JURIDIQUE 
PAR ANNE COUSIN
La presse sur Internet a trouvé sa loi
En matière d'atteinte à la vie privée ou de diffamation, la détermination de la loi applicable est un casse-tête juridique. Une proposition du Parlement européen du 6 juillet 2005 pourrait changer la donne.  (26/07/2005)
 
Avocate au département contentieux, Cabinet Alain Bensoussan
 
Ecrire à Anne Cousin
Casse-tête classique des juristes et bête noire des éditeurs, la recherche et la connaissance des dispositions légales applicables à un contenu diffusé sur Internet pourraient être considérablement simplifiées à la suite de l'adoption par le Parlement européen, le 6 juillet 2005, d'une décision sur les atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité présentant un caractère international.

Internationalisation des réseaux et loi applicable
Les enjeux pratiques de l'accroissement des flux de population et des échanges : selon quelle loi juger qu'un éditeur de presse papier ou en ligne a ou n'a pas abusé de sa liberté d'expression et causé un dommage à autrui, s'il est établi sur le territoire d'un Etat A, que sa victime prétendue est domiciliée sur le territoire d'un Etat B, que les exemplaires du journal sont diffusés dans toute l'Europe, ou mieux encore, dans le monde entier via Internet ?

Les fournisseurs de contenus, d'hébergement et d'accès ont régulièrement mis en garde les organes législatifs du monde entier sur les risques que recèle pour eux l'absence d'unification des législations nationales qui se reconnaîtraient chacune, à un titre ou un autre, compétentes pour trancher le litige. Comment connaître en effet la loi de tous les Etats du monde, ou même seulement des vingt cinq Etats européens ? Corrélativement, comment empêcher la victime de revendiquer l'application du texte législatif qui lui serait le plus favorable et choisir le régime juridique qui lui donnera satisfaction ?

Dans le cadre de la discussion de la proposition de règlement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit "Rome II" (par référence à la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles entrée en vigueur le 1er avril 1991), le Parlement européen a adopté une proposition d'amendement sur la loi applicable aux atteintes trans-frontières à la vie privée et aux droits de la personnalité.

Le Parlement considère que le litige devra être tranché par application de la loi du pays où surviennent ou menacent de survenir le ou les éléments les plus significatifs du dommage. Il précise que le pays dans lequel le ou les éléments les plus significatifs du dommage surviennent ou menacent de survenir est réputé être le pays auquel la publication ou l'émission est principalement destinée. Cette règle est applicable souligne-t-il, aux "publications sur l'Internet et autres réseaux électroniques".

La référence au pays de destination
Cette référence aux pays auxquels la publication est principalement destinée est familière des spécialistes de l'Internet. Dans la célèbre affaire "Yahoo" par exemple, cette société avait essayé d'échapper à l'application de loi française en soutenant que les offres d'objets nazis à vendre sur son site n'étaient pas destinées au public français. Elle avait échoué dans cette démonstration mais l'argument n'était pas en lui-même dépourvu de toute pertinence.

Il a été une nouvelle fois utilisé, avec succès cette fois, dans l'affaire Hugo Boss tranchée par la Cour de cassation. La haute juridiction y a en effet estimé qu'un site Internet proposant à la vente des produits qui n'étaient pas disponibles en France ne pouvait être considéré "comme visant le public de France", et qu'en conséquence "l'usage des marques Boss dans ces conditions" ne constituait pas une infraction à l'interdiction, déjà prononcée par un précédent jugement, d'usage de ces marques (Cour de cassation, Chambre commerciale, 11 janvier 2005).

Cette notion n'est pas seulement familière aux praticiens. Elle en outre explicitée par le Parlement lui-même. Celui-ci estime en effet que le pays auquel une publication ou une émission est principalement destinée est déterminé notamment par la langue de publication ou de diffusion, ou le volume des ventes, ou l'indice d'écoute dans un pays donné. Il ajoute que ce pays peut être également déterminé par une combinaison de ces facteurs.

La responsabilité et la protection de l'éditeur
Une observation s'impose aussitôt : le premier des facteurs en question dépend étroitement de la volonté de l'éditeur, qui décidera en effet seul de la langue dans laquelle la publication ou l'émission interviendra. En cela, on peut dire que l'application de la loi à un litige quelconque dépend de lui et qu'il peut l'apprécier au préalable, la connaître, la comprendre et gérer les pré-contentieux éventuels.

En revanche le second facteur, découlant du volume des ventes ou de l'indice d'écoute échappe beaucoup plus à tout contrôle. L'éditeur peut se retrouver facilement devant le fait accompli d'un succès qu'il n'avait pas anticipé dans tel ou tel pays. De ce fait, la détermination de la loi applicable retrouve son caractère accidentel pour l'éditeur qui pourra la subir aléatoirement.

Par ailleurs, rien n'est dit du choix de l'un ou l'autre de ces facteurs et des cas dans lesquels ils devront au contraire être combinés entre eux. Il semble qu'en l'état, la plus grande latitude devrait être laissée au juge saisi qui ne paraît d'ailleurs pas enfermé dans l'adoption de l'un ou de l'autre de ces deux facteurs, puisque le texte adopté prévoit que le pays auquel la publication ou l'émission est principalement destinée est déterminé "notamment" par la langue ou l'audience. Libre à lui dans ces conditions d'ajouter d'autres considérations.

En outre, s'il n'y parvient pas au terme de cette première analyse, il lui sera toujours possible, d'après la décision du Parlement européen du 6 juillet 2005, de faire application de la loi du pays où le contrôle éditorial est exercé. Il s'agit bien d'un rattachement subsidiaire, puisqu'il n'est prévu que dans l'hypothèse où la détermination par la langue et/ou l'audience ne permettrait pas une réponse claire à la question de la loi applicable.

Néanmoins, il ne fait aucun doute que la position du Parlement est de nature à renforcer la prévisibilité par les éditeurs des risques encourus en cas de diffusion transnationale, et va dans le sens d'une meilleure sécurité juridique des organes de presse papier ou en ligne. Elle a d'ailleurs été saluée en ce sens par la Fédération européenne des journalistes.

Les conséquences sur la protection des victimes
Soulignons toutefois que ce dispositif, que l'on peut approuver et qui sera incontestablement de nature à clarifier largement le débat et les esprits dans ce domaine extrêmement technique et aux enjeux multiples, ne peut que bénéficier par hypothèse à l'auteur de la faute, et non à la victime. Rappelons en effet qu'il s'agit de trancher la question de la loi applicable à une atteinte à la vie privée ou à une diffamation commise notamment par Internet, et qui pourrait donc l'être comme on vient de le voir par une loi sans rapport aucun avec la victime elle-même, son domicile, sa nationalité, le lieu ou elle est connue et estimée, et qu'elle ne connaît probablement pas.

Il n'est pas sûr dans ces conditions que le résultat soit toujours juste et équitable. Les discussions et les divergences d'interprétation de ce texte ont donc sans doute de beaux jours devant elles.
 
 

Accueil | Haut de page

 
  Nouvelles offres d'emploi   sur Emploi Center
Chaine Parlementaire Public Sénat | Michael Page Interim | 1000MERCIS | Mediabrands | Michael Page International