JURIDIQUE 
Localisation des contrats IT : une nécessité mal connue des éditeurs étrangers
par Maître Isabelle Renard
August & Debouzy (17 avril 2003)
         
 
La "localisation" de contrats est l'opération qui consiste non pas à savoir où ils se trouvent (quoi que ce soit parfois un véritable problème), mais à les adapter à un système juridique différent de celui pour lequel il sont été initialement conçus.

Ainsi, les éditeurs de logiciels américains disposent de contrats "made in US" pour lesquels ils ne sont pas persuadés de la nécessité d'une adaptation au système français civiliste, autre qu'une traduction qui, pour n'être pas obligatoire s'agissant de professionnels, est néanmoins prudente compte tenu du niveau relativement faible de compréhension de la langue anglaise (surtout juridique), au sein des entreprises françaises.

L' effort de localisation se borne donc la plupart du temps à une traduction, souvent exécrable, et à une habile substitution de la loi française à celle de l'Etat du Delaware. Encore heureux lorsqu'un tribunal français est rendu compétent, car il y aurait de toutes façon peu de chances, même si la loi française est applicable au contrat, qu'une cour de l'Etat de New York en tienne le moindre compte si l'affaire se présentait devant elle.

Cette politique du moindre effort est une erreur qui peut se révéler coûteuse. Une erreur de fond, parce que les systèmes juridiques de common law et de droit civiliste sont suffisamment éloignés l'un de l'autre pour que certaines clauses élaborées dans un des systèmes ne produisent pas du tout l'effet attendu dans l'autre. Et une maladresse sur la forme, car rien n'indispose plus un juge français que le galimatias de certaines clauses où se mélangent les improbables notions de dommages spéciaux, incidents, accessoires ou non consécutifs qui parlent certainement beaucoup outre atlantique, mais absolument pas à leurs oreilles de civilistes.

Il importe d'être conscient des différences qui affectent les fondements même du raisonnement juridique dans les deux systèmes : le système de common law prévoit des documents contractuels très longs, en apparence très précis, qui sont le fruit de plusieurs strates de problèmes accumulés qui ont fait l'objet d'un "précédent" de telle ou telle juridiction, ce qui est essentiel dans un système où les décisions de jurisprudence rendues dans un cas similaire à l'affaire jugée s'imposent aux cours de rang inférieur et où les lois, ou "statute", n'ont qu'une valeur très relative. Cette savante construction rend ces contrats très difficiles à appréhender tant ils vont dans le détail, et n'est absolument pas adaptée au système civiliste, très conceptuel, qui repose au contraire sur de grands principes généraux posés par des textes législatifs ou réglementaires inscrits dans des Codes qui sont de véritables bibles pour le juriste civiliste, la jurisprudence n'ayant qu'une valeur interprétative. Dans un bon contrat de droit français, très peu de choses ont besoin d'être dites si l'on ne souhaite pas y déroger, et surtout pas celles qui sont inscrites dans le Code Civil. Rien à voir avec son homologue américain, où tout ce qui n'est pas décrit précisément avec ses conséquences essentielles pour les parties ne fait pas partie de l'accord, et pourra donc être remis en cause.

Au delà de cette différence très fondamentale de construction contractuelle, le contrat made in US mal adapté au droit français peut essentiellement rencontrer deux types d'écueil : soit certaines de ses dispositions seront purement et simplement sans effet, soit, encore pire, elles donneront un résultat différent de celui attendu.

Nous n'en dresserons pas ici un inventaire exhaustif mais nous nous bornerons à en donner quelques illustrations, parmi les plus souvent rencontrées en pratique.

Les clauses sans effet
Les clauses sans effet sont, pour l'essentiel, toutes celles qui sont contraires à une règle dite "d'ordre public". On sait en effet que dès lors qu'une disposition est d'ordre public les parties ne peuvent y déroger par contrat, toute la question étant de savoir si une disposition revêt ou non ce caractère : c'est clair lorsque la loi indique que toute stipulation contraire est réputée non écrite (c'est par exemple le cas de l'article 1152 du Code Civil concernant la clause pénale), cela l'est parfois moins et les tribunaux viennent alors le préciser.

Ainsi, tous les contrats conclus avec les consommateurs évoluent dans un corps de règles qui sont quasiment toutes d'ordre public, et sont de surcroît guettées par la qualification de leurs dispositions en "clause abusives", qui les rendent sans effet.

De même, les dispositions habituelles relatives à l'arrêt du contrat américain en cas de difficulté du cocontractant se heurtent en France à l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985, qui laisse au seul administrateur judiciaire le choix de continuer ou d'arrêter le contrat.

On peut encore citer la garantie des vices cachés dans les contrats de vente qui, sauf entre professionnels de mêmes spécialités, ne souffrent aucun aménagement contractuel.

Rappelons enfin que la clause compromissoire (qui prévoit de soumettre obligatoirement le différend à une phase d'arbitrage avant de le soumettre à un tribunal étatique) est nulle lorsque l'une des parties est une personne physique qui ne contracte pas à titre professionnel.

Les clauses à effet pervers
Parmi celles-ci, deux prospèrent avec une remarquable constance : celles qui sont relatives à la responsabilité, et celles qui sont relatives à la cession de droit d'auteur.

S'agissant des droits d'auteur (qui protègent les contenus graphiques, rédactionnels et les logiciels entre autres), et aussi ahurissant que cela puisse paraître dans un pays où règne le "work for hire" (ce qui signifie que celui qui paye est naturellement propriétaire de ce qu'il a commandé), la clause suivante ne transfère strictement rien au commanditaire de l'œuvre : "Consultant acknowledges that this is a fee for services contract and that all intellectual property and other rights in the materials and information created by the Consultant in furtherance of her duties under this Agreement are and shall remain the sole and exclusive property of the Company". Pour que la cession soit valable, il faut en effet qu'elle respecte les dispositions de l'article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle, au titre duquel : "La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu, et quant à la durée".

Quant à la responsabilité, nous y reviendrons prochainement dans ces colonnes, elle fait souvent l'objet d'aménagements doublement fragiles : d'une part parce que la traduction les rend parfois totalement incompréhensibles au juriste français ; d'autre part parce que trop d'exclusion tue l'exclusion, et que les tribunaux français, depuis une certaine jurisprudence Chronopost, ont une tendance certaine à invalider les exonérations de responsabilité par trop excessives.

Voilà, rapidement brossé, un tableau des pièges ordinaires que recèlent les contrats qui ont le mal du pays. Nous ne saurions trop recommander de les acclimater ; faute de quoi ils se révèlent au mieux inutiles, et au pire coûteux.

 

 
 Isabelle Renard
 
 

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