Avec l'IA, la génération de logos passe au low-cost

Avec l'IA, la génération de logos passe au low-cost Des outils développés par des start-up permettent même à des PME à petit budget de réfléchir à leur identité visuelle.

Plus besoin de griffonner pendant des heures sur une feuille de papier ou une palette graphique pour trouver l'identité visuelle de son entreprise. Plusieurs start-up américaines ont développé des solutions d'intelligence artificielle qui génèrent des logos sur mesure pour leurs utilisateurs en quelques clics. Pionnier du secteur, Yali Saar a cofondé en 2014 la jeune pousse new-yorkaise Tailor Brands.

Pour utiliser ce service en ligne, il suffit à l'entrepreneur de donner le nom de son entreprise, Apple par exemple. Il peut également s'il le souhaite donner un slogan, comme "think different", avant d'opter pour un logo basé sur une forme graphique, une initiale ou le nom de sa structure. Il choisit ensuite entre seize types de logos différents les huit qui lui plaisent le plus. La solution génère une série d'images correspondant aux gouts formulés par l'utilisateur, comme celles présentées ci-dessous.

© Tailor Brands

S'il le désire, l'utilisateur peut ensuite modifier certaines caractéristiques de l'image qui ne lui conviennent pas en fonction des propositions effectuées par le moteur, qui s'adapte à chaque nouveau clic. Voici par exemple les nouveaux logos proposés à partir de l'une des images présentées ci-dessus.

© Tailor Brands

L'intelligence artificielle de Tailor Brands est basée sur des outils de reconnaissance visuelle utilisant le machine learning et les réseaux neuronaux, des algorithmes conçus pour fonctionner autant que possible comme le cerveau humain. Elle n'intègre pas de brique de reconnaissance et de compréhension du texte, d'où le fait qu'aucun logo de pomme n'ait été suggéré pour la marque Apple. L'utilisateur peut par contre demander au générateur de lui proposer un certain type d'icone (comme celui d'une pomme), sélectionner sa favorite et lui demander de l'intégrer à son logo (comme montré ci-dessous).

© Tailor Brands

"Au moment où nous avons créé Tailor Brands, le marché du design était en plein bouillonnement. De nombreux générateurs automatiques de logos basés sur des modèles types se sont lancés dans les années 2010. Nous ne fonctionnons pas ainsi : notre solution crée un design entièrement sur mesure pour chaque utilisateur sans se baser sur une série d'archétypes", explique Yali Saar.

La solution de Tailor Brands a demandé un an de développement. Avant son lancement à grande échelle en 2015, elle a ingéré et digéré des millions d'images, leurs couleurs, leurs symboles, leurs formes... "Comme un musicien de jazz improvise à partir de thèmes de base, notre IA crée des variations sur ces figures. Elle teste de nouvelles couleurs, de nouveaux graphismes, une façon différente d'espacer les lettres… Elle présente à l'utilisateur les variations qu'il est le plus susceptible d'apprécier (en fonction des goûts qu'il a exprimé en cliquant sur certains modèles de logos plutôt que sur d'autres, ndlr). Si la variation leur plaît, l'outil l'intègre comme une variante possible de ses futures créations graphiques", poursuit l'entrepreneur. L'intelligence artificielle de la start-up est autoapprenante et améliore ses propositions à chaque nouvelle utilisation, affirme Tailor Brands.

En septembre 2017, l'entreprise a enregistré plus d'un million de nouveaux utilisateurs. La solution a généré plus de 150 millions de logos depuis son lancement, mais attention, chaque design n'est pas synonyme de chiffre d'affaires engrangé par la société (le patron n'a d'ailleurs pas souhaité dévoiler ses résultats). Le générateur peut être utilisé gratuitement. Pour acheter le logo et avoir le droit d'en faire une utilisation commerciale, il faut débourser 11 dollars. Les utilisateurs peuvent également s'abonner pour 3 dollars par mois (sur un an minimum) et accéder à des services supplémentaires (création de variations saisonnières de leur logo, conseils d'un "responsable de marque"…). La jeune pousse a levé depuis sa création 5,1 millions de dollars pour financer le développement de son outil IA.

