JURIDIQUE 
PAR ANNE-CATHERINE LORRAIN ET SYLVIE KRSTULOVIC
Urgence juridique sur le Podcasting
Si le Podcasting ouvre des droits de représentation et de reproduction aux ayants droit, les conditions juridiques de leur mise en oeuvre restent mal définies. Sylvie Krstulovic et Anne-Catherine Lorrain listent les alternatives possibles.   (14/03/2006)
 
Sylvie Krstulovic, consultante multimedia, Anne-Catherine Lorrain, docorante en droit au Cerdi.
 
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Pour faire écho aux réflexions déjà menées dans le Journal du Net (lire la tribune juridique de Eric Barbry), le podcasting est un objet bel et bien identifié du paysage numérique. Les "audioblogs" se multiplient sur le Net et rares sont les radios qui n'offrent pas aujourd'hui de services de podcasting à leurs auditeurs.

Le podcasting, est-ce de la radio ?
Le podcasting pourrait s'apparenter à une émission de radio : oui, sauf que le modèle permet de télécharger les fichiers audio, contrairement à la radio qui émet un signal en "broadcast". Avec le podcasting, nous passons d'un modèle classique de radiodiffusion "point-multipoint", à un modèle de diffusion ressemblant davantage à du "point à point". Le podcasting se situe entre média et distribution. Sorte de média "à la demande", le podcast fait passer la technique du "broadcast" à ce qu'on pourrait appeler du "nanocast".

Plus généralement, nous assistons à une tendance de délinéarisation des contenus, désormais décorrélés de leur programmation dans le temps et donc de leur enchaînement. C'est ce que l'on observe avec la vidéo à la demande (VOD) dans le domaine vidéo et avec le podcasting dans le domaine audio. Les médias, dont le métier était jusqu'ici la constitution de programmes afin de générer de l'audience, doivent revoir leur copie. Peut-on imaginer que les radios reconstruiront une nouvelle forme de programmation via des podcasts, à l'instar par exemple d'Arte Radio (www.arteradio.com) ?

Le podcasting : de l'audio pas toujours musical…
Aujourd'hui, il semblerait que la majorité des podcasts ne concernent pas la musique, mais des fichiers audio parlés. Les contenus musicaux sont parfois délibérément écartés afin d'éviter tout problème d'autorisation d'exploitation des droits. De plus, tout peut devenir audio, grâce à des logiciels comme Odiogo qui transforment les fils RSS ("Really Simple Syndication") en podcasts.

Les droits associés aux contenus podcastés
Le podcasting met en œuvre le droit de représentation et le droit de reproduction des titulaires de droit d'auteur (auteurs, compositeurs et éditeurs) et de droits voisins (artistes-interprètes, producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes). Il y a bien droit de représentation (Articles L. 122-2, L. 212-3 et L. 213-1 du Code de la propriété intellectuelle), puisqu'il y a bien communication au public de la part du service de podcast. Les Traités de l'OMPI de 1996 sur le droit d'auteur et les droits voisins, transposés dans la directive européenne de 2001 sur le droit d'auteur et les droits voisins, accordent le droit exclusif de communication et le droit exclusif de mise à disposition du public pour toute transmission "par fil ou sans fil de manière que chacun puisse avoir accès [aux œuvres et aux phonogrammes] de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement". Quant au droit de reproduction, il est mis en oeuvre par les utilisateurs téléchargeant le contenu sur leurs baladeurs ou leurs ordinateurs. Le téléchargement soulève nécessairement la question de l'autorisation des titulaires de droits d'auteur.

La négociation des droits
Le plus simple pour un service de podcast est de se libérer de toute négociation avec les ayants droit et de choisir des contenus ne nécessitant aucune autorisation d'exploitation (certains sites web se sont spécialisés dans la fourniture de tels contenus qualifiés de "podsafe" : podsafeaudio.com). Ces contenus peuvent être dans le domaine public, licenciés sous Creative Commons ou gérés individuellement par des auteurs qui choisissent d'autoriser une telle exploitation à titre gratuit.

En revanche, en présence de contenus supportant des droits exclusifs, différentes options de négociation s'offrent au service de podcast :

Prenons l'exemple des journalistes, dont la profession exige une négociation collective pour tout problème lié à l'exploitation de leurs droits. Les journalistes, même s'ils ont la qualité de salarié, cumulent la qualité d'auteur. Parmi eux, les auteurs de contenus pour lesquels le podcasting n'était pas initialement prévu pourraient bien s'opposer à ce mode d'exploitation (la loi française exige que tous les modes d'exploitation soient expressément indiqués dans les contrats d'exploitation des droits d'auteur et droits voisins). Or il est à prévoir que les podcasts privilégient de plus en plus les contenus informationnels écrits, afin d'offrir au public la liberté de consulter une revue de presse sans papier… Dans cette hypothèse, des négociations collectives pourraient s'annoncer.

Concernant les autres ayants droit, la négociation par l'intermédiaire des sociétés de gestion collective est-elle envisageable ?

Quelle rémunération pour les ayants droit ?
Faut-il inclure les services de podcasting au sein des licences existantes des sociétés de gestion collective ? On dit que la Sacem serait en train d'examiner la question… En attendant, des pistes de réflexion sont lancées outre-Atlantique.

Depuis février 2005, l'Ascap ("American Society of Composers, Authors and Publishers") inclut le podcasting à sa licence "webcast" (lire le document de l'Ascap). Les autres sociétés de gestion américaines compétentes pour la gestion du droit de représentation, BMI et Sesac, incluent également le podcasting dans leurs licences. BMI pose expressément le terme de "podcasting" en première page de sa rubrique "licensing", tout en renvoyant ce mode d'exploitation à la licence pour site Internet (lire le document "Website Music Performance Agreement"), BMI a même créé une rubrique "podcasting" sur sa page d'accueil, où les visiteurs peuvent découvrir les artistes membres de la société, en musique et en interviews. De son côté, Sesac inclut le podcasting dans sa licence "Internet".

En janvier 2006, Radio Ascap a lancé trois podcasts dans le but de promouvoir des auteurs et compositeurs membres de la société. Depuis le lancement en mai 2005 du service "See It Hear First", disponible gratuitement sur le site de BMI et sur le site iTunes, de nombreux internautes ont pu voter pour leurs chansons préférées et ainsi participer à la découverte de nouveaux talents.

Il est intéressant de remarquer que le droit de représentation emporte une plus grande réactivité des ayants droit au regard du podcasting. Le rapprochement aisé que l'on peut faire entre le podcasting et la radio semble en être la principale explication. Les sociétés de gestion collective américaines mandatées pour le droit de reproduction ne proposent pour l'instant aucune licence incluant le podcasting.

Aujourd'hui, la recherche du mot "podcast" sur le site de la Sacem (Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique) n'affiche aucun résultat ! Alors que l'industrie de la musique semble rechercher une troisième voie pour générer des revenus, il est urgent de clarifier les conditions juridiques d'une pratique qui ne cesse de s'amplifier, pour le plus grand bonheur de nos oreilles !

 
 

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