L'Europe veut une IA éthique : très bien. Mais comment la rendre possible ?

La CNIL fixe un cadre éthique pour l'IA, mais sans rôles clairs, son application reste complexe. Les data spaces sont la clé pour instaurer la confiance.

La publication par la CNIL de 13 fiches pratiques dédiées à l’intelligence artificielle marque un tournant. Jusqu’ici, le débat public sur l’IA en Europe reposait essentiellement sur des principes : respect des droits fondamentaux, transparence et éthique. Bien que nécessaires, ils ne suffisent plus. Ce que la CNIL propose aujourd’hui, c’est une feuille de route opérationnelle, centrée sur des obligations concrètes. Mais une question demeure : peut-on bâtir une IA conforme aux valeurs européennes ? La question est d’autant plus urgente qu’elle s’inscrit dans un contexte mondial où d’autres puissances suivent des voies radicalement opposées. L’approche américaine, relancée récemment par Donald Trump, valorise une IA dérégulée, rapide, sans contraintes. L’Europe fait un autre pari : une IA encadrée, souveraine, fondée sur la confiance. Mais entre les textes (RGPD, AI Act) et leur application quotidienne, un écart persiste. Il est temps de le combler.

L'IA, comment ça fonctionne au juste ?

Une intelligence artificielle n’est jamais un système isolé. Derrière chaque modèle, une chaîne d’acteurs : ceux qui fournissent les données, ceux qui entraînent les algorithmes, ceux qui les intègrent dans des produits ou services. Ce système distribué rend l’identification des responsabilités particulièrement difficile. Qui a collecté les données ? Qui les a modifiées ? Qui prend des décisions avec ? Pour quels objectifs ? Ce flou crée une zone grise où les droits peuvent être bafoués sans qu’on sache vers qui se tourner. Or, pour garantir une IA responsable, il faut pouvoir répondre à une question simple : que deviennent les données une fois confiées à un système ?

Sans traçabilité, pas de transparence. Sans transparence, pas de confiance.

La CNIL donne le cap à suivre

La CNIL propose un cadre clair : respect des droits fondamentaux, exigence de transparence, responsabilité partagée. Ces orientations marquent une avancée majeure dans la régulation de l’IA en Europe.

Mais fixer un cap ne suffit pas. Tant que les rôles restent flous et les responsabilités éclatées entre fournisseurs de données, développeurs, intégrateurs et opérateurs finaux, appliquer ces règles relève du casse-tête. Dans ce paysage fragmenté, même les exigences les mieux formulées peinent à trouver leur traduction concrète.

Ce qui manque, ce n’est pas la volonté de conformité, mais les conditions pour la rendre possible. Pour transformer les principes en pratiques, encore faut-il rendre la transparence et la traçabilité accessibles à tous, pas seulement aux experts.

Il faut que l'Europe mise sur les infrastructures de confiance existantes

Pour une IA éthique et souveraine, il faut de bonnes fondations. Elles existent déjà : ce sont les data spaces. Ces espaces de confiance permettent aux acteurs de l’IA de partager des données en sécurité, d’expliciter leurs pratiques, de clarifier leurs rôles tout en garantissant les droits des personnes concernées.

Pensés dès l’origine pour répondre aux exigences européennes, les data spaces rendent opérationnels les grands principes du RGPD et de l’AI Act. Pourtant, leur potentiel reste largement sous-exploité par les institutions publiques comme par les acteurs privés. Un paradoxe, alors même que ce sont précisément grâce à eux que le terrain devient enfin praticable : documentation automatisée, déclaration des responsabilités, interconnexion sécurisée des parties prenantes, gestion des consentements, contrats multipartites… C’est ainsi que deviennent accessibles tous les mécanismes nécessaires à une IA lisible et conforme.

Tant que les décisions des intelligences artificielles resteront opaques, la confiance restera hors de portée. Une IA éthique ne peut être crédible que si elle est compréhensible, auditable et explicable. Les principes sont posés. La CNIL a fait sa part. Mais il faut désormais franchir une nouvelle étape : en connectant les données détenues par les institutions publiques aux data spaces, l’État joue un rôle moteur dans cette transition. Et en conditionnant le développement des projets d’intelligence artificielle – publics comme privés – à l’utilisation de ces environnements interopérables, l’Europe se donne les moyens de faire de ses principes une réalité. C’est la seule façon de permettre aux acteurs de terrain d’appliquer ces règles, de rendre la transparence tangible et de garantir les droits fondamentaux.

À cette condition, l’IA européenne pourra conjuguer excellence technologique et exigence démocratique. Ce qui paraissait inconciliable — performance et protection des libertés — peut devenir un modèle. À condition de le concrétiser rapidement.