En septembre 2017, Tailor Brands a enregistré plus d'un million de nouveaux utilisateurs, sa solution a généré plus de 150 millions de logos depuis son lancement

Tailor Brands est loin d'être la seule start-up à proposer ce type de solutions intelligentes. Fondée en septembre 2016, Logojoy est l'une de ses concurrentes. Elle a lancé son générateur en janvier 2017. Six mois plus tard, l'outil avait "dessiné" plus de deux millions de logos. En septembre, 25 000 nouveaux designs sont créés sur le site chaque jour. Logojoy ne communique pas ses résultats mais indique qu'en moyenne entre juin et septembre, son chiffre d'affaires a augmenté chaque mois de 15%. Le système intègre cette fois-ci un outil d'analyse sémantique du nom et du slogan de l'entreprise. Concrètement, cela signifie que le générateur propose automatiquement à l'utilisateur d'ajouter des images de pomme pour Apple.

Le secteur attire les jeunes pousses de la tech et pour cause : le marché est de taille. "Jusqu'à l'arrivée des générateurs automatiques, dopés ou non à l'intelligence artificielle, les entreprises payaient plusieurs milliers de dollars pour qu'un designer imagine l'identité visuelle de leur marque. Seuls les grands groupes peuvent se permettre ce type de dépenses. Notre solution permet à un entrepreneur de créer son identité visuelle et de l'utiliser sur le web pour 20 dollars. Pour obtenir une version de qualité suffisante pour l'impression, il faut compter 70 dollars. Nos clients sont pour moitié des patrons de TPE et PME et pour moitié des indépendants", détaille Dawson Whitfield, cofondateur et PDG de Logojoy, qui a levé 900 000 dollars.

"Seuls les grands groupes peuvent se permettre de dépenser plusieurs milliers de dollars pour dessiner leur logo, notre solution permet à une PME de créer son identité visuelle pour 20 dollars"

99,7% des 5,83 millions d'entreprises répertoriées en 2014 aux Etats-Unis par le Census Bureau, l'équivalent local de l'Insee, comptent moins de 500 salariés. Plus de 450 000 entreprises ont été créées la même année sur le territoire américain. La France totalisait quant à elle 4 millions de PME (qui comptent entre 10 et 250 salariés) en 2014 et 1,1 million d'auto-entrepreneurs en juin 2016. Autant de clients potentiels pour ces générateurs intelligents et low-cost de logos.

Ces entreprises n'ont souvent pas de département marketing et ne veulent pas perdre de temps à gérer ce type de problématiques. "Paul Rand, le designer qui a inventé le logo rayé d'IBM a choisi la version avec sept rayures parce que c'était, à l'œil, la plus équilibrée. Il a ensuite fouillé dans l'histoire du groupe afin d'écrire un document de 150 pages expliquant à quel point ce choix était lié à l'histoire même d'IBM (rire). Nous permettons aux petites entreprises de ne pas perdre de temps avec la lecture de ce type de documents", s'amuse le patron de Tailor Brands.

Les solutions IA réalisent-elles pour autant un travail aussi créatif que les designers ? "Pour des projets basiques, oui. Pour créer de nouveaux logos, ils se basent sur l'histoire du design, s'inspirent d'images existantes", se défend Yali Saar. Les logos de Beats ou encore d'Airbnb sont par exemple inspirés du même livre, indiquait dans un tweet en avril 2016 Spencer Chen, le directeur marketing du géant chinois du net Alibaba. Cet ouvrage intitulé Trademarks & symbols of the world : the alphabet in design (marques et symboles du monde : l'alphabet du design en français), écrit par Yasaburo Kuwyama, a été publié en 1989.

Mais les designers en chair et en os ont une force par rapport aux générateurs IA : avant de se mettre au travail, ils discutent avec l'entreprise dont ils dessinent le logo pour comprendre ses clients finaux, à quelle catégorie socio-professionnelle ils appartiennent, quel est leur âge, leur lieux de vie… Car ce sont bien ces clients potentiels qui sont censés être séduits par le logo de la société. Les générateurs IA, eux, ne se concentrent que sur les goûts de la personne qui crée le logo (souvent un salarié ou un dirigeant de l'entreprise). Le risque que le résultat ne plaise pas au client est là.