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Solutions. Comment réduire les coûts d'un
SI en période de crise ?
Alain Deschenes.
C'est assez simple : il faut faire la chasse aux coûts
non prioritaires. Nous avons par exemple accéléré l'abandon
des vieux systèmes - le "legacy". En parallèle, nous
avons ajusté la qualité de service de façon ciblée :
nous avons discuté avec nos clients [NDLR : les employés
d'Alcatel] pour faire les bons choix au cas par
cas. Dans un deuxième temps, nous avons misé sur bon
nombre de systèmes centralisés et sur des processus
communs.
La
centralisation est donc vertueuse ?
Elle est vertueuse dans la mesure où
elle permet dans certains cas de réaliser des économies
d'échelle. Elle est recommandable dans le sens où elle
facilite la création de pôles de compétences, qui permettent
aux experts de se spécialiser, et qui produisent un
climat d'émulation intellectuelle sans pareil. Mais
la centralisation n'a pas que des vertus. Nous avons
recouru à ce principe mais aussi déconcentré quelques
activités qui ne fonctionnaient pas de façon optimale
depuis qu'on les avait centralisées.
Quels
ont été les "effets pervers" dans ce domaine ?
Lorsque l'on réduit le nombre d'hommes
du terrain, on perd nécessairement un peu le contact
avec l'utilisateur final. Nous avons fait en sorte de
limiter au maximum cet effet pervers en conservant des
centres de support dans chaque région : nous n'avons
centralisé que les compétences fortes, de développement
surtout.
Ici comme ailleurs, il faut
éviter de partir avec un a priori : on entend beaucoup
parler de centralisation ces derniers temps, puisque
la tendance est aux économies. Mais en période d'euphorie
et d'investissement, la tentation est souvent contraire
: les entreprises préfèrent laisser une grande liberté
d'action au terrain. C'est une affaire de balancier
: une période de centralisation, puis une période de
décentralisation, et ainsi de suite.
Voilà pourquoi je ne peux pas
arbitrer entre centralisation et décentralisation :
il faut toujours avoir à disposition un carquois de
solutions et choisir la bonne flèche pour un besoin
donné. La structure de l'informatique se doit d'épouser
la forme du groupe. Pour tout vous dire, nous avons
décidé de centraliser beaucoup de choses, mais sûrement
pas tout : ce serait sous-optimal.
Vous
avez des chiffres précis pour nous montrer combien
les choses ont évolué ?
Il y a cinq ans, la fonction de DSI Corporate
se limitait à des aspects de coordination et le budget
du centre par rapport aux périphéries était proche de
0 %. Aujourd'hui, 23 % du budget informatique est consommé
par la direction informatique centrale. Au passage,
les comptes ont été consolidés : la direction générale
dispose dorénavant d'une vue d'ensemble sur ses dépenses
informatiques.
Un
exemple concret de centralisation ?
Le projet Polaris : nous avons consolidé
l'ensemble de nos plates-formes sur le Net et partageons
maintenant trois ressources centralisées : une plate-forme
de gestion documentaire, un espace de travail collaboratif,
et une série de liens B2B entre nos systèmes de gestion
et ceux de nos clients, partenaires et fournisseurs.
Auparavant, il existait beaucoup
de projets disséminés aux quatre coins d'Alcatel, souvent
excellents mais avec peu ou pas de partage et de réutilisation.
Nous avons lancé ce projet global au niveau du groupe,
identifié deux grands pôles de compétences qui ont été
investis du rôle de centre de compétence. Ils ont défini
un modèle technique et une stratégie de déploiement.
Aujourd'hui, toutes les divisions d'Alcatel disposent
de cet outil adapté à leurs usages et performant, un
outil qu'ils n'auraient pour la plupart pas pu développer
eux-mêmes, faute de moyens. Ce projet n'aurait pas existé
si l'informatique n'avait pas été centralisée.
Réductions
de coûts, centralisation... Votre embauche en
2000 marquait une volonté "politique"
de la part de la DG ?
Sans aucun doute : Serge Tchuruk [NDLR:
le PDG d'Alcatel] a été très clair à ce sujet: augmenter
la cohésion du SI du groupe, puis regrouper toutes les
ressources informatiques sous une DSI unifiée. Quelques
mois plus tard, Serge Tchuruk lançait un plan d'harmonisation
des processus métier, visant à homogénéiser la façon
dont les employés travaillent dans chaque unité. Ce
n'est pas un hasard :pour harmoniser les processus métier,
il faut d'abord harmoniser l'informatique ... Aujourd'hui,
je travaille évidemment avec les équipes chargées de
la définition des "business process" du groupe pour
faire converger informatique et processus métier.
Qu'est-ce
que c'est, concrètement, que la convergence des
processus métier et de l'informatique ?
En pratique les projets de transformation
sont gérés par un représentant senior du domaine d'affaires
concerné qui s'appuie sur un responsable de solution
informatique comme numéro deux, chargé de la conception
de la solution et de faire appel aux différents centres
de compétence pour sa réalisation.
Une équipe centrale de Business
Process valide les choix et meilleures pratiques, assure
la cohérence d'ensemble et cordonne l'activité des différents
projets. Cette équipe est sous la direction d'un vice-président
qui est un peu mon frère siamois : nous travaillons
ensemble au quotidien à gérer l'ensemble du programme
de transformation et accompagner les changements organisationnels.
En tant que DSI d'Alcatel, je place ce défi encore au-delà
de l'optimisation des ressources informatiques: les
économies sont supérieures en travaillant à l'amélioration
des processus métier qu'en optimisant ses dépenses informatiques.
