VivaTech 2025 : l'IA, miroir du progrès et des clivages de demain

VivaTech 2025 consacre l'IA comme enjeu central, entre fascination technologique, tensions éthiques, souveraineté numérique et politisation croissante dans le débat public.

L’édition 2025 marque un tournant pour le salon VivaTech : loin de se limiter à une simple vitrine technologique, le salon s’est transformé en un carrefour de débats et de réflexion sur les enjeux sociétaux, avec l’intelligence artificielle au cœur des discussions, souvent au détriment d’autres innovations. L’analyse de la couverture médiatique et des conversations sur les réseaux sociaux éclaire sur cette évolution et offre un aperçu significatif sur les grandes tendances et défis qui façonnent l’avenir de la tech et de la société.

L’Intelligence Artificielle au centre de toutes les attentions

Sans véritable surprise, l’IA concentre l’essentiel des articles de presse et des conversations en ligne avec plus de 16 600 mentions identifiées entre les 11 et 14 juin, soit près de 38% de la visibilité totale de VivaTech (estimations via le logiciel de veille TalkWalker, mentions en français et en anglais). En outre, avec 82 000 marques d’engagement (commentaires, likes, partages) autour de ces contenus, l’Intelligence Artificielle s’impose comme le nouveau paradigme dans le récit médiatique, comme la technologie de référence dans les imaginaires publics, loin devant l’informatique quantique (environ 1 000 mentions) et blockchain (près de 400 mentions).

La Santé comme l’un des axes forts de l’édition 2025

Parmi les secteurs phares d’application de l’IA, l’analyse médiatique révèle que la Santé constitue le principal terrain d’expression lors de VivaTech, surpassant les secteurs de la durabilité, du retail ou encore de la logistique.

39523218.jpg
© Infine Data & Conseil

Estimation de la visibilité médiatique sur une sélection de 7 secteurs d’activité. La visibilité est calculée selon le volume de mentions en langues française et anglaise identifiées par le logiciel de veille TalkWalker dans la presse online, les réseaux sociaux, les blogs et forums entre les 11 et 14 juin 2025.

La Health Tech a effectivement occupé une place de choix 

Porte de Versailles, avec un focus particulier sur la santé mentale. Cette attention s'est notamment cristallisée autour d'Embotot, un robot innovant capable de détecter les signaux de dépression par analyse faciale et vocale en continu, qui a bénéficié d'une forte couverture médiatique en France.

L'écosystème présenté dans les médias couvre l'ensemble du parcours de soins : en prévention avec le dispositif Onescope, surnommé le « Shazam des poumons » pour ses capacités de diagnostic respiratoire ; en urgence avec les drones Wiingcopter dédiés à l'acheminement de matériel médical ; et en rééducation avec les exosquelettes développés par la start-up Hypershell. Toutes ces innovations, proposant des solutions concrètes et quotidiennes, allant de la santé mentale au suivi médical, offrent à l’IA une couverture médiatique particulièrement positive et rassurante, surtout lorsqu’elles intègrent une dimension environnementale.

L’Europe numérique souveraine comme principal enjeu

Mais l’IA ne rassure pas tout le monde. La couverture médiatique de VivaTech reflète en partie une montée des craintes face aux progrès fulgurant de la technologie. L’IA fascine autant qu’elle questionne.

Le principal enjeu qui remonte dans les conversations et dans la presse durant l’événement (avec près de 1 200 mentions) est celui de la souveraineté. Le sujet est placé au centre de l’attention avec les prises de parole de Jensen Huang, le patron de Nvidia – star médiatique du salon avec 7 000 mentions –, annonçant des partenariats stratégiques avec Mistral AI et Deutsche Telekom visant à construire un réseau souverain d’IA en Europe, et ainsi limiter la dépendance envers les grandes plateformes américaines.

