JURIDIQUE 
PAR ANNE COUSIN
Internet au bureau : les leçons d'un jugement
Le 13 mars dernier, la Cour d'appel d'Aix en Provence rendait un jugement rendant Lucent Technologie responsable des agissements illicites d'un de ses salariés. Explications des risques encourus par les employeurs.  (03/05/2006)
 
Avocate, Denton Wilde Sapte
 
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Un arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence du 13 mars 2006 jette une lumière crue sur les conditions de la responsabilité de l'employeur confronté aux agissements illicites de ses salariés commis par l'intermédiaire des moyens techniques qu'il met à leur disposition. Non, il n'est pas nécessairement à l'abri du recours des victimes. Oui, il peut être condamné à en répondre, même si les pratiques illégales ont été commises à son insu.

Les faits
En l'espèce un salarié de la société Lucent Technologies, technicien chargé d'effectuer des tests de qualité nous dit l'arrêt, s'était livré à la réalisation d'un site Internet grâce, au moins partiellement, aux ressources techniques de son employeur. Ce site imitait la marque Escota de la société du même nom, reproduisait le site Web de cette dernière et se livrait à la critique agressive et même injurieuse de celle-ci.

Lucent Technologies a alors procédé au licenciement de son salarié, une fois les faits portés à sa connaissance, et ce licenciement a été jugé pleinement justifié par un arrêt du 17 janvier 2005. Pour autant, l'affaire ne s'arrête pas là. Escota réclamait alors la sanction des pratiques dont elle s'estimait la victime et la réparation de son préjudice à l'employeur lui-même.

Le jugement
Le Tribunal de grande instance de Marseille tout d'abord, et la Cour d'Aix ensuite, lui ont donné raison : dès lors que le salarié usait quotidiennement dans le cadre de ses fonctions d'un ordinateur et d'Internet, qu'une note de service avait permis au personnel l'utilisation des équipements informatiques pour consulter d'autres sites que ceux présentant un intérêt en relation directe avec leur activité et qu'enfin il était autorisé à disposer d'un accès à Internet, même en dehors de ses heures de travail, l' employeur devait répondre du dommage causé à autrui.

Il est clair pourtant que le salarié avait agi en dehors de toute instruction, poursuivant un objectif qui n'était pas celui de son employeur, dans le but de nuire à Escota et, qu'en outre, ces mêmes agissements avaient justifié son licenciement !

Les enseignements du jugement
Bien que le fondement légal de la décision ne soit pas propre aux nouvelles technologies puisqu'il s'agit de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil, l'ampleur et la gravité des abus susceptibles d'être commis grâce à leur utilisation, tout comme l'imagination débordante des internautes, renforcent et aggravent considérablement la responsabilité des employeurs à qui on ne peut que recommander l'encadrement de l'utilisation des moyens laissés à la disposition des salariés et une rédaction minutieuse et rigoureuse des notes internes et autres chartes Internet.

L'arrêt du 13 mars 2006 invite d'ailleurs lui-même à une réflexion sur ce sujet et en laisse apparaître dans le même temps toute la subtilité. En effet la note de service sur laquelle il s'appuie pour juger que le salarié avait bien agi dans le cadre de ses fonctions, permettait l'utilisation des équipements informatiques pour consulter des sites sans relation directe avec l'activité professionnelle et permettait d'accéder à Internet même en dehors des heures de travail.

Lucent Technologies n'a donc notamment pas convaincu lorsqu'elle a soutenu que ne pas interdire la création de sites Internet personnels ne revient pas à l'autoriser.

Les affaires et obligations analogues
Même si le sujet est distinct, cette décision doit être mise en relation avec un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 4 février 2005 et ayant lui aussi mis sur les épaules de l'employeur de lourdes obligations en cas d'abus de ses salariés internautes.

Dans cette affaire, rendue sous l'empire d'une loi aujourd'hui abrogée -mais la solution aurait été la même sur le fondement de la loi du 21 juin 2004-, la BNP s'était vue contrainte judiciairement de communiquer sous astreinte toutes informations permettant d'identifier l'auteur d'un e-mail anonyme expédié à partir d'un ordinateur situé dans ses locaux. Pour la Cour en effet, la banque constituait un fournisseur d'accès à Internet et devait à ce titre répondre aux obligations que la loi du 1er août 2000 attachait à cette qualité.

Aujourd'hui la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 impose aussi à ces derniers de conserver les données permettant d'identifier les auteurs de contenus et peuvent être requis par l'autorité judiciaire de les produire. En outre, s'ils ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations transmises ou stockées, les fournisseurs d'accès doivent mettre en place un dispositif permettant à toute personne de les alerter sur l'existence de certaines infractions (apologie des crimes contre l'humanité, pornographie enfantine...) et surtout informer eux-mêmes les autorités compétentes de ces actes illicites dont ils auraient connaissance, c'est-à-dire les dénoncer purement et simplement.

On le voit donc, l'entreprise qui fournit des moyens de communication se trouve placée par l'effet combiné de plusieurs textes généraux (l'article 1384 alinéa alinéa 5 du Code civil ) ou spéciaux ( la loi du 21 juin 2004 ) au centre d'un maillage de plus en plus dense d'obligations variées qui tendent peu ou prou à lui faire jouer un rôle majeur dans la poursuite et la sanction des abus commis, et ce, au prix de sa propre responsabilité. L'efficacité l'exige peut-être. La Cour de cassation devra néanmoins le confirmer puisqu'il semble qu'elle soit saisie de l'arrêt du 13 mars 2006."

 
 

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