Aujourd'hui, beaucoup de gens bien informés pensent
que la libéralisation des télécommunications en
France est achevée : les progrès du dégroupage
ont permis que le prix de l'ADSL soit divisé par
trois en deux ans, comme la concurrence l'avait
fait pour le téléphone fixe. La croissance du
nombre de foyers connectés à l'ADSL place la France
parmi les pays les mieux connectés en haut débit.
Que resterait-il donc à faire ? Rien ?
Ce serait méconnaître la réalité. Un quart seulement
des Français est desservi par le dégroupage. Les
trois-quarts restant n'ont d'autre choix que l'abonnement
téléphonique de France Télécom, ou l'ADSL de France
Télécom pour les plus fortunés !
Augmentation du prix
de l'abonnement téléphonique ...
L'enjeu majeur pour l'opérateur dominant France
Télécom est donc évidemment de sécuriser ses revenus
liés à la ligne de téléphone. Depuis 1999, le
revenu moyen par Français est stable autour de
29 euros HT (abonnement et communications, hors
appels fixes vers mobiles), malgré la baisse importante
du prix des communications : c'est donc que
France Télécom augmente l'abonnement littéralement
pour compenser ses pertes liées à la concurrence.
En 2005, l'Arcep a autorisé France Télécom à augmenter
son abonnement de un euro par an pendant trois
ans, ce qui lui rapportera un milliard d'euros
supplémentaire par an.
... mais baisse
du prix du dégroupage
En contrepartie, France Télécom s'est engagé à
faire baisser le prix du dégroupage et à proposer
une offre de revente en gros de l'abonnement téléphonique,
pour que ses concurrents puissent vendre de l'abonnement
aux Français.
Les concurrents eux, ont donc investi massivement
dans le dégroupage. Tele2 a par exemple co-investi
avec le groupe Neuf Cegetel à hauteur de 63 Millions
d'Euros dans le réseau. Mais les moyens des opérateurs
alternatifs sont sans commune mesure avec la puissance
de feu de France Télécom, même s'ils représentent,
pris ensemble, plusieurs centaines de millions
d'euros. Leurs réseaux restent limités aux 600
plus gros répartiteurs (sur 12.000 en France).
L'Arcep a choisi de fixer
le prix du dégroupage à 9,5 euros...
Dans ce contexte, l'Arcep vient de publier la
méthode économique qui permet d'estimer le coût
d'une ligne de téléphone. Quel que soit l'intérêt
technique de la méthode, et sa solidité juridique,
elle dépend néanmoins d'un choix de variables
fixés par l'Autorité : le taux de progrès
économique en matière de génie civil, par exemple,
ou le niveau des coûts financiers. Et de manière
intéressante, le résultat final est déjà connu
de tout le monde avant qu'il ne soit estimé par
France Télécom. Opérateurs, analystes financiers,
ou actionnaires, les paris varient entre 9 et
9,5 euros par mois (prix actuel), alors que les
études indépendantes aboutissent plutôt à une
fourchette de 7 à 7,5 euros par mois.
De notre point de vue, ces 9 euros par mois sont
surtout le prix minimal que France Télécom, champion
national et acteur politique d'envergure (emplois,
sécurité des réseaux, présence locale etc.), veut
bien accepter qu'on lui impose !
On le voit, il n'est plus question pour France
Télécom que la concurrence vienne l'inciter à
une amélioration de son efficacité par une baisse
des prix. Le régulateur lui-même se satisfait
des concurrents dont la simple présence est censée
empêcher que France Télécom n'augmente trop les
siens.
... un tarif qui
favorise France Télécom au détriment
de la concurrence
Seul problème, et de taille :
à ce prix-là, les opérateurs sont dans l'incapacité
de vendre l'abonnement téléphonique à un prix
compétitif. On peut même légitimement se poser
la question de savoir comment France Télécom parvient
à le faire avec des profits, avec un coût de la
ligne téléphonique aussi élevé. Quant à la revente
de l'abonnement, promise par France Télécom en
échange de l'accord de l'Arcep sur la hausse de
l'abonnement, elle ne permet pas davantage de
concurrencer France Télécom sur l'abonnement,
puisque l'écart est de 6 % entre prix de
gros et prix de détail alors que les coûts évités
pour France Télécom s'élèvent à plus de 25 %
(selon notre expérience dans des pays plus avancés).
Les opérateurs alternatifs indépendants, comme
Tele2, sont donc cloîtrés dans une sorte de réserve
de dégroupeurs sauvages, au-delà de laquelle ils
auront des difficultés à s'étendre. Quant au client
final, sa facture augmente sur les services qui
ne sont pas en concurrence, surtout lorsqu'il
a une consommation modeste.
C'est un choix réglementaire qui a été fait :
favoriser l'ADSL. Tele2, qui a maintenant 34 millions
de clients dans 30 pays en Europe, Internet, téléphonie
fixe et mobile, a toujours milité pour que la
concurrence s'exerce au bénéfice de tous :
pour de meilleurs prix et sur tous les services,
favoritisme particulier envers tel ou tel modèle
financier. Aujourd'hui, seule la revente de l'abonnement
à un juste prix, le dégroupage et la collecte
DSL à leur vrai coût, la surveillance des effets
de ciseau et des subventions croisées anti-concurrentielles
au sein du groupe France Télécom, permettraient
d'inverser la tendance, durablement. On en est
encore assez loin.
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