Et bien qu’Emmanuel Macron se soit félicité de l’alliance entre Mistral AI et Nvidia, la présentant comme un modèle de coopération stratégique au service d’une Europe souveraine, plusieurs observateurs y voient une démarche ambivalente – voire contre-productive –, dans la mesure où elle consolide la dépendance aux technologies et aux infrastructures critiques américaines, en particulier aux puces conçues et fabriquées par Nvidia. Une déclaration qui tiendrait davantage de l’effet d’annonce que d’une réelle avancée effective vers une autonomie technologique de l’Europe. Sous couvert d’autonomie numérique, Nvidia offrirait aux dirigeants européens l’illusion d’une souveraineté qu’ils ne maîtriseraient pas.

Éthique, emploi, régulation : l’IA sur une ligne de crête

Si l’IA suscite des inquiétudes sur le plan géopolitique, elle se retrouve aussi aujourd’hui face au défi de son acceptabilité sociale. Les questions d’éthique et de régulation sont certes restées au second plan de la couverture médiatique de VivaTech (environ 20% des mentions), mais contrastent avec l’intensité des débats de fond qu’elles suscitent. La question du travail et de l’emploi cristallise à elle seule les tensions entre les géants du secteur sur la vision de l’IA.

Lors de sa visite à Paris, Jensen Huang a proposé une vision optimiste considérant l’IA comme un accélérateur plutôt qu’un destructeur, la définissant comme « le plus grand égalisateur » de notre ère, promettant une « démocratisation » de la technologie à condition de développer les compétences nécessaires.

Un des moments forts médiatiques du salon a d’ailleurs été l'attaque frontale de Jensen Huang contre Dario Amodei, contestant vivement les prédictions du PDG d'Anthropic sur la destruction massive d'emplois de bureau débutants par l'IA et plaidant pour un développement ouvert et transparent plutôt qu'une approche restrictive et régulée.

Une politisation croissante de l’IA dans le débat public

Si VivaTech a surtout valorisé les percées technologiques, il a aussi mis en lumière les dissensions qui s’ouvrent aujourd’hui entre les patrons de la Tech. Cette fracture sur la vision de l’IA n’est peut-être qu’un aperçu d’une faille tectonique où l’IA deviendrait un objet politique à part entière, aussi clivante que des thèmes comme la sécurité, l’immigration, l’éducation ou les retraites. Car l’IA n’est pas neutre, elle implique déjà des choix politiques, économiques et sociaux : souveraineté, compétitivité, inclusion numérique, impact carbone, sobriété numérique… autant de marqueurs idéologiques qui sont de plus en plus visibles dans le débat public.

Quel impact pour les entreprises ?

Ce clivage politique croissant ne peut pas être ignoré par les entreprises et les marques en matière de communication. Il semble en effet nécessaire de trouver le subtil équilibre entre valorisation de la technologie et un positionnement de fond intégrant ces enjeux sociétaux. Leur défi consiste à rassurer (sans faire de politique) en adoptant un discours cohérent, assumé (même quand c’est controversé), engagé et performatif. Une IA revendiquée comme éthique et responsable, mais sans être accompagnée de preuves tangibles, s’exposera inévitablement à la critique et risquera de créer de la défiance. Les comités et les chartes éthiques, déjà mises en place dans de nombreuses entreprises, sont un premier pas tout comme l’incarnation d’un leadership par exemple via un ambassadeur « IA & Société » participant au débat public sur le sujet au nom de l’entreprise.

Symboliquement, VivaTech 2025 semble donc marquer un point d’inflexion où l’IA n’est plus seulement perçue comme un enjeu technique ou économique. Elle est désormais le miroir de notre vision du progrès. Face à la complexité de ces enjeux, il convient plus que jamais pour les entreprises d’engager le débat le plus large possible pour imaginer et accompagner le futur de l’intelligence artificielle, en évitant l’écueil d’une opposition stérile et réductrice entre raison et émotion, entre progrès technique et valeurs humaines, sous peine de raviver le vieux débat entre Lumières et Romantisme.