De "plug, baby, plug" à "bug, baby, bug" ? Le mirage d'une transition numérique sans pilote
Etats et entreprises se disputent la place du plus gros investisseur dans l'IA. Plusieurs milliards d'euros plus tard, qui reste-t-il pour donner vie à ces projets ? Zoom sur le manager de projet.
L'ampleur des Sommets Action IA et Choose France a permis de canaliser un nombre sans précédent d'initiatives et de partenariats entre acteurs publics et privés, pour un total de 300 milliard d’euros. Des mots mêmes de l’Elysée, « du jamais vu ». Un campus IA, 1200ha de data centers, le développement d’IA éthiques et inclusives… Des dizaines et des dizaines de projets ambitieux qu’il ne reste plus qu’à concrétiser sur le terrain. Et c’est bien tout l’enjeu : ces initiatives risquent fort de rester de simples déclarations d'intention si elles ne sont pas déployées de manière précise et coordonnée par les différents acteurs engagés. Plus que les sponsors, promoteurs et autres investisseurs, ce sont les chefs de projet qui détermineront si les entreprises et les pouvoirs publics français réussiront à créer des champions du numérique ou, au contraire, s'ils se brûleront les ailes avec des ambitions démesurées.
Le chef de projet, capitaine des projets d’IA
Les investissements dans l’IA mobilisent une multitude de parties prenantes : entreprises, chercheurs, organismes publics à tous les niveaux. La coordination entre ces acteurs, qui n’ont ni les mêmes objectifs, ni les mêmes critères de réussite, est essentielle.
Prenons quelques exemples : Les délais des projets les plus communs sont conséquents lorsque l’on parle d’IA : un data center classique prend entre 2 à 6 ans pour sortir de terre. Une simple IA générative prend en moyenne 1 an et demi pour être développée. Une fois lancés, 70 % des projets d’IA générative butent sur l’accès à des données de qualité, faute de coordination entre partenaires académiques et industriels. Planifier de tels projets nécessite une organisation millimétrée !
C’est là tout le rôle du chef de projet, qui est formé à identifier les méthodologies et les outils nécessaires à la planification et au bon déroulement du projet. Son expertise en coûts matériels et humains évite les dérives, comme celles observées dans certains clusters technologiques sous-optimisés : des projets d’IA dans des pôles comme Sophia Antipolis ou Berlin-Adlershof ont subi des dépassements budgétaires de 30 % à 50 %, selon des retours terrain, faute de gestion rigoureuse des coûts matériels et humains !
Pour assurer le succès des projets annoncés lors du Sommet, le soutien des sponsors ne sera donc pas suffisant. Ils n’auront pas d’autre choix que de s’appuyer sur des chefs de projet qualifiés. Ceux-ci devront se porter garants, au même titre que les « financiers », des succès ou échecs de ces initiatives. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont seuls responsables de ces travaux herculéens.
Pour réussir, ils doivent embarquer l’ensemble des parties-prenantes. Par définition, les chefs de projets ont été formés à cette mission. Mais l’immixtion de l’IA vient challenger leurs méthodes.
Et les organisations dans tout ça ?
L'introduction de l’IA générative rend, d'une certaine manière, les compétences humaines encore plus importantes. Pour être efficace, l’IA s'appuie sur des inputs corrects et des outputs vérifiés par une personne possédant les compétences et l'expérience nécessaires pour évaluer les résultats. Mais comment s’assurer que tous maîtrisent l’IA développée spécifiquement pour eux ?
D’après le dernier AI Global Report de PMI, la capacité des équipes à s’approprier l’IA générative dépend de deux facteurs essentiels : la préparation et l'initiative. Deux critères qui échappent aux chefs de projets, puisqu’ils relèvent directement des choix stratégiques opérés par les directions de leurs entreprises et organisations.
La préparation englobe les compétences technologiques fondamentales, la connaissance du domaine et un engagement envers l'apprentissage et le développement des compétences. Le manque de compréhension du fonctionnement des LLMs ou de la GenAI limite la quantité de cas d’usage qu'un professionnel peut identifier, expérimenter et mettre en œuvre dans le cadre de son travail quotidien. Il est donc essentiel que ce travail de préparation commence le plus tôt possible, avant même l’adoption officielle de l’IA par les équipes.
L'initiative est tout aussi importante : il s'agit de l'engagement et de la volonté d'adopter l’IA en tant que technologie transformatrice. Cela nécessite une réelle volonté de tirer parti des capacités de l’IA générative et une approche proactive de l'apprentissage et de l'adaptation aux nouvelles méthodes de travail. Sans ces éléments, les efforts d'adoption risquent de stagner ou de rester superficiels.
Si le chef de projet doit être le capitaine des projets d’IA, les entreprises qui les sponsorisent doivent donc en être le vaisseau-mère – la structure qui permet aux chefs de projet d’embarquer l’ensemble des parties prenantes dans leur sillage.
Alors, qu’attendre du prochaine Sommet pour l’Action sur l’IA ? Pour un chef de projet, la réponse est claire : l'intégration de l'IA sur le lieu de travail doit cesser d’être un sujet réservé aux experts RH, cantonné à une simple table ronde. Il doit devenir un enjeu stratégique pour chaque organisation qui refuse d’être à l’origine des « bugs » qui se préparent dans cette course à l’IA.