Intelligence artificielle : entre fantasmes et révolution
L’approche de l’IA a radicalement changé ces dernières années et doit nous inviter à donner une tout autre perspective aux prouesses de la machine. Cette approche, c’est l’apprentissage automatique.
L’intelligence artificielle n’est pas ce que vous croyez. Une révolution est bien en cours, mais elle ne s’appuie pas sur des machines reproduisant l’intelligence humaine. C’est par une autre voie que les machines se montrent capables de résoudre un nombre croissant de tâches de plus en plus complexes. Ces avancées portent des promesses inédites de délégation de l’humain vers la machine et nourrissent des fantasmes ancrés dans quelques confusions.
C’est, tout d’abord, l’origine même du terme d’IA qui nous met sur une fausse piste. En 1956, à Dartmouth, une poignée de scientifiques se réunit autour d’un programme de recherche commun : décrire finement tous les aspects du fonctionnement de l’intelligence humaine pour concevoir et construire une machine capable de la reproduire. C’est la première occurrence connue du terme d’intelligence artificielle.
Soixante ans plus tard, nous lisons régulièrement dans la presse que la machine dépasse l’humain. La société DeepMind s’illustre brillamment dans le domaine, en battant notamment le meilleur joueur de GO en 2016. Ces accomplissements ne se limitent pas au domaine des jeux et, dans le domaine médical par exemple, un modèle de vision artificielle est parvenu à identifier un plus grand nombre de mélanomes que des dermatologues expérimentés.
D’aucuns s’empressent de voir dans ces exploits la marche inévitable d’un progrès nous rapprochant de l’aboutissement de la démarche initiée à Dartmouth. Certains se prononcent - sans plus de fondements que leur intime conviction - sur l’horizon auquel l’humanité produirait une machine dont l’intelligence serait équivalente à celle d’un humain ; un fameux point de singularité à partir duquel cette machine, travaillant sans faille ni relâche à sa propre amélioration, dépasserait de façon exponentielle les capacités humaines.
Cependant, depuis Dartmouth, l’approche de l’IA a radicalement changé et doit nous inviter à donner une tout autre perspective aux prouesses de la machine. Cette approche, c’est l’apprentissage automatique. Il ne s’agit plus de reproduire les mécanismes par lesquels l’intelligence humaine résout les problèmes, mais bien d’obtenir les mêmes résultats par le biais d’un modèle, c’est-à-dire une formule mathématique plus ou moins complexe opérée par des quantités apprises. Le terme d’apprentissage se réfère ici à la capacité du modèle, sur une tâche bien précise, à s’améliorer légèrement en ajustant ses quantités à chaque fois qu’on lui présente des exemples, en comparant ses réponses à des réponses correctes.
Cette focalisation sur les résultats permet, en exploitant les propriétés statistiques du phénomène modélisé, d’obtenir de très bonnes performances, au prix d’une très grande spécialisation des modèles, mais ne préfigure pas l’embryon d’un raisonnement. Ainsi quand une machine bat un humain au jeu de GO, cela ne signifie pas que des chercheurs ont reproduit le raisonnement des meilleurs joueurs pour l’améliorer, mais plutôt qu’ils ont trouvé une autre stratégie, une autre méthode, pour résoudre le problème du GO. Une stratégie basée sur les statistiques, qui obtient de meilleurs résultats que celle des joueurs humains. Cependant, la machine est loin de comprendre le jeu au sens où un joueur humain le comprend.
De même, lorsqu’un modèle de vision artificielle détecte un mélanome, il n’a pas de notion de tissus organiques, de cancer, ou de vie humaine. Le modèle a simplement appris à reconnaître la représentation visuelle du mélanome, c’est-à-dire à donner une étiquette à un amas de pixels. Le potentiel d’un tel exploit est tout simplement considérable, mais il est loin de couvrir la mission d’une profession médicale.
Il ne s’agit pas ici de rassurer ceux qui se sentiraient menacés, ou de balayer des débats abscons, mais plutôt de refocaliser l’attention sur le véritable enjeu de la révolution actuelle : faire fonctionner les machines en bonne intelligence avec des humains, qu’elles n’ont pas vocation à remplacer.