un timing précis mais qui hésitent longuement avant de lancer le projet. Par exemple je pense à un projet qui devait démarrer en avril pour un lancement en septembre mais pour lequel, finalement, l'accord n'est arrivé qu'en juin avec toujours la nécessité de démarrer en septembre.

Quels sont vos principaux clients ?
Ceux qui me viennent en premier sont des groupes comme Procter, Mars, Fimatex, le Crédit Lyonnais, Orange ou Carrefour. Pour ces groupes nous travaillons souvent sur des sites marketing. Pour Carrefour nous faisons vraiment de tout. Sur le projet Carrefour Vacances par exemple, nous avons couvert à la fois la définition du site, sa réalisation et ses développements intranets. Pour le Crédit Lyonnais, nous intervenons également à la fois sur l'intranet, sur la communication pour e-créditlyonnais mais aussi sur le site corporate.

Pourtant le Crédit Lyonnais a investit dans la Web agency ImageForce ?
Oui, mais il s'agit là d'une stratégie d'investissement qui n'a rien à voir avec l'opérationnel. Tout le monde ne fait pas comme Europ@web.

C'est-à-dire ?
Rien, je n'ai rien dit (rires). Europ@web avait une volonté d'investissement stratégique avec deux objectifs : la réalisation d'une plus-value financière et faire travailler ensemble ses participations. Vu d'ici, je ne suis pas sûr que cela ait eu un grand succès. Mais cela ne nous empêche pas de travailler pour Europ@web.

Parmi vos clients historiques figure iBazar. Son rachat par eBay risque-t-il de remettre en cause cette collaboration ?
A priori non. J'espère même que nous travaillerons pour eBay aux Etats-Unis, et rien ne nous permet de penser à une remise en cause de cette collaboration.

Quels sont vos autres grands clients parmi les dotcoms ?
Nous travaillons beaucoup avec Fimatex, Oreka mais nous ne travaillons plus avec Boursorama, qui a décidé de faire sa communication en interne. C'est d'ailleurs ce qu'ils auraient probablement dû faire dès le début. Mais ce secteur génère quand même beaucoup moins d'activité. Dans nos clients récents nous avons CDC Zontazz, spécialisé dans l'archivage intelligent de données numériques, ou encore eWin, spécialisé dans le développement de nouveaux formats publicitaires rich-média avec un coût réduit pour l'annonceur. Nous les avons d'ailleurs aidés dans la conception de leur technologie.

Le marché publicitaire en ligne est remis en cause actuellement, qu'en pensez-vous ?
Sur l'état des lieux du marché, il me semble qu'il ne faut pas trop dramatiser. Le marché de la pub en ligne n'est pas forcément plus en retard dans son histoire qu'ont pu l'être des médias comme le câble et la télé. Une récente étude de Marketer montre qu'Internet génère actuellement autant de revenus publicitaires que lorsque la télévision avait 30 ans d'existence et cinq fois plus que le câble après 3 ans d'existence. Mais au-delà de ces combats d'arrière-garde, le principal problème c'est que globalement la pub en ligne a été mal utilisée. Je pense même que si j'étais un annonceur qui avait testé l'année dernière ce qu'on proposait à l'époque, je ne le referai pas.

Mais vous avez vous-même contribué à l'élaboration de ces campagnes ?
C'est parfaitement exact. Je crois que dans l'urgence toute l'industrie s'est laissé aller à la facilité. On a conçu des bannières standards, assez peu créatives tout en faisant croire que ce qui compte sur une campagne à 150.000 francs c'est le CPM. Tout cela n'est pas structuré et ça rend la communication en ligne extraordinairement complexe à gérer. Le marché est beaucoup trop fragmenté. Sur l'achat d'espace en télé, vous avez aujourd'hui trois grandes régies. Si vous voulez faire de l'achat d'espace sur Internet vous devez travailler avec 40.000 grandes régies avec des prix et des modes de vente qui changent tous les jours à la tête du client. Le résultat c'est que dans notre activité SixCom nous passons autant de temps pour gérer un budget global de 200.000 francs que quelqu'un qui traite en télévision un budget de 40 millions de francs ! C'est donc plus un problème d'afflux de demandes sur un marché qui n'était pas prêt et non structuré, plus qu'un problème de format publicitaire.

Comment doit donc être vendu le média Internet?
Il ne faut pas le vendre pour ce qu'il ne sait pas faire. L'interactif n'est pas fait pour gérer de la notoriété, on le sait.

