IA : les dirigeants partagés entre certitude et pessimisme à la française

L'intelligence artificielle est omniprésente et considérée comme une révolution industrielle majeure. Les dirigeants français en perçoivent le potentiel, mais malgré leurs efforts, sommes-nous prêts ?

L’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres, et nous n'avons sans doute pas fini d'en entendre parler. On la vante comme la prochaine révolution industrielle, un levier de compétitivité majeur, un facteur de productivité essentiel. Et ça, les dirigeants français l'ont bien compris. Pourtant, malgré l'ampleur de leurs efforts et des moyens déployés par leurs organisations, ils n'arrivent pas à dissiper cette question fatidique : sommes-nous capables de nous adapter à cette révolution technologique ?

Tous en France ont commencé à se renseigner, à mandater des experts, et à étudier les opportunités offertes par l'IA. Il faut dire que la France a de la ressource. Nos écoles forment des scientifiques de classe internationale et les chercheurs français figurent parmi les plus influents dans le domaine. En témoigne Yann LeCun, Chief AI Scientist de Meta, à qui l'on doit le deep learning, ou encore Cédric Villani, médaillé Fields et auteur d'un rapport précurseur prônant une stratégie nationale et européenne sur l'IA. OpenAI ne s'y est pas trompé en ouvrant récemment un bureau à Paris pour débaucher les talents français.

Et pourtant, une vaste étude récemment réalisée sur plus de 3000 leaders et chefs d'entreprises à travers le monde révèle que les Français sont parmi les plus pessimistes au monde. Les résultats de ce rapport mettent en lumière un paradoxe typiquement français : si 93 % des dirigeants disent avoir le meilleur dispositif informatique du marché, 71 % ne s'estiment pas préparés à l'intégration de l'intelligence artificielle dans leurs organisations. Au pays de l'excellence technologique, l'innovation est freinée par l'incertitude.

Comment expliquer cette contradiction entre certitude des acquis et doute en l'avenir ? Trois facteurs permettent d'éclairer la situation. Tout d'abord, la crainte de ne pas assurer la sécurité de ses données. Il est vrai que l'intelligence artificielle repose sur l’exploitation de volumes massifs de données, souvent sensibles, et nécessite une solide gournance pour rendre les résultats pertinents. Dans un contexte où les cyberattaques se multiplient, la peur d'une exposition accrue aux risques d'utilisation abusive de ce nouvel "or bleu", devenu un actif stratégique des entreprises, est légitime. Aujourd’hui, ne pas s’assurer d’une sécurité maximale avant de déployer des technologies IA, c’est prendre le risque de voir son entreprise exposée à des catastrophes industrielles majeures. Ce risque, bien réel, en freine donc l’adoption.

La deuxième raison tient au rôle singulier de l'Union européenne en tant que leader en régulation. Bien que l'AI Act ait le mérite de fournir un cadre législatif destiné à prévenir les dérives, la même étude montre que les dirigeants français se sentent dépassés par le rythme des nouvelles directives imposées avant même d'avoir pu assimiler les enjeux de l'IA. Ainsi, 56 % d'entre eux jugent les évolutions réglementaires liées à l'intelligence artificielle trop rapides et peu lisibles.

Enfin, le dernier frein majeur est l’incertitude quant au retour sur investissement. Alors que 69 % des entreprises ont déjà investi dans l'IA, seules 39 % d'entre elles constatent un retour sur investissement positif. Cette déception tient essentiellement au fait que l’IA est un pari de long terme, et que son implémentation doit s'inscrire dans une stratégie informée qui navigue selon un cap clair. Il est normal que l'IA n’offre pas de résultats immédiats. Elle nécessite des ajustements, le développement d'une véritable expertise en interne, et surtout, il faut éviter de construire ses attentes sous la pression des impératifs court-termistes. La révolution industrielle 4.0 n'aura pas lieu en quelques mois.

Au fond, de quoi manquent les dirigeants français ? De confiance. C'est pourquoi les entreprises de conseil doivent désormais jouer un rôle d'accompagnement crucial, qui ne doit plus se limiter à une simple mission ponctuelle. Elles doivent devenir de véritables partenaires, aidant à se projeter dans un avenir qui appartient assurément à ceux qui auront su maîtriser l'IA.