Quels
sont vos rapports avec les utilisateurs finaux ?
Nous sommes une sorte de "PME" à l'intérieur
d'Alcatel. Pour chaque projet, nous nous engageons sur
des plans et devis auprès de nos utilisateurs, mais
nous n'allons pas jusqu'à signer des contrats classiques
: les unités métier ne nous payent pas pour les services
rendus, comme on peut le faire dans d'autres entreprises.
Nous mettons toutefois à la disposition de nos clients
un véritable catalogue de services.
La
centralisation a-t-elle dégradé la communication ?
Le contact avec l'utilisateur final s'est
un peu distendu. Il est toujours plus facile de demander
à Bob, que l'on connaît depuis des années, de passer
nous voir, que de téléphoner à Dimitri. Mais nous avons
fait en sorte de conserver un support technique partout
sur le terrain. Pour tout dire, je pense qu'il y a un
changement culturel à opérer.
Le
SI d'une grosse firme comme Alcatel, c'est une tour
de Babel ?
Historiquement, nous disposions d'une
collection d'architectures techniques et applicatives
ayant chacune leur logique propre. Mais nous sommes
maintenant tournés vers des solutions et services multi-technologies,
déployés globalement. Nous
gérons la chaîne logistique sur une architecture SAP,
avec des fonctions de planification avancées sur I2,
et la relation client sous Siebel, le tout relié par
une infrastructure EAI WebMethods et sur la base de
référentiels clients, produits, fournisseurs et composants
centraux.
A l'époque où nous
avons fait ces choix, ces produits étaient un excellent
compromis entre performances et universalité - entre
l'approche "best of breed" et le "tout-en-un". Côté
infrastructure, nous commençons de migrer lentement
d'Unix vers Linux.
Alcatel,
c'est combien de postes clients en tout ?
Le parc se réduit de jour en jour, suivant
en cela la courbe des effectifs d'Alcatel. Aujourd'hui,
il y a environ 72 000 PC et 13 000 Wokstations, et notre
objectif est de ramener ce chiffre à 55 000 PC et 8
500 Workstations. Nous n'achetons donc presque plus
de PC : nous redistribuons les postes en fonction des
besoins.
Mais cette politique n'a qu'un
temps : nous allons bientôt reprendre les investissements
en vue de rajeunir le parc. Toutes les options sont
ouvertes : nous n'avons par exemple pas exclu la possibilité
d'opter pour des clients légers dédiés aux applications
les plus basiques. Cette option est d'autant plus intéressante
que nous sommes en train de "webiser" bon nombre d'applications.
Quelques experts d'Alcatel travaillent en ce moment
sur ce dossier.
Vos
30 premiers clients représentent 50 % de
votre CA. Votre SCM est-il relié au leur ?
C'est l'un de nos principaux objectifs.
Nous avons à cette heure huit grandes connexions avec
les SCM de nos principaux clients, très avancées sur
le plan technologique. Nous utilisons les fonctions
d'advanced planning [NDLR: de prévision des stocks
et de la production]
avec tout le recul qui s'impose.
Certaines de nos activités
sont assez prévisibles, d'autres le sont moins : il
faut savoir lire les statistiques en tenant compte de
ce paramètre. Nous utilisons surtout l'advanced planning
comme un outil d'aide à la décision. Quand on sait les
utiliser de façon critique, le ROI de ces outils est
excellent. Je n'ai qu'un regret : qu'il soit encore
trop souvent nécessaire de développer un connecteur
spécifique pour relier un SCM à un autre. Nous travaillons
actuellement à une standardisation des connexions, mais
les outils techniques doivent encore faire des progrès.
On est encore loin de l'idéal de la "napsterisation"
des échanges B2B.
Comment
gérez-vous vos équipes ?
Le secret de la réussite, c'est de savoir
s'entourer : de mettre la bonne personne au bon endroit.
Si les hommes sont bons et les choix technologies perfectibles,
tout peut s'arranger. Par contre, si la stratégie et
la technologie sont optimales et que l'équipe est inadaptée,
on court à la catastrophe. Nous apprécions beaucoup
les personnes qui ont une double casquette, à la fois
technique et métier : ils ont une vision beaucoup plus
mature des problèmes que l'on peut rencontrer. Lorsque
l'on a réussi à réunir les bonnes expertises, il ne
faut plus hésiter à déléguer : il faut réunir et écouter
ses experts.
Pour
ou contre l'externalisation ?
Tout dépend du contexte et de l'activité
que l'on souhaite externaliser. Personnellement, je
ne crois pas du tout à l'outsourcing "big bang" de l'ensemble
des services : c'est selon moi un aveu d'un manque de
maîtrise de la ressource informatique dans une organisation.
Face à des situations critiques, les directions générales
écoutent parfois le chant des sirènes et se tournent
vers les "grands" de l'industrie seuls jugés capables
d'en prendre la mesure. C'est un très mauvais principe
: on n'externalise pas un problème.
A
qui faites-vous confiance pour vous informer ?
Aux acteurs ! Il n'y a pas meilleure
source d'information que les acteurs, les personnes
qui se sont réellement frottées à un problème. Je rencontre
assez régulièrement le CIO de Dell et celui-ci a eu,
à une certaine époque, de très utiles et intéressants
commentaires sur certains des systèmes pour lesquels
son entreprise est souvent citée en exemple et qui ont
influencé nos propres choix.. Je valorise énormément
l'expérience pratique des hommes de terrain.
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