Les projets informatiques sont des projets particuliers
: ils sont immatériels, sur mesure, complexes et souvent stratégiques
pour le développement de l'entreprise qui s'y engage.
La définition des objectifs, des rôles et des responsabilités,
ainsi que le suivi rigoureux du projet, ont des incidences primordiales sur le
succès de l'opération et, en cas d'insuccès, sur la résolution
du conflit.
Que l'on soit client ou prestataire, il est indispensable d'anticiper juridiquement
très en amont les difficultés, pour assurer le succès de
l'opération et se ménager des atouts en cas de litige.
Même
les plus modestes projets informatiques sont particuliers. L'acquisition d'un
simple progiciel professionnel, complété de quelques prestations
de développement et de maintenance doit susciter des questions importantes
: quels sont les engagements de service, quelle est la portée du transfert
des droits sur les codes du progiciel et des développements, peut-on en
faire assurer librement la maintenance, quid en cas de disparition de l'éditeur,
les codes ont-ils fait l'objet d'un dépôt et dans quelles conditions
?
Les grands projets informatiques sont quant à eux d'autant plus complexes
qu'ils nécessitent un grand nombre de prestations et de prestataires distincts,
et que leur implémentation dans l'entreprise a de conséquences transversales
: il s'agit par exemple de la mise en place d'un progiciel de gestion intégré,
d'un progiciel de gestion de la relation client ou de l'externalisation des moyens
et besoins informatiques, éventuellement en mode ASP.
L'encadrement juridique doit être envisagé très tôt
La gestion des projets informatiques doit être très stricte
afin d'éviter les dérapages de délais, de prix et de qualité
de services. Plus la gestion de projet aura été anticipée
en amont puis définie dans le ou les contrats, plus elle sera facile à
maîtriser en cours de réalisation.
Au stade même de l'élaboration du cahier des charges et de l'appel
d'offres, il est important de définir l'organisation générale
du projet : quelle est son périmètre, sa durée et son planning
? Y a-t-il des dates clés, des objectifs chiffrés et des pénalités
? Est-ce un contrat clé en main ou plusieurs contrats spécifiques
? Quels seront les prestataires, les équipes et les sous-traitants impliqués,
leurs rôles, leurs responsabilités et leurs liens ? Y a-t-il un maître
d'uvre et des obligations de résultats ? Quel est le montage financier
de l'opération ? Y a-t-il une cession globale des droits de propriété
intellectuelle ? Comment assurer la pérennité de la solution logicielle
mise en uvre ? Qui assurera la maintenance, et dans quelles conditions ?
Comment s'organise la réversibilité ?
Surtout, il est très bénéfique, tant du côté
du client que des prestataires, de définir très tôt une liste
de points à risque du projet, afin de pouvoir en tenir compte lors de la
négociation des contrats. Il est d'ailleurs de plus en plus fréquent
que les clients adressent aux soumissionnaires un grand nombre de pré-requis
juridiques qui devront être acceptés puis repris dans le contrat,
ou même, qu'ils annexent un véritable projet de contrat qui servira
de base aux négociations.
Puisque la mise en uvre des projets informatiques entraîne nécessairement
un changement de méthode considérable dans l'entreprise, les utilisateurs
doivent être réellement impliqués dans le processus d'implémentation.
Une véritable politique de conduite du changement doit être définie
et appliquée, tant par le client que par le prestataire.
Les contrats doivent être parfaitement adaptés au projet
Dans la rédaction contractuelle, chacun des engagements du client
comme du ou des prestataires doit être précisément défini.
Les engagements particulièrement renforcés (qualifiés par
exemple "d'essentiels") pourront permettre plus facilement de mettre
en cause la partie défaillante, de dénoncer une faute lourde et
d'écarter les éventuelles limites de responsabilité prévues
contractuellement (C. Cass. 22 oct. 1996 ; CA Paris 22 juin 2001).
Le bon déroulement d'un projet passe nécessairement par un découpage
clair des lots, phases et types de prestations (livraison, installation, développements
spécifiques, migration des données, intégration des logiciels,
interfaçage et paramétrages, déploiement, hébergement,
exploitation des flux, formation, garantie, maintenance
).
Les clauses de propriété intellectuelle doivent distinguer les différents
éléments composant la solutions, en précisant s'ils étaient
ou non préexistants au contrat : logiciels standards, développements
spécifiques, interfaces, paramétrages, dossiers de conception, documentation,
données, bases de données, outils informatiques, méthodes
et savoir-faire
Il convient également de décrire précisément le processus
de recette, qui, s'il est suivi tout au long du contrat, permettra au client de
faire valoir d'éventuelles réserves sur les prestations ou permettra
au prestataire de considérer que ses prestations sont conformes.
Anticiper un éventuel contentieux
C'est fréquemment au stade de la recette, provisoire ou définitive,
que sont mises à jour les difficultés et que les litiges surviennent.
Si le montage contractuel a été finement établi et que la
conduite du projet a été sérieusement effectuée, il
sera d'autant plus facile de définir le périmètre et les
conséquences des défaillances.
Le prestataire pourra ainsi mettre en défaut le client qui n'aura pas évalué
ou exprimé clairement ses besoins, qui n'aura pas fait connaître
les contraintes et difficultés particulières, qui aura élargi
le périmètre ou réduit les délais des prestations,
qui n'aura pas collaboré activement ou avec diligence et surtout, qui n'aura
pas procédé de bonne foi à la recette du système.
De son coté, le client pourra mettre en défaut le prestataire qui
n'aura pas respecté le cahier des charges ou le plan d'assurance qualité,
qui aura fait déraper les délais ou les coûts, qui n'aura
pas suffisamment encadré le projet lors des comités de pilotage
ou qui aura été incapable de corriger dans des conditions acceptables
les anomalies graves ou bloquantes identifiées lors de la recette.
La mise en uvre d'une solution informatique est souvent, et parfois à
tort, considérée par les clients comme une prestation globale. Aussi,
en cas de difficulté d'implémentation (ou dans les cas plus fallacieux
de changement de stratégie de l'entreprise), le litige porte sur l'ensemble
du projet et sur la totalité des préjudices réellement ou
prétendument subis.
Compte-tenu du caractère technique des défaillances et de la difficulté
d'évaluer des préjudices de plus en plus importants (montants engagés,
ressources immobilisées, perte d'exploitation ou d'image
), la pratique
des expertises judiciaires, privées ou amiables, augmente. Celles-ci sont
l'occasion pour chacune des parties de revenir avec l'expert sur l'ensemble du
projet, depuis les travaux préparatoires et l'appel d'offres. Chaque document
technique, contrat, annexe, courrier, e-mail ou PV de comité a donc toute
son importance dans la stratégie de demande ou de défense.
L'expérience montre que les clients, pourtant
généralement profanes en matière de projets informatiques,
ont de moins en moins de difficultés à faire valoir leurs droits
face aux éditeurs, intégrateurs ou fabricants. Encore faut-il que
les contrats aient suffisamment défini ces droits et la mise en jeu possible
des responsabilités. Et que les clients aient aménagé, tout
au long du projet, la traçabilité des prestations et des échanges.
A défaut, les professionnels des projets informatiques, surtout s'ils ont
imposé leurs contrats standards et se sont couverts à chaque étape
de leurs prestations, seront probablement mieux armés devant les tribunaux
ou lors d'une expertise.
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