L'intégration territoriale et sociétale, grande absente des débats sur les datacenters

Comment les datacenters, infrastructures stratégiques pour notre avenir du fait du développement de l'IA, s'intégreront aux territoires et aux sociétés dans lesquelles ils seront implantés ?

L'explosion des besoins numériques, accentuée par l’intelligence artificielle, érige les datacenters en infrastructures stratégiques pour notre avenir. Ils constituent aujourd’hui la pierre angulaire de nos vies numériques, des algorithmes, de l’innovation et de l’économie. Mais des questions fondamentales se posent : comment ces infrastructures s'intégreront-elles aux territoires et aux sociétés dans lesquelles elles seront implantées ?

De fait, le développement de datacenters en Europe est essentiel pour garantir notre souveraineté numérique et la croissance de notre économie. Mais on ne peut pas s’en tenir là, en faire seulement des infrastructures techniques, opérant dans le cloud, sans aucun lien avec les territoires où ils sont implantés, autant présents que complètement absents. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux une nouvelle génération de datacenters : des datacenters pleinement insérés dans leurs territoires, en symbiose avec ceux-ci, capables d’avoir une vraie présence économique, capables de démocratie autour du partage de l’électricité ou de l’eau ; agissant pour la cohésion territoriale. Les infrastructures technologiques entrent dans le temps de la responsabilité, pas seulement écologique.

Adapter les infrastructures aux territoires, et non l’inverse

Nous devons privilégier des actions concrètes, projet par projet, visant à renforcer l’intégration des datacenters dans les territoires qui les accueillent, et affronter les paradoxes qu’ils posent : par exemple la croissance de nos besoins numériques face à l’empreinte environnementale des datacenters. Le chiffrage de leur consommation énergétique et leur impact sur les ressources naturelles varient selon les études. L’ADEME estime toutefois qu’ils représentent environ 46 % de l’empreinte du numérique en France, avec une consommation d’eau croissante, bien que cette dernière reste pour le moment marginale comparée aux prélèvements pour les usages courants du pays. Comment réconcilier ces enjeux ? Il n’est plus possible de ne pas penser ensemble les formidables progrès de l’IA et l’impérative réponse au changement climatique, actuellement chacun dans son couloir respectif, comme deux mondes parallèles qui s’ignorent.

Sans avoir toutes les réponses, le moment est venu d’ouvrir plus largement le débat. Le débat sur le numérique ne peut en effet plus supporter certaines des boîtes noires qui le constituent : des algorithmes ingouvernables, des modèles d’IA intraçables, des datacenters déconnectés de leurs territoires. Dans l’obscurité des choix industriels, sans la société, voire contre elle, nous la perdrons.

Face à la place croissante du numérique dans nos vies et aux préoccupations légitimes des citoyens situés dans les zones d'implantation, il devient impératif d'engager un véritable travail de pédagogie et de concertation avec les communautés locales, bien en amont des projets. Il s'agit d'expliquer clairement les impacts de ceux-ci aux habitants, de les rassurer sur les mesures prises pour limiter leurs effets, et surtout d’adapter les projets aux spécificités locales pour qu'ils s’intègrent harmonieusement à notre société. Chaque territoire a ses besoins et ses contraintes propres. Ne pas le saisir engendrera des tensions ou un rejet de la part des populations concernées.

Utiliser la demande d’infrastructures numériques comme levier d’action pour les territoires

La solution réside dans une approche quadripartite : planification, adaptation des projets aux territoires, intégration… et démocratie. Plutôt que de se voir imposer des projets de datacenters, les territoires devraient avoir la possibilité de définir leurs conditions et leurs besoins, d’orienter et de complémenter les développements en fonction de leurs priorités. 

Adapter le data center au territoire, et non l’inverse. Cette approche permettrait aux collectivités locales de surfer sur la vague des datacenters plutôt que de la subir, en maîtrisant le développement de ces infrastructures pour servir de levier économique et faire avancer d’autres problématiques locales, telles que la réhabilitation de friches industrielles, c’est-à-dire donner une nouvelle vie à des sites délaissés tout en réduisant l’empreinte écologique des constructions neuves. Les datacenters peuvent aussi agir sur la mise à niveau des infrastructures, le soutien à la transition énergétique, le  développement de compétences locales par la formation et la création d’emplois, la fourniture de chaleur, par exemple pour des services publics ou des industries voisines ; ou encore par le biais de partenariats avec les industries établies, etc. Cette approche vise à faire en sorte que les datacenters assument un rôle de moteurs d’innovation et de développement local tangible, visible, apprécié.

En intégrant des activités annexes, ces infrastructures numériques peuvent ainsi participer au développement d’une identité territoriale, à l’image de ce que l’on a pu voir avec les chantiers navals dans certaines régions du Nord de la France.

D’infrastructure ignorante de son territoire à catalyseur d’innovation et de développement local, tel est le défi des datacenters « à la française », enjeu stratégique pour l’avenir numérique de l’Europe. Les défis sont complexes, mais loin d’être insurmontables. En impliquant les acteurs locaux et en adaptant les projets aux réalités du terrain, nous pouvons faire des datacenters « environnés » des catalyseurs de projets utiles aux territoires : au lieu de subir cette transformation numérique, ces derniers peuvent en devenir les acteurs clés, en veillant à ce que chaque projet soit un atout pour la collectivité.

Chronique co-signée par

  • Fabien Vieau, Fondateur et PDG de Sepia Infrastructure
  • François-Xavier Petit, Directeur Général de Matrice