Fundraising : pourquoi l'IA ne remplacera jamais l'humain dans la collecte de fonds

L'IA nous fait gagner un temps précieux. Mais confondre efficacité rédactionnelle et stratégie de mécénat, c'est passer à côté de l'essentiel : la relation humaine.

L'intelligence artificielle s'invite désormais dans tous les bureaux de fundraising de France. En six mois à peine, elle est devenue l'outil incontournable pour rédiger les dossiers de mécénat, peaufiner les argumentaires et même personnaliser les approches donateurs. Une révolution ? Plutôt une évolution qui souligne combien la grande polyvalence de ce métier reste encore mal appréhendée. 

L'IA, l'assistant parfait... jusqu'à un certain point

Après 30 ans dans le fundraising, de l'INSEAD à Dauphine en passant par HEC et l'IMD, j'observe cette transformation avec un œil à la fois enthousiaste et vigilant. Oui, l'IA excelle pour optimiser nos process et nos contenus : elle aide à structurer une proposition, à adapter le ton selon le profil du donateur, à synthétiser des données complexes. Elle nous fait gagner un temps précieux.

Mais confondre efficacité rédactionnelle et stratégie de mécénat, c'est passer à côté de l'essentiel : la relation humaine.

Le don, un acte profondément émotionnel

Quand un grand entrepreneur français a fait son don majeur à Dauphine 45 ans après y avoir été diplômé, ce qui l'a motivé n'était ni un argumentaire parfaitement rédigé, ni des slides PowerPoint impeccables. C'était le fait que l'on ait reconnu son parcours remarquable, que la Présidente de l'Université se soit déplacée pour le rencontrer à l'autre bout de la France, qu'on ait compris ses motivations profondes. Des valeurs communes profondément ancrées, la reconnaissance d'une réussite exceptionnelle, l'aspiration à transformer une institution et des parcours de vies: voilà ce qui déclenche les grands dons.

Aucune IA ne peut détecter cette étincelle dans le regard d'un mécène potentiel lorsqu'on lui présente un projet unique, qu'on l'invite à jouer un rôle historique dans l'avenir d'un établissement, cet engouement souvent discret mais si révélateur lors d'un rendez-vous, ce moment précis où l'on sent qu'il faut oser demander ce don majeur, emblématique, qui va faire toute la différence.  

La dangereuse uniformisation des approches

Un des enjeux préoccupants de l'usage mal compris de l'IA, c'est qu'elle tend à uniformiser nos pratiques. Tous les fundraisers utilisant les mêmes outils risquent de produire des contenus similaires, des approches standardisées. Or, chaque donateur est unique, chaque institution a sa personnalité, chaque projet son âme.

Il n'existe pas de "formule magique" reproductible d'une institution à l'autre. HEC ne sera jamais l'INSEAD, Dauphine ne sera jamais HEC. Chaque établissement doit développer sa propre approche en fonction de ses forces et de son identité. 

Le cœur de ce métier ne réside pas dans la production de contenus, ou dans la mise en œuvre de méthodologies "toutes faites" qui ne tiennent pas compte de la singularité des causes, mais dans la capacité à tisser des liens durables, à déployer des énergies complémentaires et à créer de la valeur partagée. Le fundraising, c’est l’art de relier pour mieux transformer.

L'humain au cœur de la transformation

Derrière chaque don se cache une histoire personnelle. Quand un ancien élève donne 100 millions d'euros sur une période de 20 ans, il le fait par attachement viscéral à une école qui a changé sa vie, à une vision qui le transcende, à des valeurs profondes qu'il veut transmettre aux générations futures. C'est la quête de sens, d'impact, de partage, de pérennité qui motive les grands philanthropes. 

Les grands dons ne naissent jamais d’une stratégie fiscale. La philanthropie, c'est une résonance profonde entre un vécu et une vision, c’est la manière dont une trajectoire individuelle rejoint le fil d’une histoire commune.  

Vers une philanthropie plus exigeante

L’arrivée de l’IA dans nos métiers n’est pas une révolution en soi, mais le symptôme d’une philanthropie qui se professionnalise à grande vitesse. De plus en plus de jeunes entrepreneurs, après la revente de leur startup, créent des fondations en appliquant les codes de la venture philanthropy : impact mesurable, transparence totale, transformation rapide. Ces "indicateurs de performance" issus du monde lucratif et ces attentes de "retour sur philanthropie" incitent les acteurs de l'intérêt général a être de plus en plus professionnels  

Cette évolution est positive et stimulante : elle apporte rigueur, efficacité et crédibilité. Mais elle comporte aussi un risque : que l’on oublie que le mécénat est d’abord un acte de générosité, et non une transaction ou la sous-traitance de la gestion de son image RSE. L’efficacité est un moyen, la générosité désintéressée doit rester la finalité.

Ma conviction : l'avenir appartient aux "artisans" du fundraising

Dans ce paysage en mutation, l'avenir appartient aux professionnels qui sauront allier l'efficacité de l'IA et l'intelligence relationnelle. Ceux qui comprendront que la technologie doit servir l'humain, et non l'inverse.

Car au final, on ne donne pas à une organisation, on donne à une vision, à des valeurs, à des projets transformateurs, incarnés par des femmes et des hommes avec lesquels on tisse des liens et en qui on croit.

L'IA peut optimiser nos outils, jamais elle ne remplacera cette capacité uniquement humaine à créer de la confiance, à incarner un projet, à transformer un simple donateur en ambassadeur d'une cause.

Le fundraising de demain sera hybride : technologiquement optimisé, mais toujours plus profondément humain.