Entre automatisation et IA générative, où va l'achat média ?

Entre automatisation et IA générative, où va l'achat média ? L'achat média n'a pas attendu ChatGPT pour entrer dans l'ère de l'automatisation, du machine learning et de l'intelligence artificielle générative. L'évolution est en marche mais les limites restent importantes.

L'achat média n'a pas attendu ChatGPT pour entrer dans l'ère de l'automatisation, du machine learning et de l'intelligence artificielle générative. L'essor du programmatique et des places de marché publicitaires (ou ad exchanges) sont enrichies depuis des années par de nombreux modèles de machine learning permettant aux algorithmes d'apprendre des données collectées pour optimiser les stratégies d'achat média. "Cela fait très longtemps que nous avons l'habitude de confier aux outils d'achat la gestion de l'optimisation de la diffusion des campagnes par rapport à des objectifs immédiatement mesurables (conversion sur un site internet ou clic sur la bannière par exemple, ndlr). L'outil d'achat (le DSP, ndlr) sélectionne les impressions en fonction des signaux qui sont disponibles et gère les enchères impression par impression, ce que seule une machine est capable de faire. Tous les médias où la distribution de l'inventaire est opérée en temps réel par un système d'enchères, qu'il s'agisse d'un ad exchange, de Google Ads, ou des réseaux sociaux, sont concernés par l'automatisation depuis plus de dix ans", rappelle Masaki Halle, head of data chez Havas Media.

Cette gestion algorithmique peut aller jusqu'au choix de la création la plus appropriée pour répondre à une performance recherchée grâce aux technologies dites de DCO (dynamic creative optimization), actives sur ce marché depuis plusieurs années. Mais alors quelle est la nouveauté des intelligences artificielles dites génératives pour le secteur ?

"La vraie rupture est dans la quantité quasiment infinie de paramètres que l'IA est désormais en mesure de prendre en compte là où les algorithmes plus anciens collectaient un nombre réduit de signaux. D'autre part, l'IA est devenue génératrice, elle prend des décisions et génère des créations : elle se rapproche de la parfaite autonomie et de l'omniscience alors que les algorithmes autoapprenants suivent des chemins extrêmement balisés par les paramètres donnés par le media trader", explique Masaki Halle. Une évolution que cet expert voit se concrétiser plutôt dans des produits de type Advantage+ chez Meta, et Performance Max de Google.

De fait, là où l'automatisation n'avait jusqu'à présent lieu que sur un seul canal, un seul levier et un seul format (des bannières dans l'open web, de la vidéo sur Meta), ces nouveaux systèmes deviennent multicanaux et multiformats. Performance Max diffuse sur le search, YouTube, Maps, le réseau display de Google, l'inventaire google.com (Discover), etc. De plus, alors qu'avant c'était le trader qui paramétrait tous les éléments de la campagne (les créations à pousser, les segments d'audiences à cibler, les emplacements et les supports de diffusion à privilégier), c'est désormais l'IA, qui s'occupe de tout. "On paramètre un budget et un objectif et l'IA gère quasiment tout le reste. C'est pour cela que l'on parle d'IA génératrice", précise Masaki Halle.

Mais le recours à une intelligence artificielle plus avancée, capable de traiter des volumes très importants de données et de décider un nombre plus important de paramètres à même de prédire mais également de générer une action, n'est pas l'apanage des Gafam, à en croire Scibids, une adtech française lancée en 2016 et spécialisée dans la personnalisation de la gestion des enchères sur les ad exchanges. L'outil travaille de manière adhoc créant sur mesure des modèles qui vont durer à peine quelques heures pour prédire et dicter la meilleure stratégie d'enchères à adopter, qui elle-même est très volatile. "On est dans la convergence entre l'IA prédictive et générative. Avec les données dont on dispose à l'instant T :  les attributs de chaque impression, l'objectif de la campagne y compris des KPI et des modèles d'attribution très customisés (soit une petite centaine de dimensions différentes à tenir compte sur des dizaines de millions de domaines, ndlr.). Nos algorithmes sont capables de prédire les probabilités qu'un internaute convertisse et donc de dire s'il faut enchérir pour se donner toutes les chances de l'emporter, entre autres. Sur la base de ces prédictions, ces modèles génèrent un script de bidding qui dicte la stratégie d'achat à déployer dans le DSP", résume Rémi Lemonnier, cofondateur de l'adtech. Chaque semaine, Scibids pousse 150 000 modèles d'enchères, qui eux-mêmes tiennent compte de dizaines de millions de variables différentes. Un exemple majeur mais qui reste plus l'exception que la règle dans l'achat média. Scibids étant en effet un outil très pointu qui vient servir des annonceurs plus matures, la plupart de sa centaine de clients sont des agences et grands annonceurs basés aux Etats-Unis.

Trois limites pour l'avenir : l'opacité, l'image et le volume

Pour ce qui est de l'usage plus massif de l'IA générative, et même s'il serait illusoire de s'opposer à cette évolution, trois limites majeures viennent baliser leur développement, à commencer par l'opacité avec laquelle elles sont pour le moment gérées. Que ce soit chez Google ou chez Meta, l'acheteur média navigue à vue en se fiant presque aveuglement à la machine. L'accès extrêmement limité qui lui est offert aux données de reporting de campagne relève d'ailleurs d'un choix stratégique de la plateforme. Conséquence : l'acheteur est dans l'incapacité d'évaluer et de contrôler la valeur réelle générée par la campagne, il n'apprend rien et, cerise sur le gâteau, il s'expose à des conflits d'intérêt potentiels, les plateformes pouvant potentiellement pousser des inventaires qui les arrangent au détriment de l'intérêt réel pour la campagne.

Deuxième limite : l'IA n'apprend que de ce qu'elle voit, elle ne peut par conséquent pas servir les campagnes de branding, pour le moment du moins. "L'IA lance la campagne et capte des données pour savoir ce qui conduit à une conversion. Mais si elle n'est pas capable d'observer le résultat, elle ne peut pas apprendre : c'est le cas de toutes les campagnes d'image, où des études post-test sont nécessaires", commente Masaki Halle, précisant que Google avait déjà expérimenté sur YouTube l'outil TrueView for Intent, système d'automatisation de la diffusion par rapport à un objectif d'image lui-même basé sur les mini-sondages déployés pendant les campagnes. "Ce produit est resté très confidentiel et a été arrêté très rapidement, ce qui semble démontrer que c'est difficile de trouver un système qui fonctionne bien sur des campagnes de branding."

Troisième limite : pour que l'IA marche elle a besoin de disposer de beaucoup de données sur les utilisateurs et sur leurs parcours. "Chez Google et chez Meta, il n'y a pas de problème, ils disposent d'une masse et d'une variété énorme de données sur leurs audiences. Mais de l'autre côté de la barrière, dans le monde ouvert d'Internet, la réalité est très différente. Le volume de données est limité et la capacité de les croiser de plus en plus compromise avec la fin des cookies tiers", conclut le spécialiste.