De nombreux post-test et plusieurs études semblent démontrer pourtant un certain effet de la publicité en ligne en terme de notoriété ?
Certes, mais si l'objectif est de faire seulement de la notoriété, en terme de rapport qualité prix, ce n'est pas le bon média. Cela ne veut pas dire que le Web n'a aucun effet en terme de notoriété, mais ce n'est pas sa principale vocation. Les raisons pour lesquelles on a dit aux gens qu'il fallait aller sur Internet étaient en décalage avec la réelle utilité du support. Et je le dis parce que nous avons nous-même fait les mêmes conneries. Simplement ça a été fait dans l'urgence. Aujourd'hui le retour de bâton est assez violent mais plutôt justifié.

Quelle réponse apporter à la situation actuelle ?
Il ne sert à rien de pleurer sur le sujet, il faut trouver une réponse adéquate. C'est pourquoi nous avons développé l'activité SixCom qui va au-delà de l'achat d'espace et offre un arsenal plus complet avec une approche plus sérieuse. Le support Internet est suffisamment efficace et compétitif en terme de qualité de message perçu et en terme de taux de mémorisation. Le rapport qualité-prix est donc excellent. Nous avons également arrêté une énorme connerie qui était de spécialiser des créatifs sur la seule création de bannières, simplement pousser par l'afflux de la demande sur le marché.

Et en terme de média-planing ?
Nous nous sommes organisés avec les régies, parce que je trouve intolérable qu'un web-planner ait besoin d'appeler quinze régies avant de savoir ce qu'il peut élaborer comme campagne. Nous avons mis au point des outils pour simplifier ça et connaître à la fois les tarifs actualisés et les performances de nos campagnes antérieures.

Ne devrions-nous pas assister à une concentration des régies sur le marché ?
Objectivement je pense que d'ici le premier semestre 2002, il ne restera que 3 ou 4 régies significatives. Quant aux régies internes, je considère que c'est le cache-sexe de la crise. Certains ont pensé que leur régie était incompétente, ce qui n'est d'ailleurs pas toujours faux. Ils ont cru que l'internalisation de la régie était une bonne chose. Mais je pense qu'on revient actuellement à des choses plus rationnelles. Les éditeurs commencent à comprendre que la pub ne suffira pas à faire vivre leur site, ni leurs résultats. Ils commencent à se tourner à nouveau vers des régies performantes pour se consacrer à leur métier et atteindre l'équilibre financier.

Et la reprise du marché publicitaire, vous l'attendez pour quand ?
Je n'ai absolument aucune idée sur le sujet. Je crois que tout le monde a un grand espoir pour la rentrée, mais moi je n'en suis pas convaincu car plusieurs effets se conjuguent : les problèmes de performance, de frilosité générale face à la pub Internet, car c'est tellement plus facile de faire autre chose. Je ne vois pas de vraie reprise avant le début 2002 et, si reprise il y a, elle sera beaucoup moins violente qu'en 2000. Les choses vont se stabiliser et repartir doucement.

Sur un plan plus personnel, quels sont vos sites favoris?
Je lis beaucoup Business2.com . Sinon sur un plan plus privé je suis totalement fou d'histoire et j'adore tous les sites consacrés à cette matière avec des sites comme Historia. J'aime bien par exemple le site de la fondation Napoléon. Mais je pense en fait que nous manquons d'un vrai grand site consacré à l'histoire. Sinon j'aime bien Citation du Monde que je trouve rigolo.

Vous achetez en ligne ?
Oui, beaucoup. J'achète souvent des livres sur Amazon. J'ai longtemps utilisé la Fnac mais il ne m'ont pas livré plusieurs commandes à Noël, donc j'ai abandonné définitivement. Je fais mes courses avec un cybermarché, mais deux sont des clients... je ne donnerai donc pas de noms ! J'achète des voyages sur Travelprice qui est lui aussi un de nos clients et des fleurs chez Interflora. J'ai également acheté des cigarettes en duty-free, pour voir, sur un site suisse mais il ne faut pas le dire.

Qu'est ce vous aimez sur Internet ?
J'aime le contenu utile et efficace et l'insolence en terme de ton.

Il y a des choses que vous n'aimez pas sur le réseau ?
Je n'aime pas le pipeau, c'est-à-dire tous les mots que personne ne comprend, par exemple "si on faisait du CRM en B2C et je ne sais quoi"... Ca me met vraiment hors de moi ! Il y a beaucoup plus intelligent et utile à faire que ça.

 
Propos recueillis par Fabien Claire

PARCOURS
 
Diplomé de Centrale Paris (1992), Marco Tinelli débute sa carrière comme consultant chez Arthur Andersen. En 1994 il quitte le cabinet d'audit pour rejoindre SGIP Publicis comme directeur. En 1997 il quitte cette société pour créer Grey Interactive.

   
 
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