L'IA fait battre le cœur de l'assurance

L'IA fait battre le cœur de l'assurance Utilisé pour bâtir ses modèles de gestion de risques, le machine learning est au centre des défis du secteur. Il optimise aussi les parcours client et certains process. Témoignages d'Axa et de CNP.

Comme Monsieur Jourdain qui pratiquait la prose sans le savoir, le secteur de l'assurance a recours depuis bien longtemps sans le savoir à des algorithmes d'IA. "Si vous partez du principe qu'un algorithme de régression logistique renvoie à de l'apprentissage machine alors nous utilisons ce type de technologie, de manière même beaucoup plus évoluée, depuis des années pour l'estimation de risques", reconnait Marcin Detyniecki, chief group data scientist et responsable de la R&D chez Axa. On est là au cœur du métier d'assureur. "Un produit d'assurance repose sur un modèle probabiliste visant à prédire la survenance d'un accident, d'un dégât des eaux ou d'une maladie. Plus celui-ci est fin, mieux l'assureur sera capable de vendre au juste prix", précise Franck Archer, directeur consulting pour l'ESN Umanis. Au sein des compagnies d'assurance, cette mission est confiée aux actuaires. "De fait, l'assurance est historiquement le plus gros consommateur de machine learning tous domaines confondus", insiste Franck Archer.

Mais avec la montée en puissance de la data, les compagnies d'assurance ont l'opportunité de décupler leur capacité d'IA. C'est notamment le cas dans l'assurance automobile. Avec la démocratisation des voitures connectées, les acteurs du secteur bénéficient désormais de données réelles sur l'usage des véhicules, bien au-delà des critères traditionnels (kilométrage et zones de déplacement déclarés, jeune conducteur et autres statistiques générales). Des informations anonymisées qu'ils acquièrent directement auprès des constructeurs. "Nous intervenons chez un groupe automobile français dans le cadre d'un projet visant à commercialiser ce type de données, en particulier à des assurances", confie Franck Archer.

Plusieurs grandes marques de véhicules ont d'ailleurs commencé à ouvrir des plateformes pour monétiser leurs data (BMW, Toyota, Scania). La démarche est conditionnée par l'accord des propriétaires de véhicules. En échange leur sont généralement proposées des baisses de prix en concession. Au final, les modèles de probabilité des actuaires s'en trouvent nettement améliorés.

La voiture connectée change la donne

Evidemment, les compagnies d'assurance ont tout intérêt à récupérer ces données directement auprès de leurs clients automobilistes, sans passer par la case constructeurs. Un scénario qui se révèle néanmoins délicat à mettre en œuvre, le processus implique en effet l'installation d'un boîtier ou d'un logiciel de collecte embarqué sur les voitures. Pour l'heure, ce type de service n'a pas séduit le grand public mais plutôt les entreprises. "Il leur permet de contrôler la bonne application des normes routières par les chauffeurs de leur flotte de véhicules tout en fournissant à leur assureur des informations détaillées sur la conduite pour aboutir à un contrat au juste prix", complète Franck Archer.

"Grâce à l'IA, nous sommes à même de déclencher les paiements beaucoup plus rapidement"

Autre IA actionnée dans l'assurance pour affiner l'analyse de risques (beaucoup plus récente cette-fois) : le deep learning appliqué à la reconnaissance d'images satellitaires. "Cette technique nous permet par exemple de recalibrer nos modèles de prédiction d'inondation en prenant en compte un nombre plus important de critères", précise Marcin Detyniecki chez Axa. Un cas d'usage sur lequel Capgemini planche également pour ses clients assureurs. "En combinant des données météo avec des photos prises par satellite, nous créons des modèles pour anticiper les catastrophes naturelles ou les niveaux de rendement agricole", explique Thierry Loras, directeur de la practice assurance France chez Capgemini.

Au-delà de l'actuariat, l'IA représente aussi un levier pour le CRM des groupes du secteur. Chez CNP Assurances, spécialiste français de l'assurance de personnes, le machine learning est utilisé pour optimiser le parcours des bénéficiaires de l'assurance vie. "En cas de décès d'un client, nous recourons à des algorithmes de fuzzy matching (ou recherche floue, ndlr) pour retrouver ses références dans le fichier national des personnes décédées dans lequel les noms peuvent être mal orthographiés. Nous obtenons un taux de reconnaissance de plus de 95%", se félicite Camille Gutknecht, responsable du département Data Analytics de CNP Assurances. "Grâce à ce dispositif, nous sommes à même de déclencher les paiements beaucoup plus rapidement."

Toujours en vue de fluidifier le parcours client, CNP Assurances recourt à l'apprentissage machine pour vérifier la conformité des documents soumis par ses assurés (RIB, devis), puis pour en automatiser la saisie dans ses système d'information. Dans cette même logique d'industrialisation des processus de prise en charge et de validation d'informations client, Axa s'adosse, lui, au robotic process automation (RPA).

"L'intelligence artificielle épaule les agents de nos centres d'appel"

Chez Axa, l'IA épaule également les conseiller des centres d'appel. "Un assistant intelligent les informent sur les clauses des contrats d'assistance correspondant à la problématique des clients au téléphone, sachant que ces contrats peuvent compter jusqu'à plusieurs centaines de pages", souligne Marcin Detyniecki.

Moins original mais tout aussi stratégique, un assistant virtuel pourra aider les forces commerciales à dénicher les meilleurs services d'assurance à proposer en fonction de la demande et du profil d'un prospect (âge, historique d'échange et d'achats de produits d'assurance…). "On calculera un score de propension à souscrire à telle ou telle offre et à être éligible, ou pas, à celles-ci en fonction des niveaux de risque estimés pour un client particulier", indique Thierry Loras.

Avec une approche de bout en bout du parcours de l'assuré, Capgemini est allé jusqu'à construire "une offre de sinistre augmenté". Créée en partenariat avec la start-up Zelros, elle s'adosse à une couche d'IA pour préremplir les déclarations de sinistre et proposer aux clients des services correspondant à leur situation. "Elle peut déclencher automatiquement des tâches dans l'outil de gestion de sinistre, router le dossier vers un généraliste ou un spécialiste, missionner un expert... Elle analyse aussi les décisions de gestion, et évalue le risque de fraude", détaille Thierry Loras.

Une démarche de R&D à long terme

Pour plancher sur ces applications d'IA, CNP Assurances s'est doté d'un laboratoire consacré à la data. Logé dans le département Data Analytics au sein de la direction technique, en charge de l'actuariat, il s'ancre dans l'écosystème interne pour développer des solutions, en lien notamment avec le programme d'investissement dans les start-up Open CNP. "Avec Recital par exemple (une jeune pousse française experte en machine learning, ndlr), nous avons créé un moteur de traitement automatique des e-mails. Il en identifie les objets des messages envoyés par nos assurés et les route vers les bons interlocuteurs", explique Olivier Bousquet, responsable de l'innovation à la direction de l'expérience client et des systèmes d'information de CNP Assurances.

Qu'en est-il des agents conversationnels orientés relation assuré ? "Dans ce domaine, nous étudions plusieurs pistes", confie Marcin Detyniecki d'Axa. "Les chatbots peuvent d'abord constituer un moyen pour nos clients de suivre l'état d'avancement de leurs dossiers. Ils peuvent également nous permettre de faire de la prévention médicale à grande échelle auprès de nos clients dans l'assurance de santé." Un second scénario dont la faisabilité est d'emblée mise en cause par le groupe, car il pose la question de la collecte de données personnelles médiales via un chatbot. "Ce qui est totalement illégal", pointe-t-on chez Axa.

A lire aussi