Les femmes dans le secteur digital en 2019 : quelles avancées ?

A l’occasion de la Journée de la Femme du Digital le 17 avril, il est intéressant de faire un état des lieux du secteur du numérique et de l’évolution de la femme dans ce domaine.

L’intelligence artificielle et l’industrie du digital transforment profondément notre économie et créent de plus en plus d’opportunités d’emplois durables et à forte valeur ajoutée. Pourtant, les femmes sont très peu représentées dans ce secteur. Le changement vers une plus grande mixité tarde malgré une forte mobilisation.

Pourquoi se priver de la moitié de ces talents et faire évoluer ce secteur sous un prisme majoritairement masculin ? Le rôle des femmes dans nos futurs écosystèmes technologiques se joue aujourd’hui.

A l’origine, les femmes étaient plus nombreuses dans l’informatique

Aujourd’hui, le secteur numérique peine à attirer les femmes tandis que leur nombre tend à augmenter dans les autres secteurs de l’ingénierie.

Pourtant, l'histoire avait bien débuté. Selon Claire L. Evans, Auteure d’un livre sur l’implication des femmes dans l’histoire de l’informatique et d’Internet : "Quand l’informatique a pris de la valeur, les femmes ont dû quitter le terrain ". "Le profil des employés et des leaders des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) de la Silicon Valley semble donner raison à cette idée que l’informatique serait depuis toujours et avant tout une affaire d’hommes. C’est faux. Les femmes ont été à l’avant-garde de l’informatique. Même le mot 'ordinateur' (computer, en anglais) a été emprunté aux ordinatrices qui exécutaient des calculs mathématiques compliqués bien avant les machines, dès le XIXe siècle."

De 1972 à 1985, la filière informatique était la deuxième filière comportant le plus de femmes ingénieures au sein des formations techniques.

Chiffres clés en 2019 : où sont les femmes ?

Il y a 30 ans, les femmes occupaient environ 30 % des fonctions techniques des métiers du numérique (développement, exploitation, production et gestion de projet). Cette part a été divisée par deux depuis, et on retrouve désormais les femmes principalement au sein des fonctions support. L’Opiiec résume parfaitement l’état des lieux actuel : les "femmes sont davantage présentes sur des fonctions supports et sous-représentées sur les cœurs de métier de la branche. Elles sont également plus fréquemment positionnées sur des postes d’employés administratifs ou de secrétaires que sur des postes d’ingénieurs ou de techniciens."

Aujourd'hui, elles ne sont donc plus que 15 % en moyenne à s'engager dans des études d'informatique. Une tendance observée partout dans l’Union Européenne : d'après "Women in the Digital Age", une récente étude réalisée pour la Commission européenne, trois fois plus d'hommes que de femmes travaillent dans le numérique en Europe. Même constat dans la Silicon Valley, où l’on trouve peu de diversité.

Le manque de femmes dans le digital est un phénomène essentiellement occidental, comme le souligne Isabelle Collet, maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Genève, spécialiste des questions de genre et d'éducation.

Enjeux et perspectives

 Le très faible nombre de femmes dans les métiers du numérique présente deux enjeux majeurs :

  • Économique : Le secteur a de plus en plus de difficultés à recruter en nombre suffisant pour mener les transformations numériques indispensables à leur compétitivité. Atteindre la parité pourrait ainsi générer en France 10 % de PIB supplémentaire d'ici à 2025, d'après le cabinet McKinsey. L'industrie digitale se développant, les postes à pourvoir se multiplient. Selon la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), jusqu'à 212 000 postes par an seront créés d'ici à 2022 en France. Sans elles, « on se passe de la moitié des talents disponibles ». Le secteur numérique offre une pérennité d’emploi (90% des postes du secteur sont des cdi). Les femmes ont un réel intérêt de saisir leur chance dans un secteur en plein expansion.
  • Sociétal : une société numérique, qui impacte de plus en plus notre quotidien, ne doit pas être pensée, développée et gouvernée que par des hommes. « Cela introduit des biais de genre qui sont dommageables à l'équilibre de la société », relève Henri d'Agrain, Délégué général du @Cigref. Le problème se pose notamment dans le domaine de l'Intelligence Artificielle, qui repose sur la récolte des données et leur traitement par des algorithmes. Si ces systèmes sont conçus uniquement par des hommes, « on injecte dans la récolte des données comme dans leur traitement des biais qui font que les résultats sont erronés », explique de son côté Fatiha Gas, Directrice de l’école ESIEA Paris. L’éthique de l’algorithme devient un vrai sujet.

