Comment l'IA transforme le métier d'expert-comptable

Comment l'IA transforme le métier d'expert-comptable L'intelligence artificielle automatise un grand nombre de tâches répétitives et introduit des capacités d'analyse prédictive. De quoi accompagner le métier vers un rôle de conseil accru.

En 2018, une étude publiée par l'institut Sapiens prédisait la disparition du métier de comptable à partir de 2040 avec la digitalisation croissante de la fonction. Nous n'y sommes pas encore. En ces temps de crise sanitaire et économique, l'expert-comptable tient même un rôle clé. Au chevet de millions de TPE et PME, il agit comme un médecin prodiguant des conseils avisés pour aider les entrepreneurs à traverser cette période troublée. En vérifiant la régularité des comptes, des factures aux encaissements, il aide au maintien du fonds de roulement (BFR). Il conseille aussi le chef d'entreprise en matière de gestion, de fiscalité et de droit social. Il l'accompagne dans la constitution des dossiers de prêt garanti par l'Etat (PGE). Depuis la loi Pacte de 2019, il peut être également mandaté pour procéder au recouvrement à l'amiable des créances de ses clients. Une succession de tâches qui peuvent être digitalisées dans le cycle du "procure to pay" (P2P), de l'achat jusqu'au paiement, comme le propose notamment l'éditeur lyonnais Esker.

Si la crise du Covid-19 rend de facto obligatoire la dématérialisation de la relation entre l'expert-comptable et ses clients, le cadre réglementaire avait préparé le terrain. Alors que la facturation électronique est déjà obligatoire lors du passage de marchés publics via le portail Chorus Pro, cette obligation devrait s'étendre au secteur privé comme le prévoit le projet de loi de finances 2020. A défaut, la reconnaissance optique de caractères permet d'extraire automatiquement les informations pertinentes d'un bon de commande ou d'une facture, une fois ces documents papiers numérisés. L'OCR (pour optical character recognition) est historiquement le tout premier apport de l'intelligence artificielle à la fonction comptable.

Robotic process automation

L'IA et la robotic process automation (RPA) permettent désormais de robotiser beaucoup d'autres tâches manuelles, répétitives et chronophages. "En automatisant au maximum la tenue de comptes, un expert-comptable gagne en productivité et en fiabilité, les saisies manuelles étant sources d'erreurs", estime Brigitte Billerot, directrice marketing produits Experts-comptables chez l'éditeur Sage. Le machine learning intervient notamment dans le processus de lettrage qui consiste à rapprocher les factures des règlements correspondants. "Avant de certifier les comptes d'une entreprise, un expert-comptable doit s'assurer que la comptabilité est fiable et sincère", poursuit Brigitte Billerot. "Cette révision sera facilitée si devant chaque écriture, il retrouve rapidement la facture associée."

"L'arnaque au président peut être détectée tout comme une usurpation d'identité qui se caractérise par des paiements sur un compte inhabituel"

En matière de recouvrement, le machine learning pourra par ailleurs générer différentes alertes en cas de retard de paiement ou de dépassement de limite de crédit. L'IA peut aussi remonter des trop-perçus générant alors du cash. Quant à l'analyse prédictive, elle permettra, sur la base d'un historique des habitudes de paiement d'un compte client, d'anticiper un risque d'impayé et in fine de mener des actions correctives pour l'éviter. Au-delà des données internes, l'intelligence artificielle peut être alimentée en parallèle par des sources externes, au premier rang desquelles les agences de notation financière.

D'autres solutions d'IA interviennent dans le contrôle des données des fournisseurs (Iban, Siren, numéro de TVA intracommunautaire...). C'est le cas de l'application de l'éditeur parisien Trustpair. "Il s'agit de s'assurer que le tiers existe bien et que c'est le bon", explique son PDG, Baptiste Collot. "Ce qui peut prendre une demi-heure manuellement demande quelques secondes avec l'IA". Avec là encore, une meilleure maitrise de la qualité de la donnée. "On estime qu'il y a entre 30 à 50% d'erreurs dans une base de données de fournisseurs. En saisie manuelle, rien n'est plus insignifiant qu'une série de 15 chiffres", reconnait Baptiste Collot. Trustpair fait appel à des modèles de data science pour identifier des anomalies, des erreurs, voire des cas de fraude. "L'arnaque au président, qui se caractérise par un non-respect des process internes, peut être détectée tout comme une usurpation d'identité qui se caractérise par des paiements sur un compte inhabituel", souligne le patron de Trustpair.

Délesté des tâches à faible valeur ajoutée, l'expert-comptable peut pleinement jouer son rôle de conseil. "Alors qu'il était jusqu'alors dans une logique de comptabilité uniquement rétrospective, il peut se positionner comme un coach auprès de ses clients", estime Brigitte Billerot. Grâce l'IA, il peut, par exemple, plus facilement anticiper le moment où l'entreprise pourrait manquer de liquidités. "Un cabinet d'expertise-comptable est assis sur une montagne de données qui, anonymisées, peut lui fournir des enseignements sectoriels", poursuit l'experte. "Un cabinet très présent chez les boulangers pourra par exemple via le machine learning anticiper les variations de prix de la farine et alerter ses clients s'ils risquent de payer trop cher."

Homogénéiser les pratiques

L'IA permet par ailleurs d'homogénéiser la pratique comptable au sein d'un cabinet en exerçant un contrôle qualité à travers une multitude de points de vérification. Un enjeu clé pour cette profession très réglementée. Le recouvrement de la TVA est, par exemple, un sujet particulièrement sensible au sein de la profession à l'heure où le fisc renforce sa chasse aux fraudeurs. La Direction générale des Finances publiques (DGFiP) utilise d'ailleurs l'IA dans ce but via Alto 2, un logiciel développé en interne.

Enfin, l'IA peut, selon Brigitte Billerot, être un levier d'attractivité et de rétention des talents pour un métier qui souffre d'un déficit d'image et subit un turnover élevé. "Le recours à des outils innovants et la suppression des tâches fastidieuses peuvent séduire des digital natives. C'est plus ludique que de faire de la saisie au kilomètre", conclut-elle.