Le plus ambitieux projet d'intelligence artificielle au monde s'est développé dans le secret pendant... 30 ans

Le plus ambitieux projet d'intelligence artificielle au monde s'est développé dans le secret pendant... 30 ans L'entreprise américaine Cycorp est en train de recréer un cerveau humain.

"Nous avons délibérément fait profil bas. Pas d'investissements extérieurs, pas de dettes. Nous publions peu d'articles et organisons peu de conférences, mais pour la première fois notre projet devient suffisamment concret pour que nous en parlions." Ainsi parle Doug Lenat, président et directeur exécutif de Cycorp.

Le but de Cycorp est de codifier la connaissance humaine et le bon sens afin que les ordinateurs puissent en faire usage

Siri et Watson, les technologies d'IBM et d'Apple, ont suscité l'engouement pour un ordinateur qui semblerait tout droit sorti de Star Trek mais qui fonctionne réellement : un système d'intelligence artificielle capable de recevoir des instructions clairement énoncées, de faire des déductions pertinentes et de réaliser ces instructions sans avoir besoin de millions de sous-programmes codés.

Le but de Cycorp est de codifier la connaissance humaine et le bon sens afin que les ordinateurs puissent en faire usage. Cycorp a entrepris de déterminer les dizaines de millions de données dont nous dépendons en tant qu'êtres humains – le savoir qui nous aide à comprendre le monde -  et de les représenter explicitement pour que les machines puissent les utiliser pour réfléchir. La société y travaillait sans relâche depuis 1984, elle fête  ses trente ans cette année.

"Bon nombre de gens sont toujours présents au bout de 30 ans; Mary Shepherd et moi-même avons lancé [Cycorp] en août 1984 et nous travaillons toujours dessus aujourd'hui, a raconté Doug Lenat. Il s'agit du plus important projet sur lequel on puisse travailler, c'est donc ce que nous faisons. Il va décupler l'intelligence humaine."

C'est à peine exagéré de dire que Cycorp est en train de fabriquer un cerveau depuis un logiciel, et ce en partant de rien.

L'élaboration de Cyc s'apparente "à l'éducation d'un enfant"

"Chaque fois que vous vous penchez sur un message ou un propos qu'un humain adresse à un autre, il est composé d'analogies, de logique modale, de croyances, de prévisions, de craintes, de modalités imbriquées et d'une foule de variables et de quantifieurs, a indiqué Doug Lenat. Tout le monde recherche un moyen gratuit de faire ça avec talent. Des agents virtuels superficiels font preuve d'un semblant d'intelligence ou apprennent les statistiques à partir de grandes quantités de données. Amazon et Netflix parviennent très bien à recommander des livres et des films sans comprendre le moins du monde ce qu'ils font ni pourquoi les gens les apprécieraient.

"C'est toute la différence entre une personne qui comprend ce qu'elle fait et une autre qui  agirait sous la contrainte."

Cyc, le produit de Cycorp, n'est pas "programmé" de façon conventionnelle. Il serait bien plus approprié d'affirmer qu'on lui "enseigne" un savoir. Doug nous a indiqué que la plupart des gens voyaient les programmes informatiques comme une série "de procédures, [comme] un diagramme", mais l'élaboration de Cyc s'apparente "bien plus à l'éducation d'un enfant."

"Si les ordinateurs étaient humains, ils seraient autistes, schizophrènes ou très fragiles"

"Nous employons un langage cohérent pour établir un modèle du monde", a-t-il expliqué.

Cela signifie que Cyc distingue "les espaces blancs plutôt que les noirs dans ce que les gens lisent et s'écrivent les uns les autres." Un écrivain peut choisir à dessein ses mots et tournures de phrases à mesure qu'il écrit, mais il s'attend à ce que le lecteur déduise de nombreux éléments présents entre les lignes ; c'est la mission de Cyc de parvenir à ces déductions.

Prenez la phrase "John Smith a cambriolé la First National Bank et été condamné à 30 ans de prison." On ne parle pas des détails de son arrestation, de son emprisonnement ou de son jugement. Un être humain n'irait pas chercher tous ces détails parce qu'ils sont ennuyeux, obscurs ou offensants. Vous pouvez sans problème partir du principe que les gens sauront de quoi vous parlez. Ça fonctionne comme pour les pronoms – il, elle, neutre – on suppose que les gens parviendront à trouver le référent. C'est très difficile à comprendre et à déterminer pour les ordinateurs mais Cyc parvient à réaliser les deux.

"Si les ordinateurs étaient humains", nous a révélé Doug, ils seraient autistes, schizophrènes ou très fragiles. Il serait déraisonnable voire dangereux que ces personnes s'occupent d'enfants ou fassent la cuisine. Ce serait comme d'affirmer : Nous avons un projet important à réaliser mais nous allons embaucher des chats et des chiens pour le mener à bien."

Lorsqu'on réfléchit aux robots actuels, il est difficile de les imaginer dépourvus des capacités dont est doté Cyc et qui lui confèrent une compréhension du monde humainement plus réaliste.

Il est possible que Cyc soit un jour intégré à un robot domestique incroyablement instruit et utile

A l'instar des ordinateurs avec leurs systèmes d'exploitation, il est possible que Cyc soit un jour intégré à un robot domestique incroyablement instruit et utile. Mais Cyc pourrait être employé en vue d'un tas d'applications diverses. On l'utilise déjà pour enseigner les mathématiques à des classes de sixièmes.

"Cyc peut faire semblant d'être un élève désorienté et le rôle de l'utilisateur sera de l'aider à comprendre et à apprendre les mathématiques de ce niveau. Il est nécessaire de réfléchir à l'implication émotionnelle que cela suppose. Notre programme comprend évidemment les mathématiques, il ne fait qu'écouter les élèves et diagnostiquer leur confusion pour déterminer quelle attitude serait la plus avantageuse pour leur compréhension. Nous avons l'opportunité de révolutionner les cours de mathématiques de sixième mais également ceux d'autres niveaux et domaines. Il n'existe pas non plus de raison pour ne pas l'utiliser en tronc commun."

Nous avons demandé à Doug ce que penserait de Cyc le célèbre auteur et penseur Douglas Hofstadter : "il saurait sans doute quoi faire pour que les choses soient intelligentes mais il aura fallu à un

individu, en l'occurrence moi malheureusement, des décennies pour défricher le terrain afin de pouvoir travailler. Ce n'est pas gagné, mais c'est précieux."  

 

Article de Dylan Love, traduction de Floriane Wittner

Voir l'article original : The Most Ambitious Artificial Intelligence Project In The World Has Been Operating In Near Secrecy For 30 Years