Pour Céline Lazorthes, fondatrice et dirigeante de Leetchi.com, "Il faut plus de femmes dans le numérique, car elles pensent les services et les besoins différemment". Elle rajoute "Si les femmes entreprennent souvent en partant d’un besoin, d’un manque observé dans la vie quotidienne, les hommes s’appuient davantage sur des conjonctures opportunes de marchés. Ces deux façons d’entreprendre sont intéressantes et complémentaires !".

Les initiatives se multiplient

Les entreprises, les établissements de formation et aussi tous leurs partenaires et ministères associés sont mobilisés.  Parmi les objectifs : fédérer les acteurs et coordonner des actions à tous niveaux, dès l’école et tout au long de la vie, pour sensibiliser les femmes aux opportunités que présente le secteur pour elles.

De nombreux dispositifs initiés par le gouvernement aident à lutter contre les idées reçues en allant à la rencontre des jeunes filles dans les écoles primaires, les collèges, les lycées, pour leur expliquer que les métiers techniques du numérique peuvent et doivent se décliner au féminin. Cette démarche se fait sur tout l’hexagone, en zone urbaine ou rurale. Le message est également adressé aux prescripteurs : parents, familles, enseignants, éducateurs, conseillers d’orientation... car toute la société est concernée.

Autres exemples d’initiatives pour promouvoir les métiers numériques aux femmes :

  • L’école 42 : Sophie Viger, directrice de l’école de code souhaite augmenter le nombre des femmes dans l'établissement. Alors que la dernière promotion de 42 comptait 15 % de femmes, Sophie Viger "veut en voir 35 % à l'automne". "Depuis la suppression de la barrière d’âge à l’entrée à l’école 42, le nombre de femmes de 30 à 40 ans a explosé !". " Je veux envoyer un message positif à l’extérieur, montrer qu’une femme grande, blonde et coquette peut être développeuse, et par ailleurs accéder à un poste de direction. Au quotidien, je pense aux femmes dans mon action."
  • La Grande école du numérique (GEN) : Lancée en 2015 par le Gouvernement, la Grande Ecole du Numérique est un réseau de plus de 750 formations aux métiers du numérique. La GEN favorise l’inclusion et répond aux besoins des recruteurs en compétences numériques. Samia Ghozlane, directrice de la GEN déclare sur Franceinfo : "Avec la digitalisation de l'économie, on a énormément de personnes qui prennent conscience qu'il faut qu'elles montent en compétences numériques. … On insiste aussi sur les femmes. L'objectif de la Grande école du numérique, c'est 30% de femmes. C'est donc clairement un plus quand on s'inscrit, il faut le savoir."
  • La Web@cadémie et son programme Ambition Féminine : "Afin de donner envie à plus de femmes de se lancer, nous communiquons sur leurs succès. Récemment, 5 étudiantes ont remporté le premier prix du hackathon Cisco lors du salon VivaTechnology. Elles ont reçu une dotation de 10 000€ !"
  • Plusieurs réseaux féminins se développent également tel que le réseau WomenInTechnology France qui a pour ambition de bâtir et d'animer un réseau actif pour booster les carrières professionnelles et les vies personnelles dans un même but, équilibre et harmonie. Le WIT est un facilitateur d'accès dans le monde de l'IT et un "hub" de proposition d'offres quelles soient opportunité de carrière ou de collaboration pour diffusion dans le réseau.
L’inclusion et la diversité pour des organisations éthiques et performantes !

Le plafond de verre numérique existe tant qu’on l’entretient, c’est la volonté de chacun qui permettra de le casser. Le secteur a de nombreux atouts : nombreux postes à pourvoir, carrières variées et évolutives dans un secteur qui se transforme très rapidement. Le numérique a besoin de tous et cette diversité de profils est essentiel pour la bonne santé du secteur à moyen et long terme. Au-delà de promouvoir le secteur numérique auprès des femmes, le sujet de l’inclusion et de la diversité doit faire partie de la réflexion stratégique des entreprises. Les organisations qui ont compris cet enjeu sont plus performantes. Toutefois, le simple fait de promouvoir la diversité de ses équipes ne garantit pas automatiquement de hautes performances, selon un article intéressant paru dans la Harvard Business Review  : "cela nécessite un leadership inclusif - un leadership qui assure que tous les membres de l'équipe sentent qu'ils sont traités avec respect et équité, qu'ils sont valorisés et qu'ils sentent qu'ils appartiennent, qu'ils sont confiants et inspirés.". Attirer de nouveaux talents issus de la diversité est une évidence, bien les intégrer et les fidéliser fait partie intégrante du processus d’inclusion.