JURIDIQUE 
PAR THIBAULT VERBIEST
Paris hippiques en ligne : droit français contre droit communautaire
Après avoir fait condamné, en juin dernier, la société de droit maltais Zeturf, le PMU s'attaque à ses hébergeurs. Des actions qui s'opposent au droit européen.  (15/11/2005)
 
Avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, chargé d'enseignement à l'Université Paris I (Sorbonne)
 
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Dans une ordonnance de référé du 2 novembre 2005, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné deux sociétés qui hébergeaient un site de paris en ligne - Zeturf - basé à Malte.

Les deux hébergeurs (maltais) ont ainsi été condamnés à rendre l'accès au site www.zeturf.com impossible tant qu'y sera maintenue l'activité de paris en ligne, et ce sous astreinte provisoire de 1.500 euros par jour de retard, et à payer une indemnité provisionnelle de 30.000 euros au PMU.

Cette décision s'inscrit dans une véritable bataille judiciaire lancée par le PMU contre le site Zeturf.com, qui propose des paris hippiques aux résidents français.

Condamnation de Zeturf en référé
Le 2 juin dernier, le PMU assignait devant le TGI de Paris la société de droit maltais Zeturf, afin de faire cesser ses activités de prise de paris sur le territoire français.

Par ordonnance du 8 juillet 2005, le TGI de Paris faisait droit à la demande du PMU aux motifs que : "Attendu qu'il ressort du constat dressé le 21 juin 2005 le fait que le site se trouve exclusivement rédigé en langue française, et ne permet de prendre de paris qu'en cette langue, alors que les courses concernées se déroulent sur le territoire français ; que c'est l'internaute français qui est d'évidence visé ;

Qu'au demeurant, bien que le "règlement" affiché évoque la loi maltaise, l'accès au jeu se trouve interdit aux résidents maltais ;

Que dès lors, le lieu de réalisation du trouble, soit du fait dommageable au sens des dispositions de l'article 46 du ncpc, se situe bien en France, le constat ayant été dressé à Paris ;

Que c'est au PMU qu'a été confiée la gestion relative à l'organisation par les sociétés de courses autorisées du pari mutuel en dehors des hippodromes, comme prévu par l'article 27 du décret n°97-456 du 5 mai 1997 modifié par le décret n°02-1346 du 12 novembre 2002 ;

Que la prise de paris en ligne cause donc bien un trouble manifestement illicite au PMU, dès lors qu'elle n'a pas été autorisée ;"

L'ordonnance ne produit toutefois pas directement ses effets puisqu'elle doit d'abord être exécutée à Malte, après une procédure de visa d'un tribunal local (qui n'a pas été octroyé à ce jour). En outre, appel a été relevé contre cette ordonnance. L'affaire doit être plaidée le 22 novembre devant la Cour d'appel de Paris.

La question de la compatibilité au droit européen éludée
Cette décision est critiquable car elle omet un débat fondamental : celui de la compatibilité du droit français en matière de jeux et paris avec le droit européen.

En effet, dans un arrêt du 6 novembre 2003 (affaire "Gambelli"), la Cour de justice des Communautés européennes a estimé qu'un Etat membre (en l'occurrence l'Italie) ne peut invoquer ni la protection du consommateur, ni la protection de l'ordre public (lutte contre le blanchiment et le crime organisé) pour justifier une restriction à l'offre de paris depuis un bookmaker (en l'espèce anglais) opérant sur l'internet, dans la mesure où :

1) Depuis des années, l'Etat italien n'a de cesse de mettre en oeuvre une politique visant à accroître l'offre de jeux au profit des opérateurs de paris sportifs italiens autorisés. L'Italie ne poursuit donc plus une politique visant à modérer la passion du jeu au sein de sa population (argument traditionnel avancé par les Etats membres pour justifier les restrictions et prohibitions imposées à la concurrence étrangère).

2) Le bookmaker anglais poursuivi en Italie est soumis à un régime d'autorisation et de contrôle très strict, qui exclut raisonnablement toute crainte de blanchiment de capitaux et de crime organisé (autre argument traditionnel avancé par les Etats membres).

Or, l'on ne peut s'empêcher de relever une attitude ambivalente des pouvoirs publics français, comparable à la situation italienne. En effet, l'Etat prélève des recettes importantes sur le produit des jeux et paris mais cette activité est pourtant perçue comme immorale. Parallèlement, l'Etat - à travers ses deux monopoles que sont le PMU et la Française des jeux - mène une politique de développement très active des jeux et paris , à tel point qu'un rapport du Sénat (rapport "trucy") parle d'"Etat croupier".

De ce fait, la législation sur les jeux et paris pourrait être contraire aux articles 43 et 49 du traité CE. En effet, on peut douter du caractère "cohérent et systématique" de la politique française visant à réduire l'offre de jeux d'argent. Notons qu'en Allemagne, la dernière jurisprudence "post-Gambelli" a estimé que, dans les faits, la législation et les pratiques nationales n'étaient manifestement pas de nature à permettre une politique systématique et cohérente visant à réduire l'offre de jeux d'argent.

C'est dans ce contexte, très contentieux et instable, que la Commission européenne a décidé en janvier 2004 de poser la question d'une harmonisation spécifique de ce secteur. La Commission souhaite harmoniser les services de jeux, loteries et paris d'ici 2010. Dans l'intervalle, la Commission a lancé une vaste consultation des acteurs concernés, qui devrait aboutir à un rapport en juin 2006, première étape d'un (long) processus législatif en la matière.

Deux plaintes déjà déposées contre l'Etat français à la Commission européenne
Dans ce débat houleux qui oppose monopoles d'Etat aux bookmakers et autres opérateurs européens de jeux en ligne, la France est déjà dans le collimateur de la Commission européenne.

En effet, deux plaintes ont été déposées par des bookmakers maltais, l'une en 2004 et l'autre plus récemment en 2005 (précisément par la société Zeturf). Les deux plaintes se fondent sur la violation par l'Etat français du principe européen de libre prestation de services. Le Commissaire européen Mc Creevy, chargé d'instruire ces plaintes, vient de déclarer en Suède qu'il entendait activer les procédures en cours… Affaire à suivre…

 
 

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