Semi-conducteurs : les tarifs de Trump en mesure de déclencher une nouvelle crise mondiale

Semi-conducteurs : les tarifs de Trump en mesure de déclencher une nouvelle crise mondiale Les tarifs douaniers que le président américain menace d'appliquer pourraient plonger ce marché fragile et fortement internationalisé dans une nouvelle crise.

Sitôt arrivé au pouvoir, le président américain a, comme promis durant la campagne, amorcé la mise en place imminente d'une vague de tarifs douaniers sans précédent dans l'histoire récente.

Il a notamment annoncé son intention de cibler une industrie hautement stratégique : les microprocesseurs. "Dans un futur très proche, nous allons mettre en place des tarifs sur les puces informatiques, semi-conducteurs et produits pharmaceutiques venus de l'étranger, pour rapatrier la production de ces biens essentiels aux Etats-Unis d'Amérique", a-t-il déclaré lors d'une rencontre avec des élus républicains de la Chambre des représentants à Doral, en Floride.

S'il n'a pas précisé à quelle échéance les tarifs douaniers seraient mis en œuvre, ni quelles zones géographiques seraient affectées, Donald Trump a suggéré qu'ils pourraient spécifiquement cibler les puces taïwanaises. "Ils nous ont quittés et sont partis à Taïwan", a-t-il affirmé en parlant des fabricants de semi-conducteurs. "Nous voulons qu'ils reviennent, et nous n'avons pas l'intention de leur donner des milliards de dollars pour cela", a ajouté le président américain. Une allusion au Chips Act, un vaste plan d'investissement de Joe Biden, visant à rapatrier la production de puces aux Etats-Unis à coups de généreuses subventions versées aux producteurs qui choisiraient d'implanter des usines sur place. La quasi-totalité des fonds prévus par cette loi ayant déjà été attribués, Trump ne peut pas vraiment revenir dessus, mais il n'a visiblement pas l'intention de continuer dans la même voie, préférant s'appuyer sur les tarifs douaniers.

La stratégie de Trump peut-elle réussir ?

Pour certains, ces tarifs pourraient accélérer la stratégie de relocalisation des activités de TSMC, fondeur taïwanais qui dispose d'un monopole sur les puces d'IA les plus avancées. La société cherche depuis déjà quelques années à limiter la concentration de ses activités à Taïwan, dans un contexte de plus en plus tendu avec la Chine. 90% des puces les plus avancées produites dans le monde le sont sur l'île - dont l'empire du Milieu revendique la souveraineté - en grande majorité par TSMC. "Trump 2.0 pourrait accélérer les efforts importants déployés par TSMC pour relocaliser sa production de Taïwan vers les Etats-Unis et le Japon, une tendance née avec la pandémie", estime ainsi une note de Neuberger Berman, un investisseur américain.

Pour Stephen Ezell, vice-president of global innovation policy de l'Information Technology and Innovation Foundation (ITIF), un laboratoire d'idées basé à Washington, l'existence de tarifs, si elle est naturellement prise en compte par les fabricants de puce, est toutefois loin d'être le seul facteur à jouer dans leur prise de décision. "Produire des semi-conducteurs est peut-être l'activité d'ingénierie la plus complexe jamais mise en œuvre par l'humanité. Au moment d'investir, les fabricants ne peuvent donc pas se permettre de se tromper, et évaluent méticuleusement plus de 500 facteurs — les talents, les taxes, les échanges commerciaux, les politiques technologiques, les conditions en matière de régulations, d'environnement et de marché du travail", résume-t-il.

La politique de Trump pourrait en outre avoir un effet pervers : limiter la compétitivité des produits américains. "Les semi-conducteurs de Nvidia, à la base de la révolution de l'IA, deviendraient plus chers, au même titre que les téléphones d'Apple" Le tout alors qu'Apple est déjà confrontée à une baisse des ventes de ses téléphones.

