Pierre Calmard (iProspect) "Les médias perdent en influence au profit de Google et Facebook"

Le patron de l'agence iProspect et auteur de "L'homme à venir" revient sur la genèse de sa réflexion philosophique sur l'influence du digital dans notre vie de tous les jours et les enseignements qu'il en tire pour les marques.

JDN. Pourquoi en tant que patron d'agence avoir écrit un ouvrage prospectif et philosophique tel que "L'homme à venir" ?

Pierre Calmard, président d'iProspect France© S. de P. iProspect

Pierre Calmard. Ce livre était surtout l'occasion de réconcilier les différences trajectoires que j'ai pu connaître au cours de ma vie personnelle. D'abord comme étudiant en philosophie, puis ingénieur statisticien, HEC, et enfin patron d'agence pendant 15 ans. Il me semblait intéressant de faire une synthèse qui a abouti à ce livre : une réflexion philosophique sur la façon dont le numérique modifie aujourd'hui le métier des agences... mais aussi l'humain et des concepts tels que le bonheur ou la liberté.

 

D'un point de vue business, quel est le principal enseignement qu'il faut retenir de cet ouvrage ?

Je dirais que la visée du bonheur doit devenir essentielle dans les systèmes économiques comme politiques. L'appropriation de cette notion a été plutôt lente, mais elle est désormais actée. Et toutes les organisations, gouvernements, associations, entreprises et autres se doivent d'offrir ça à leurs communautés : citoyens, consommateurs et autres. C'est peu-être un poncif de le dire, mais les gens veulent être libres et heureux. Et ce n'est pas une surprise si les entreprises qui respectent cette promesse, Apple, Google et Microsoft en tête, sont celles qui ont aujourd'hui les capitalisations boursières les plus importantes.

Google et son search qui donne accès au savoir. Apple et ses appareils d'une qualité et d'une simplicité d'usage sans égal. Ces plateformes permettent à leurs utilisateurs de s'approprier des outils donnant accès à plus de liberté. Rappelez-vous la promesse originelle de Steve Jobs, qui est arrivé à une époque où ces outils technologiques étaient réservés aux seuls geeks. Il s'agissait de démocratiser tout ça, pour que chacun puisse profiter de plus de libertés.

 

La technologie est sans doute un vecteur de liberté... Mais de plus en plus de personnes s'inquiètent de la démocratisation de l'intelligence artificielle.

C'est juste. Des personnalités comme Elon Musk ou Steven Hawking n'ont de cesse de rappeler leur défiance vis à vis de cette intelligence artificielle qui risque de dépasser l'être humain et la nécessité, pour éviter sa prise de pouvoir, de mettre en place des garde fous. Mais cette réflexion me paraît dépassée à plusieurs titres. D'une part, parce que le mouvement est inéluctable et que chaque rupture introduit l'idée que c'était mieux avant. Je ne doute pas qu'au moment de la découverte du feu, certains aient freiné des quatre fers, arguant que cette découverte était dangereuse. L'inconscient collectif associe souvent la nouveauté au danger et à quelque chose de néfaste. Il suffit, pour s'en convaincre, de regarder les œuvres de science-fiction qui, dans 99% des cas, associent l'apparition d'une forme de vie extraterrestre à quelque chose de dangereux. Pourquoi une forme de vie plus intelligente ne pourrait-elle pas être bienveillante et absolument pas destructrice ?

 

Pour en revenir à Google, Apple et consorts... Vous évoquez le "sacre des plateformes digitales" et un changement radical dans le business model des médias. Ces derniers doivent-ils s'inquiéter ?

Les médias voient leur influence sur les consommateurs décroître au profit de ces nouveaux espaces d'audience. Ils doivent clairement réinventer leur modèle, quitte à devenir des marques médias obligées de développeur leurs audiences en utilisant le potentiel de ces plateformes digitales... sans pour autant tomber dans une dépendance dangereuse pour leur survie. Ce nouveau paradigme a sans surprise des conséquences sur les stratégies de marques qui ne peuvent plus se contenter de profiter de l'audience des médias pour tâcher d'influencer leurs consommateurs. Ces nouveaux bassins d'audience que sont Facebook et Google ayant peu de contenus propres, ce sera donc aux marques de produire leur propre contenu.

 

Quand vous rappelez que Facebook et Google ont peu de contenus propres, on serait tenté de dire "pour l'instant". Un Facebook qui lance "Instant articles" ou encore son propre format de diffusion de vidéos ne va-t-il pas bientôt s'y pencher ?

Je ne crois pas. Le succès de Facebook, comme de Google, repose sur l'extrême diversité des contenus qui y existent. Même s'il est vrai que ces deux géants mettent à mal le business models des médias, ils n'en restent pas moins eux aussi dépendants de ces producteurs de contenus. Imaginez un Facebook dépourvu de tout contenu produit par les médias, réduit aux seuls contenus UGC... La plateforme perdrait une très grande partie de son intérêt. Je pense que ces plateformes s'en tiendront à ce qu'elles savent très bien faire : l'architecture et la curation de contenu mais qu'elles ne remonteront pas la chaîne de valeur. Regardez d'ailleurs le nombre de producteurs de contenus dernièrement acquis par Facebook ou Google. Il n'y en a pas !

 

Dans son ouvrage "L’homme à venir, comment le numérique va nous transformer", un essai mêlant philosophie et prospective, Pierre Calmard, président d'iProspect France, livre ses convictions pour les individus et les communicants. Mutation biotechnologique de l’espèce, survivance des médias et de la publicité, métamorphose du langage, dépendance aux plateformes numériques, retour en force de l'authentique, renversement des pouvoirs en place, apprentissage d’une nouvelle liberté… PierreCalmard évoque les défis de l’humanité face à la révolution numérique. L’auteur y soumet également 7 convictions qui s’adressent à tous les communicants, marques, annonceurs, gouvernements et spécialistes de la communication.