Comment l'innovation et l'intelligence artificielle peuvent devenir des leviers de transformation pour réduire les inégalités territoriales

Lokimo

À l'heure actuelle, élus locaux et acteurs publics s'engagent activement pour répondre aux fractures territoriales.

Pourtant, les inégalités ne se limitent plus au simple clivage entre villes et campagnes : elles révèlent une réalité bien plus complexe. Elles forment un maillage complexe de vulnérabilités économiques, sociales, environnementales, résidentielles et désormais numériques.

Face à ces réalités multiples, les approches classiques montrent leurs limites. Comment, alors, faire de l’innovation, et notamment de l’intelligence artificielle, un véritable moteur de transformation des politiques territoriales ?                                    

Analyse en six axes :

1 - La data comme révélateur des fractures invisibles

Les territoires fragiles cumulent souvent les handicaps : faibles revenus, logements vétustes, nuisances environnementales, faible accès au numérique. L’analyse géospatiale, aujourd’hui accessible aux collectivités, permet de mettre en lumière ces corrélations cachées. La donnée ne se contente plus de décrire : elle aide à comprendre que l’exclusion est systémique.

Cette granularité parfois jusqu’au quartier ou à la rue révèle ce que les moyennes masquaient :

·      des poches de pauvreté au sein de communes perçues comme dynamiques,

·      des quartiers cumulant nuisances environnementales et précarité sociale,

·      des zones rurales très isolées malgré une situation départementale correcte,

·      des contrastes forts d’accès au numérique entre deux communes voisines.

Les inégalités ne suivent pas les limites administratives : elles répondent à des logiques fonctionnelles liées au logement, à l’emploi, à la mobilité ou à l’héritage industriel.

La data aide les élus à :

·       suivre l’évolution d’un quartier dans le temps,

·       repérer les signaux faibles avant qu’ils ne deviennent critiques,

·       ajuster les politiques locales sans attendre un nouveau cycle de diagnostic.

On passe ainsi d’un rapport statique produit tous les cinq ou six ans à un tableau de bord vivant, capable d’accompagner les décisions au quotidien.

2 - L’intelligence artificielle comme boussole des politiques territoriales

L’IA apporte une dimension nouvelle à cette lecture territoriale. En croisant des milliers de données socio-économiques, environnementales et démographiques, elle peut suggérer des zones prioritaires d’action, identifier les leviers les plus pertinents et anticiper l’impact de futures politiques publiques.

Utilisée de manière responsable, l’IA devient une boussole territoriale : un outil d’aide à la décision pour orienter les investissements, prioriser les infrastructures, ou même proposer des scénarios d’aménagement. C’est ce que démontrent déjà certains outils d’analyse géospatiale, capables d’évaluer les inégalités à l’échelle communale, et demain, à celle du quartier ou de la rue.

3 - Plonger dans la géographie des inégalités

Pour comprendre les territoires, il faut d’abord accepter leur complexité. Derrière les statistiques nationales se cachent des réalités locales très contrastées.

Les inégalités économiques, les plus visibles, opposent les grandes métropoles où se concentrent emplois qualifiés, revenus élevés et investissements aux zones rurales ou périurbaines, marquées par un chômage structurel et des niveaux de vie plus faibles. À ces disparités s’ajoute une inégalité d’attractivité : entreprises, infrastructures et innovation continuent de se concentrer dans les mêmes pôles dynamiques, laissant d’autres territoires s’enfoncer dans une spirale de désinvestissement.

Exemple emblématique : Denain (Nord).

Ancien bassin industriel, Denain illustre cette fracture économique. Sa population, jeune (près de 47 % ont moins de 30 ans), vit dans un parc de logements vétustes (85 % construits avant 1970), souvent peu rénovés. Le revenu médian y est inférieur à 10 000 € par an moins de la moitié de la moyenne nationale, le taux de pauvreté frôle les 60 %, et le chômage dépasse 36 %, soit trois fois la moyenne nationale.

4 - Le cumul des vulnérabilités : un défi majeur pour l’action publique

Les inégalités ne se limitent pas à l’économie. Les fractures résidentielles et environnementales révèlent une géographie sociale des villes où les ménages modestes sont repoussés vers des périphéries mal desservies et exposées aux nuisances. Les territoires défavorisés abritent souvent les infrastructures les plus polluantes (usines, axes routiers, entrepôts), aggravant une forme d’injustice environnementale.

Auchel (Pas-de-Calais).

Ancienne ville minière, Auchel a perdu un tiers de sa population depuis les années 1970. Logements anciens, parfois vacants, et cités ouvrières dégradées y dessinent un paysage résidentiel fragmenté, symbole d’un déclin urbain mal accompagné.

Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).

Au cœur d’une zone industrialo-portuaire, la commune concentre raffineries, aciéries et entrepôts. Les études sanitaires y révèlent un excès de pathologies respiratoires et cancéreuses, conséquence d’une exposition prolongée à la pollution industrielle. Ici, injustice sociale et injustice environnementale se superposent.

À cela s’ajoute la fracture numérique, nouvelle frontière des inégalités : accès au très haut débit, fibre, compétences numériques… autant de conditions désormais essentielles pour l’inclusion économique et sociale.

5 - L’inégalité d’accès aux services publics : un autre visage de la fracture

Les inégalités d’accès aux services constituent un autre visage majeur de la fracture territoriale. Fermetures de bureaux de poste, de gares, de maternités : autant de signaux d’un recul progressif de la présence publique dans certains territoires.

Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Dans ce département où le taux de pauvreté dépasse 28 %, les services publics (école, santé, sécurité) sont souvent en tension : manque d’enseignants, classes surchargées, sous-effectifs hospitaliers. Pourtant, la métropole parisienne, toute proche, concentre richesse et infrastructures à quelques kilomètres seulement.

Souleuvre-en-Bocage (Calvados).

La disparition progressive des services (poste, gendarmerie, guichet fiscal) symbolise une ruralité en retrait. Les habitants doivent parcourir des dizaines de kilomètres pour des démarches simples, renforçant un sentiment d’abandon.

L’innovation doit permettre de réinventer la présence publique, via des outils prédictifs, des services mobiles, des plateformes intelligentes, des guichets numériques accompagnés.

6 - Du diagnostic à l’action : l’innovation comme levier de transformation

L’IA ne créera pas à elle seule un territoire plus juste. Mais en offrant un diagnostic objectif et localisé, elle permet d’agir de façon plus ciblée et plus équitable. Là où les politiques publiques ont parfois manqué de granularité, la donnée apporte de la précision. Là où les diagnostics étaient trop lents, l’IA introduit de la réactivité.

Réduire les inégalités territoriales, c’est reconnaître leur complexité et leur interdépendance. C’est saisir l’opportunité offerte par la technologie pour passer d’une logique de compensation à une logique de transformation, fondée sur une connaissance fine des territoires et sur le potentiel de leurs habitants.

La question n’est plus de savoir si l’IA peut aider, mais comment l’intégrer de manière responsable et équitable dans les stratégies d’aménagement. Et si la clé d’un territoire plus juste résidait dans notre capacité à allier innovation technologique et ambition sociale ?