L'Afrique face au défi de la formation IA : entre rêve de 1 500 milliards et réalité du terrain

L'IA pourrait rapporter 1 500 milliards à l'Afrique d'ici 2030. Mais faute de formation, le continent risque de rater sa révolution numérique.

Il y a quelques mois, lors d'une visite dans un centre de formation à Lagos, j'ai rencontré Amina, développeuse talentueuse de 28 ans. Elle rêvait de créer une application IA pour optimiser les récoltes agricoles au Nigeria. Son obstacle ? Impossible de suivre une formation spécialisée, faute de moyens et d'offre adaptée. Son histoire résume le paradoxe africain face à l'IA.

Car les chiffres donnent le tournis. Selon McKinsey, l'IA pourrait injecter 1 200 milliards de dollars dans l'économie africaine d'ici 2030. D'autres projections évoquent même 1 500 milliards si le continent saisit sa chance. De quoi faire rêver.

Sauf qu'entre les projections et la réalité, il y a un gouffre que je mesure chaque jour dans mes investissements.

Quand la réalité rattrape les grands discours

Les données du rapport REDAA de mai 2025 sont implacables : 83% des organisations africaines buttent sur les coûts des technologies IA. 87% manquent de compétences techniques pour simplement choisir les bons outils. Et 62% n'ont aucune formation dédiée à l'IA.

Comme me le confiait récemment un directeur informatique à Casablanca : "On nous parle d'IA révolutionnaire, mais on n'arrive même pas à former nos équipes aux bases du machine learning."

Cette fracture est d'autant plus criante que seulement 28% des Africains ont accès à Internet. Comment parler de révolution IA quand les fondamentaux numériques ne sont pas acquis ?

Au-delà de l'économie, une question d'indépendance

Mais l'enjeu dépasse les statistiques. Lors de mes dernières missions entre Abidjan et Tunis, j'ai vu les équipes locales contraintes d'utiliser des solutions IA "clés en main" venues d'ailleurs, sans possibilité de les adapter aux spécificités africaines.

Comme l'analyse finement le rapport CIOMAG, "sans maîtrise locale de l'IA, l'Afrique risque de rester durablement en marge", ses talents et données captés par les géants technologiques.

Cette dépendance n'est pas qu'économique : elle est culturelle et stratégique. Peut-on imaginer des algorithmes de santé conçus à San Francisco comprendre les réalités médicales du Sahel ? Des IA financières pensées à Shenzhen s'adapter aux pratiques commerciales ouest-africaines ?

Pourtant, des éclairages encourageants

Heureusement, tout n'est pas noir. Le classement Qhala de mai 2025 montre que l'Afrique du Sud, la Tunisie, l'Égypte et le Kenya progressent significativement. Ces pays prouvent qu'une approche cohérente peut porter ses fruits.

J'ai été frappé par l'initiative kényane où des coopératives agricoles forment leurs membres à utiliser des outils IA pour optimiser les rendements. Résultat : une augmentation de 25% de la productivité en moins de deux ans.

Au Nigeria, j'ai visité un incubateur où de jeunes diplômés développent des solutions IA pour le secteur bancaire local. Leur secret ? Des formations courtes, pratiques, directement connectées aux besoins des entreprises.

Trois pistes concrètes pour avancer

Fort de ces observations terrain, je vois trois leviers actionnables :

1. Réinventer la formation avec le numérique

Plutôt que de reproduire les modèles occidentaux hors de prix, créons des parcours adaptés. Des formations courtes (3 à 6 mois), modulaires, combinant théorie en ligne et pratique en présentiel. L'objectif : former massivement, pas élitairement.

2. Miser sur les "IA sobres"

Un ingénieur sénégalais me racontait comment son équipe avait développé une IA de diagnostic médical fonctionnant sur smartphone. Pas besoin de data centers pharaoniques ! Comme l'explique un expert d'Africa24TV, ces "IA frugales" qui utilisent des "machines classiques mises en réseau" correspondent parfaitement aux contraintes africaines.

3. Créer des écosystèmes locaux

Les États doivent passer des discours aux actes : budgets fléchés, partenariats universités-entreprises, incitations fiscales pour les centres de formation. L'exemple du Rwanda, qui forme 1000 spécialistes IA par an depuis 2023, montre la voie.

L'Afrique a ses atouts

D'ailleurs, l'Afrique n'est pas démunie. Elle dispose d'une population jeune (60% de moins de 25 ans), habituée à l'innovation technologique - qui a inventé le mobile money avant l'Europe ! - et d'un écosystème entrepreneurial bouillonnant.

Le succès des fintech africaines le prouve. Selon le dernier rapport McKinsey, leurs revenus bondiront de 10 milliards de dollars en 2023 à 47 milliards en 2028. Si on a réussi à révolutionner les paiements mobiles, pourquoi pas l'IA ?

Il faut agir maintenant

Revenons à Amina, la développeuse de Lagos. Six mois après notre rencontre, elle a rejoint un programme de formation que nous soutenons. Aujourd'hui, son application aide 5000 agriculteurs à optimiser leurs cultures. Une goutte d'eau ? Certes. Mais qui montre le chemin.

L'Afrique peut réussir sa transition IA. Mais cela demande de l'audace, des investissements ciblés et surtout de cesser d'attendre que les solutions viennent d'ailleurs. L'avenir numérique du continent se joue maintenant, pas demain.