La "localisation"
de contrats est l'opération qui consiste non
pas à savoir où ils se trouvent (quoi
que ce soit parfois un véritable problème),
mais à les adapter à un système
juridique différent de celui pour lequel il sont
été initialement conçus.
Ainsi, les
éditeurs de logiciels américains disposent
de contrats "made in US" pour lesquels
ils ne sont pas persuadés de la nécessité
d'une adaptation au système français civiliste,
autre qu'une traduction qui, pour n'être pas obligatoire
s'agissant de professionnels, est néanmoins prudente
compte tenu du niveau relativement faible de compréhension
de la langue anglaise (surtout juridique), au sein des
entreprises françaises.
L' effort
de localisation se borne donc la plupart du temps à
une traduction, souvent exécrable, et à
une habile substitution de la loi française à
celle de l'Etat du Delaware. Encore heureux lorsqu'un
tribunal français est rendu compétent,
car il y aurait de toutes façon peu de chances,
même si la loi française est applicable
au contrat, qu'une cour de l'Etat de New York en tienne
le moindre compte si l'affaire se présentait
devant elle.
Cette politique
du moindre effort est une erreur qui peut se révéler
coûteuse. Une erreur de fond, parce que les systèmes
juridiques de common law et de droit civiliste
sont suffisamment éloignés l'un de l'autre
pour que certaines clauses élaborées dans
un des systèmes ne produisent pas du tout l'effet
attendu dans l'autre. Et une maladresse sur la forme,
car rien n'indispose plus un juge français que
le galimatias de certaines clauses où se mélangent
les improbables notions de dommages spéciaux,
incidents, accessoires ou non consécutifs qui
parlent certainement beaucoup outre atlantique, mais
absolument pas à leurs oreilles de civilistes.
Il importe
d'être conscient des différences qui affectent
les fondements même du raisonnement juridique
dans les deux systèmes : le système de
common law prévoit des documents contractuels
très longs, en apparence très précis,
qui sont le fruit de plusieurs strates de problèmes
accumulés qui ont fait l'objet d'un "précédent"
de telle ou telle juridiction, ce qui est essentiel
dans un système où les décisions
de jurisprudence rendues dans un cas similaire à
l'affaire jugée s'imposent aux cours de rang
inférieur et où les lois, ou "statute",
n'ont qu'une valeur très relative. Cette savante
construction rend ces contrats très difficiles
à appréhender tant ils vont dans le détail,
et n'est absolument pas adaptée au système
civiliste, très conceptuel, qui repose au contraire
sur de grands principes généraux posés
par des textes législatifs ou réglementaires
inscrits dans des Codes qui sont de véritables
bibles pour le juriste civiliste, la jurisprudence n'ayant
qu'une valeur interprétative. Dans un bon contrat
de droit français, très peu de choses
ont besoin d'être dites si l'on ne souhaite pas
y déroger, et surtout pas celles qui sont inscrites
dans le Code Civil. Rien à voir avec son homologue
américain, où tout ce qui n'est pas décrit
précisément avec ses conséquences
essentielles pour les parties ne fait pas partie de
l'accord, et pourra donc être remis en cause.
Au delà
de cette différence très fondamentale
de construction contractuelle, le contrat made in
US mal adapté au droit français peut
essentiellement rencontrer deux types d'écueil
: soit certaines de ses dispositions seront purement
et simplement sans effet, soit, encore pire, elles donneront
un résultat différent de celui attendu.
Nous n'en
dresserons pas ici un inventaire exhaustif mais nous
nous bornerons à en donner quelques illustrations,
parmi les plus souvent rencontrées en pratique.
Les clauses
sans effet
Les clauses sans
effet sont, pour l'essentiel, toutes celles qui sont
contraires à une règle dite "d'ordre
public". On sait en effet que dès lors qu'une
disposition est d'ordre public les parties ne peuvent
y déroger par contrat, toute la question étant
de savoir si une disposition revêt ou non ce caractère
: c'est clair lorsque la loi indique que toute stipulation
contraire est réputée non écrite
(c'est par exemple le cas de l'article 1152 du Code
Civil concernant la clause pénale), cela l'est
parfois moins et les tribunaux viennent alors le préciser.
Ainsi, tous
les contrats conclus avec les consommateurs évoluent
dans un corps de règles qui sont quasiment toutes
d'ordre public, et sont de surcroît guettées
par la qualification de leurs dispositions en "clause
abusives", qui les rendent sans effet.
De même,
les dispositions habituelles relatives à l'arrêt
du contrat américain en cas de difficulté
du cocontractant se heurtent en France à l'article
37 de la loi du 25 janvier 1985, qui laisse au seul
administrateur judiciaire le choix de continuer ou d'arrêter
le contrat.
On peut encore
citer la garantie des vices cachés dans les contrats
de vente qui, sauf entre professionnels de mêmes
spécialités, ne souffrent aucun aménagement
contractuel.
Rappelons
enfin que la clause compromissoire (qui prévoit
de soumettre obligatoirement le différend à
une phase d'arbitrage avant de le soumettre à
un tribunal étatique) est nulle lorsque l'une
des parties est une personne physique qui ne contracte
pas à titre professionnel.
Les clauses
à effet pervers
Parmi celles-ci,
deux prospèrent avec une remarquable constance
: celles qui sont relatives à la responsabilité,
et celles qui sont relatives à la cession de
droit d'auteur.
S'agissant
des droits d'auteur (qui protègent les contenus
graphiques, rédactionnels et les logiciels entre
autres), et aussi ahurissant que cela puisse paraître
dans un pays où règne le "work
for hire" (ce qui signifie que celui qui paye
est naturellement propriétaire de ce qu'il a
commandé), la clause suivante ne transfère
strictement rien au commanditaire de l'uvre :
"Consultant acknowledges that this is a fee
for services contract and that all intellectual property
and other rights in the materials and information created
by the Consultant in furtherance of her duties under
this Agreement are and shall remain the sole and
exclusive property of the Company". Pour
que la cession soit valable, il faut en effet qu'elle
respecte les dispositions de l'article L131-3 du Code
de la propriété intellectuelle, au titre
duquel : "La transmission des droits de l'auteur
est subordonnée à la condition que chacun
des droits cédés fasse l'objet d'une mention
distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation
des droits cédés soit délimité
quant à son étendue et à sa destination,
quant au lieu, et quant à la durée".
Quant à
la responsabilité, nous y reviendrons prochainement
dans ces colonnes, elle fait souvent l'objet d'aménagements
doublement fragiles : d'une part parce que la traduction
les rend parfois totalement incompréhensibles
au juriste français ; d'autre part parce que
trop d'exclusion tue l'exclusion, et que les tribunaux
français, depuis une certaine jurisprudence Chronopost,
ont une tendance certaine à invalider les exonérations
de responsabilité par trop excessives.
Voilà,
rapidement brossé, un tableau des pièges
ordinaires que recèlent les contrats qui ont
le mal du pays. Nous ne saurions trop recommander de
les acclimater ; faute de quoi ils se révèlent
au mieux inutiles, et au pire coûteux.
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