Le spectre d'une nouvelle crise

S'ils étaient appliqués, les tarifs douaniers de Trump risqueraient en outre de déstabiliser un marché déjà très fragile. En effet, produire des semi-conducteurs est une activité extrêmement coûteuse, notamment en matière de coûts fixes (une usine pour fabriquer des puces de pointe coûte entre dix et trente milliards de dollars). En outre, le marché étant très volatile, les producteurs sont sans cesse contraints d'arbitrer entre l'offre et la demande en effectuant des prédictions sur l'avenir pour éviter de se retrouver en sous ou surproduction. Ainsi, pendant la pandémie, plusieurs fabricants de puce ont dû mettre leurs usines à l'arrêt, tandis que les consommateurs du monde entier, désœuvrés et disposant d'un surplus de cash à dépenser, s'équipaient en nouveaux appareils électroniques, générant une tension sur la demande de puces qui a débouché sur une pénurie mondiale ayant mis plus de deux ans à se résorber.

Les fabricants ont alors musclé leurs capacités de production, mais la remontée de l'inflation et le ralentissement économique consécutif qu'ont connu de nombreux pays a ensuite provoqué une baisse de la demande de biens électroniques, entraînant cette fois-ci une surproduction de certaines puces. En ajoutant un facteur d'incertitude supplémentaire avec ses tarifs, et en changeant un cap politique amorcé sous son prédécesseur à base de subventions via le Chips Act, Trump risque d'ajouter encore à la confusion chez ces entreprises, augmentant le risque de déstabilisation du marché.

En outre, même à supposer que sa stratégie fonctionne, il faudra des années pour que TSMC et ses pairs puissent construire des usines aux Etats-Unis et en sortir des puces haut de gamme : en attendant, les consommateurs risquent de simplement se retrouver avec des produits plus chers, ce qui pourrait faire baisser la demande et aggraver la crise de surproduction… D'autant que la guerre commerciale que se livrent les Etats-Unis et la Chine sur les puces génère déjà des effets pervers. Début décembre, en réponse à une nouvelle vague de sanctions de l'administration Biden, la Chine a par exemple interdit l'exportation du germanium et du gallium aux Etats-Unis, deux minerais précieux nécessaires à la fabrication des semi-conducteurs, posant un casse-tête aux producteurs américains.

Une opportunité pour l'Europe et certains pays asiatiques

Dangereuse pour le monde, la politique de Trump ouvre toutefois des opportunités pour certaines régions. Les pays européens pourraient par exemple sauter sur l'occasion pour récupérer de nouveaux contrats auprès de Taïwan et importer davantage de semi-conducteurs de pointe, qui constituent un actif hautement stratégique pour s'imposer dans la course à l'IA générative.

S'ils peuvent accélérer la relocalisation d'une partie des activités de production de puces aux Etats-Unis, les tarifs devraient en outre également accélérer le "friendshoring", au profit de pays comme la Thaïlande et la Malaisie (à supposer qu'ils ne soient pas également ciblés par les tarifs de Trump), qui bénéficient déjà de la stratégie "China Plus One" déployée par les géants occidentaux des semi-conducteurs. L'entreprise malaise Inari Amertron est par exemple devenue un fournisseur stratégique de puces laser et de radiofréquence, tandis que sa compatriote NationGate est désormais l'un des fournisseurs privilégiés de Coherent, acteur américain des semi-conducteurs. Plusieurs géants taïwanais ont en outre installé des succursales en Thaïlande au cours des dernières années, comme Delta Thailand, filiale de Delta Electronics, qui fournit du matériel pour les centres de données spécialisés dans l'IA, et Cal-Comp Electronics, notamment actif dans les infrastructures cloud.

Enfin, il faut noter que Trump a prouvé que les tarifs étaient pour lui avant tout une arme de négociation pour obtenir des accords plus avantageux avec les pays tiers, comme la Colombie, le Mexique et le Canada en ont récemment fait les frais. Les tarifs évoqués sur les semi-conducteurs pourraient bien ne jamais se matérialiser… Si Taïwan acceptait de brosser le président américain dans le sens du poil.