TRIBUNE 
PAR BENJAMIN JOFFE
"Corée : la vie à très haut débit"
Benjamin Joffe, consultant Internet et mobile en Asie, fondateur de la société Plus8Star, livre régulièrement aux lecteurs du JDN ses analyses sur les dernières tendances IT asiatiques. Aujourd'hui : comment le Web a transformé la société coréenne.  (12/04/2006)
 
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Les mobiles, l'électronique et certains films venus de Corée du Sud ont gagné ces dernières années les faveurs du public français. Mais l'on n'imagine pas à quel point la diffusion du haut débit fixe et mobile a modifié la façon de vivre des Coréens. A mi-chemin entre notre monde d'aujourd'hui et un futur de science-fiction à la William Gibson ou Jean-Michel Truong, voici un aperçu du quotidien dans lequel baigne avec naturel la nouvelle génération de Coréens "câblés". Un mode de vie qui préfigure, sans le savoir, le futur du reste du monde.

Vivre en ligne
Avec de la fibre à 100 mégabits par seconde pour 25 euros par mois et plus de 20.000 cafés Internet équipés pour passer quelques heures (un euro l'heure), voire une nuit, à bloguer, chatter, jouer (du "hardcore gamer" au "casual"), écouter de la musique ou voir des films - et plus rarement surfer - , la Corée a intégré l'Internet dans son quotidien. A un degré tel qu'un grand nombre d'actes du quotidien sont devenus plus naturels "online" qu'"offline". Rappelons pour l'histoire que si en 1995 moins de 1 % de la population était connectée à Internet, ce sont plus de 70 % des foyers qui bénéficient aujourd'hui du haut, voire du très haut débit. Aussi, 90 % des mobiles coréens sont 3G.

Qu'il s'agisse de cours en ligne (anglais, comptabilité, yoga…), de voyages (louer une voiture ou une chambre avec visite virtuelle, payer un forfait de snowboard), ou d'opérations de la vie quotidienne (achats, banque en ligne, obtention de certificats, diplômes, documents administratifs…), la Corée fait figure de pionnière pour un vaste ensemble de services. Certains succès comme le service de musique pour mobile et PC "Melon" ("Melody On") de SK Telecom, ainsi que le service "Jishik'In" ("personne de savoir") du portail Internet Naver ont même été adaptés par Yahoo en Yahoo Music et Yahoo Answers. Deux exemples moins connus illustrent à merveille ces transformations : le blogging coréen et le "journalisme citoyen".

Des blogs 3.0
Disserter sur le blogging coréen, c'est un peu faire du neuf avec de l'ancien, car cette activité fait partie du quotidien des Coréens depuis déjà plusieurs années, notamment via un site appelé Cyworld, lancé dès septembre 2001.

Maintenant présent en Chine, au Japon et venant d'être lancé aux Etats-Unis, ce "blog de troisième génération" combinant journal intime multimédia et réseau social est devenu un véritable phénomène de société et occupe près d'un tiers de la population du pays, à la pause déjeuner, après les cours ou le travail (et même parfois pendant !). Ainsi, ce sont 15 millions de blogs (sur une population totale de 48 millions) qui ont été créés, mis à jour et commentés presque quotidiennement par 90 % des internautes entre 20 et 30 ans, et représentant 4 milliards de pages vues par semaine.

Racheté en août 2003 par SK Communications (filiale de l'opérateur coréen SK Telecom, qui détient 51 % du marché mobile) avant même que le mot "Web 2.0" ne devienne à la mode, le service a été connecté au mobile en mars 2004. Depuis, plus d'un million d'utilisateurs génèrent déjà un Arpu data substantiel pour les trois opérateurs, en plus des revenus du service lui-même (50 millions de dollars en 2005). Vous avez dit convergence ?

Journalisme citoyen : 2.0 en action
Avec la défense de la liberté de la presse, c'est l'un des sujets à la mode aux Etats-Unis, mais l'accueil qui a été réservé aux premières expérimentations est resté très en-dessous des attentes de son porte-parole, le journaliste et activiste Dan Gillmor, fondateur de CitizenMedia.org et auteur de "We, the Media". Là-bas comme ailleurs, les médias se limitent souvent à donner une parole plus personnelle à leurs journalistes au travers de blogs.

A l'insu du teenager et du journaliste occidental, le site coréen Ohmynews lancé il y a six ans compte environ 600.000 visites quotidiennes (soit 18 millions par mois) et vient de recevoir de Softbank, le géant japonais de l'Internet, un financement évalué à 11 millions de dollars pour aider à son développement local et international. Celui-ci damera probablement le pion au portail japonais Livedoor qui s'était inspiré du modèle mais qui s'est, depuis, embourbé dans un scandale financier qui lui a coûté son CEO et quelques directeurs.

Le secret de ce succès : une formule savante d'interactivité, de haut débit, d'ergonomie et de ce qu'il faut de subversion pour motiver le passage de 4 à … 41.000 journalistes-contributeurs en avril 2006.

Jusqu'où iront-ils ?
Si les deux exemples cités plus haut ne peuvent donner qu'un aperçu très partiel de l'influence qu'a pu avoir plus de sept ans d'usage du haut débit à l'échelle nationale, il est certain que l'Internet remodèle ou crée ex nihilo de nouveaux usages sociaux et que la Corée en est une sorte de laboratoire. Ce que le fondateur de Cyworld nomme "re-engineering de processus sociaux" touche aussi bien les sphères professionnelles (MSN ou Nate-IM à tous les étages avec collègues, clients, partenaires, relations…) que personnelles (avoir trois ou quatre blogs sur différents services pour différents groupes d'amis ou de relations est chose courante et les rencontres en ligne n'ont plus rien à voir avec le "Minitel rose").

Dans un pays pivot entre Japon et Chine, dont la principale ressource est sa population, la course vers une "société du savoir" est clairement vue par le gouvernement comme le seul recours pour jouer un rôle au moins régional. La pierre angulaire en est le développement de services sur une infrastructure haut débit "ubiquite", comme le suggère la préparation du lancement du WiBro (une évolution mobile du WiMax) cette année, ou en 2005 celui de la télévision numérique mobile terrestre et par satellite (selon deux solutions concurrentes).

Un modèle pour la France ?
A l'heure où la France réfléchit au très haut débit, l'activité intense des "Netizens" coréens semble indiquer qu'une fois l'infrastructure établie, le reste - nouveaux services et nouvelles habitudes - suivra... L'Internet français aidera-t-il à former une nouvelle agora et pourra-t-il combler les fractures sociales et numériques comme il semble l'avoir fait en Corée ?
 
 

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