La voiture connectée transforme les constructeurs en vendeurs de données

La voiture connectée transforme les constructeurs en vendeurs de données Conscients de l'énorme potentiel de monétisation que recèlent les datas de leurs véhicules, les groupes automobiles se préparent à gérer cette nouvelle facette de leur métier.

Constructeurs auto, puis opérateurs de mobilités… et bientôt vendeurs de données ? A mesure que les véhicules connectés se démocratisent, les groupes automobiles sont assis sur toujours plus de précieuses données au potentiel inexploité. Itinéraires, horaires d'utilisation, type de conduite, freinage… Ils collectent toutes sortes d'informations sur leurs véhicules et leurs conducteurs qui pourraient être monétisées, soit pour mettre en avant leurs propres services de mobilités, soit au profit d'autres secteurs qui lorgnent ces données.

Encore faut-il savoir faire le tri dans tout ce qu'il est possible de remonter. "Beaucoup de constructeurs acquièrent trop de données. Ils sont incapables de toutes les utiliser", constate Martin Ridder, directeur Europe de Control-Tec, une filiale de l'équipementier auto Aptiv (issu de la scission de Delphi) qui aide les constructeurs (GM, Ford, Fiat Chrysler…) à gérer les données générées par leurs véhicules. "C'est pourquoi nous prônons le concept d'edge computing." Ce procédé consiste à réaliser les traitements de données à la source avant de les envoyer dans le cloud. Ainsi, le véhicule ne renvoie que les données qui intéressent le constructeur, plutôt que la totalité des informations qu'il collecte.

Une fois cette étape maîtrisée, la manière la plus évidente de commencer à monétiser ces données pour les constructeurs est de favoriser leurs propres services. Anticipant un déclin de la possession en faveur de l'usage des voitures, ils se muent tous en opérateurs de mobilités proposant une palette de services comme l'autopartage ou le VTC. En analysant les données d'utilisation d'un véhicule, un constructeur peut par exemple proposer à son conducteur de le mettre en autopartage à des jours et horaires où il ne s'en sert jamais, et partager les revenus avec lui.

C'est aussi une manière de fidéliser le client et de favoriser des business plus traditionnels, explique Martin Ridder. "Les constructeurs veulent vendre des pièces détachées et maintenir leurs clients au sein de leur réseau de concessionnaires. L'analyse de l'usure des pièces permet de détecter que l'une d'entre elles risque de lâcher bientôt. On peut alors avertir le conducteur et lui proposer un rendez-vous pour faire remplacer la pièce défectueuse."

Plateforme maison ou marketplace ?

Mais s'ils veulent pleinement monétiser ces données, les constructeurs ne pourront se contenter de les garder pour eux. Entre les informations sur leurs véhicules et celles sur l'environnement qui les entoure, ils collectent des données qui ont de la valeur pour de nombreux acteurs comme les assureurs, les gestionnaires d'infrastructures, les opérateurs de transport, les villes ou encore les cartographes.

Plusieurs grands noms l'ont bien compris et ont commencé à développer leurs propres plateformes de monétisation, qui connectent les données anonymisées de conducteurs (ayant donné leur accord) à des tierces parties intéressées. Ainsi, BMW a lancé CarData avec le soutien d'IBM et Ford a investi dans la start-up américaine Pivotal, qui l'aide à monter sa plateforme FordPass. Le géant des télécoms Ericsson a de son côté lancé l'année dernière sa Connected vehicle marketplace, qui propose aux constructeurs de gérer sous marque blanche tout le cheminement de la donnée, depuis sa collecte jusqu'à sa vente à des tiers. Une offre qui permet notamment au Suédois Scania de monétiser les données de ses poids lourds sur la plateforme Scania One. 

En prévision de cette future monétisation massive, des industriels veillent aussi à s'assurer un accès privilégié aux données des véhicules. Toyota a par exemple annoncé le développement de son propre système de télématique, afin de ne pas dépendre de sociétés comme Octo Telematics, qui développent des technologies de véhicule connecté pour les constructeurs et s'intéressent, elles-aussi, à la monétisation des données collectées.

"Beaucoup de scénarios de monétisation, nécessitent des données agrégées car on ne peut pas obtenir de bons résultats avec les données d'un seul constructeur"

Cette approche individuelle manque cependant d'efficacité pour les acheteurs de données, qui doivent aller les chercher sur différentes plateformes et sous différents formats. C'est dans ce but que la start-up israélienne Otonomo, fondée en 2015, a lancé une place de marché de la donnée automobile. La société revendique deux millions de véhicules présents sur sa plateforme et dit travailler sur des pilotes commerciaux avec 10 constructeurs européens, américains et japonais.

"Certains constructeurs peuvent développer des relations unilatérales avec une entreprise, par exemple pour proposer des coupons de réduction Starbucks", concède Lisa Joy Rosner, directrice marketing d'Otonomo. "Mais beaucoup de scénarios de monétisation, dans la smart city, la cartographie ou encore le stationnement, nécessitent des données agrégées. On ne peut pas obtenir de bons résultats avec les données d'un seul constructeur", assure-t-elle. Otonomo s'occupe de nettoyer les données afin de les présenter aux acheteurs sous un format unique. La start-up gère aussi les questions de gouvernance : les constructeurs peuvent choisir à quels types de sociétés et de cas d'usage serviront leurs données, notamment pour éviter qu'elles tombent entre les mains de concurrents.

Un nouveau marché à organiser

Comme les sites web avec la publicité programmatique, les constructeurs auront du mal à résister à cette approche de plateforme. D'autant que Google, dont le modèle économique est presque entièrement basé sur la monétisation des données, a des vues sur le secteur. Android Auto, la version quatre roues de son système d'exploitation mobile, lui permet déjà de collecter des données sur les voitures. Waymo, la filiale de conduite autonome de la maison-mère de Google (Alphabet), est d'ailleurs davantage perçue comme un nouveau vecteur de publicité qu'un moyen de transport. La réclame permettant de subventionner les courses pour les faire tomber à des prix dérisoires, voire les rendre gratuites. "Avec Facebook, Google domine le marché de la publicité en ligne, en majorité issue du mobile. J'ai pour l'instant du mal à voir comment cela va s'organiser dans l'automobile," reconnaît le président de Control-Tec David Ploucha. Les industriels du secteur doivent donc agir avant que le géant de la tech ne devienne central dans les échanges de données automobiles. "Les constructeurs rejoignent Otonomo car ils veulent utiliser leurs données comme un avantage compétitif contre Google", estime Lisa Joy Rosner.

Mais tout ce travail sera vain si les conducteurs ne suivent pas. Car légalement, ce sont eux, et pas les constructeurs, qui sont propriétaires des données produites par leur véhicule. Toute monétisation nécessite donc leur accord préalable. Si les utilisateurs refusent massivement, la représentativité et la qualité de ces données seront remis en question. Aux constructeurs de leur montrer qu'ils ont à y gagner, en proposant des services utiles en échange de cette collecte de données.