Fayrouze Masmi-Dazi (Dazi Avocats) "Il sera possible de saisir l'Autorité de la concurrence le jour où AI Overviews sortira en France"

L'Autorité de la concurrence française a rendu ce vendredi 28 juin son avis sur le fonctionnement concurrentiel du secteur de l'IA générative. Son analyse par Me Fayrouze Masmi-Dazi, spécialiste en droit de la concurrence.

JDN. L'Autorité de la concurrence française (AdlC) a rendu ce vendredi 28 juin son avis sur le fonctionnement concurrentiel du secteur de l'IA générative. Cet avis donne-t-il des bases juridiques aux éditeurs français pour poursuivre Google au sujet d'AI Overviews (ex-SGE) son moteur de recherche boostée à l'IA générative ?

Me Fayrouze Masmi-Dazi © (Dazi Avocats)

Fayrouze Masmi-Dazi. Oui tout à fait. L'avis rappelle qu'il existe plusieurs fondements juridiques pour traiter différents problèmes de concurrence qui pourraient résulter de l'usage de l'IA générative et qu'il faut surtout les aborder par une analyse en écosystèmes et non en silos. C'est là un apport important de l'avis de l'Autorité qui prend dans toute sa dimension la puissance de l'intégration verticale d'opérateurs tels que Google et Microsoft que l'IA générative peut renforcer. Il y aura sans aucun doute des saisines le jour où AI Overviews sera déployé en France et au sein de l'Union européenne si les effets anticipés en termes de baisse de revenus des éditeurs et de visibilité des contenus se matérialisent. De très nombreux opérateurs documentent l'impact de cet outil et s'y préparent.

Cet avis de l'Autorité, beaucoup plus large que le sujet spécifique d'AI Overviews, est très complet et a d'inédit le fait qu'il formule des propositions pour que les différents types d'opérateurs puissent se saisir des différents problèmes concurrentiels engendrés par l'IA générative sans qu'il y ait nécessité de mettre en place de nouvelles réglementations. De plus, l'Autorité précise qu'elle compte bien se pencher ultérieurement de façon encore plus minutieuse sur l'impact de l'IA sur les services avals aux consommateurs. Ce qui ouvre la voie à des enquêtes sectorielles voire contentieuses dans ce domaine comme cela a été le cas dans la suite de l'avis sur la publicité en ligne en 2018.

Le même raisonnement peut s'appliquer à Apple Intelligence, le nouveau système d'IA générative d'Apple intégré à l'iOS 18, si tant est qu'il soit déployé un jour en Europe. Sur ce point il est important de noter que la décision d'Apple de ne pas déployer son IA dans l'Union européenne au prétexte que le droit de l'Union européenne, et plus particulièrement le DMA, imposerait des obligations qui menaceraient la sécurité de ses systèmes, démontre combien sa démarche n'est pas pro-concurrentielle, comme l'a d'ailleurs souligné la Commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager.

Quelles sont les bases juridiques permettant de contester AI Overviews et tout principe de résumé de contenus qui aurait un impact sur le trafic et la monétisation des éditeurs ?

L'AdlC rappelle dans son avis qu'il existe une boîte à outils très vaste et complète de fondements juridiques qui peuvent être mobilisés sur ce terrain. En particulier l'abus de position dominante, l'abus de dépendance économique, le droit des pratiques restrictives présentes dans un contrat (DGCCRF) et les principes fondamentaux du Digital Markets Act (DMA), comme ceux du partage de données, l'interopérabilité et de la transparence. Sur ce point il faudra également que les autorités européennes et nationales se coordonnent afin de faciliter les démarches des victimes.

Par ailleurs, l'Autorité pointe très précisément le problème relatif à l'utilisation des contenus des éditeurs contre leur gré pour l'entraînement des IA. Ce qui ouvre fortement la voie aux éditeurs,qui pourraient très clairement se plaindre auprès de l'AdlC de l'usage de leurs contenus par les IA en dépit de leur opt-out. Au-delà de cette dimension curative, L'Autorité va jusqu'à suggérer que des accords de licence collectifs pourraient être conclus et qu'ils doivent tenir compte de prix différenciés en fonction du stade et du type d'entrainement qui est fait de ces contenus au moment même où le CSPLA (ministère de la Culture) a lancé une mission IA sur la rémunération des contenus.

Si AI Overviews est un service attaquable, est-ce qu'il pourrait être bloqué en France ?

L'avis de l'Autorité est également très soucieux des innovations technologiques. Le but n'est pas de les interdire mais de faire en sorte que ces développements ne portent pas d'atteinte disproportionnée, illégitime et anticoncurrentielle. En revanche, si l'impact négatif d'AI Overviews sur les revenus et le trafic des éditeurs et la visibilité de leurs contenus est démontré, comme cela semble être le cas aux États-Unis, il pourrait être imposé des remèdes à Google. Comme par exemple de ne plus masquer les liens vers les contenus ayant servi de source aux résumés et de les présenter de manière claire, visible. Rappelons que pour ce qui est des éditeurs de contenus de presse en ligne, un tel impact porterait également atteinte au principe constitutionnel du pluralisme.

L'avis de l'AldC traite de tous les champs couverts par l'IA générative. Quel est votre avis général sur ce texte ?

Cet avis est extrêmement complet et très actuel. Il a une approche très lucide sur les opportunités que cette innovation présente mais également sur les problèmes de concurrence qui sont d'ores et déjà matérialisés et ceux que l'on peut d'ores et déjà anticiper. Il analyse le fonctionnement de toute la chaîne de valeur de l'IA générative depuis l'amont : le(s) fabricant(s) de puces, les fournisseurs de  cloud, de modèles, en passant par les conglomérats intégrés comme Microsoft, Apple, Google, Meta, jusqu'aux services proposés aux consommateurs finaux. L'avis tient compte de tous les problèmes posés par l'intégration verticale de certains acteurs et l'extension de leur présence sur des marchés connexes grâce à l'IA, dont celui des données qu'ils s'approprient. A travers cet avis l'AdlC montre qu'elle est très à la pointe sur ce sujet.

Ce texte est extrêmement important aussi parce qu'il signale le fait que l'Autorité va également se pencher sur la question de l'accès aux données.