L'enseignement face au défi de ChatGPT, ou comment enseigner à poser les bonnes questions

Face aux nouvelles découvertes, il faut s'adapter et se repenser. Avec l'IA, plutôt que de se concentrer sur l'évaluation des réponses fournies, il est nécessaire de développer sa capacité à formuler

Désormais suivi d’une ribambelle de « petits frères », ChatGPT est déjà intégré à certains programmes et applications. Face à la levée de boucliers qu’a engendré son arrivée, le monde de l’éducation n’a pas tardé à faire entendre sa voix au sujet de ce nouveau chatbot employant l’intelligence artificielle, et capable de produire des textes et d’interagir avec ses utilisateurs. Voilà que se pose une fois de plus l’éternel dilemme : le monde de l’enseignement doit-il s’adapter ou résister au changement ? Comme l’analyse un article publié par Harvard Business Publishing, chaque apparition d’une nouvelle technologie donne lieu à une polarisation des opinions.

On retrouve d’une part les pourfendeurs de l’innovation en question, qui en dénoncent les dangers et soutiennent qu’il est nécessaire d’endiguer et de mettre en garde contre certaines tendances néfastes, perçues comme une dangereuse dérive. D’autre part, on trouve ceux qui soulignent l’intérêt du progrès et qui, sans en oblitérer les risques, considèrent qu’il est important d’accompagner et de guider les nouvelles générations vers une utilisation responsable et éclairée des innovations. En effet, il est largement admis que de nombreuses découvertes et technologies ne sont pas intrinsèquement bonnes ou mauvaises – seule l’utilisation qu’on en fait peut l’être.

S’adapter et se repenser

L’histoire nous a appris qu’il est presque toujours futile de résister au progrès, voire néfaste. Il semble donc plus pertinent de vouloir enseigner aux jeunes comment tirer le meilleur parti des nouveaux outils, y compris pour le bien commun. Nul doute, en effet, que ces innovations vont faire partie intégrante de nos vies. Les institutions de l’enseignement – l’université et en général l’école – doivent donc s’interroger sur deux aspects liés : comment s’adapter et comment se repenser. Tout d’abord, en décidant comment intégrer ces nouvelles technologies, qui nécessitent d’être constamment remises à jour, dans leur programme d’études. Deuxièmement, en modifiant les processus figés par le temps et qui sont aujourd’hui affectés par ces innovations, par exemple le mode et la nature des évaluations des élèves.

Enseigner l’intérêt de l’IA et développer son esprit critique

En tant qu’enseignants, nous avons une grande responsabilité dans la formation des jeunes talents qui contribueront demain au développement d’une société de plus en plus durable. Nous devrions donc enseigner l’intérêt de l’IA pour laisser aux humains faire ce qui leur est propre à savoir la créativité, l’originalité, la capacité d’innovation, les expressions artistiques, culturelles et scientifiques.

Si ChatGPT nous surprend par son apparente intelligence, il ne fait que nous fournir des réponses basées sur des statistiques, des tombereaux de données et des récurrences, en répliquant et en stockant les situations, questions et réponses comparables qu’il a rencontrées. Notre tâche est donc de former nos étudiants à utiliser cet outil, et à développer et à présenter de nouvelles idées pour les mettre en œuvre et les faire aboutir. Nous devons convaincre les jeunes générations qu’elles ne doivent pas craindre d’être remplacées par des machines, mais bien par d’autres êtres humains plus aptes à tirer parti de ces innovations, et parfois à mauvais escient. Tout l’enjeu est de développer chez les étudiants l’enseignement de l’esprit critique que nous appelons de nos vœux depuis des années, mais que nous avons beaucoup de mal à favoriser dans la pratique.

Poser les bonnes questions

Ceci nous amène au deuxième aspect : jusqu’à présent, l’évaluation des étudiants s’est toujours concentrée sur le rendu final. Nous demandons à l’apprenant de faire un devoir, puis évaluons le résultat. Le moment est venu de mettre l’accent sur le processus d’apprentissage et sur l’apport initial, et c’est là un vaste chantier qui exige du courage. Dans de nombreuses universités, la participation en classe ou les contributions des étudiants pendant les cours et les conférences a toujours été un élément important de leur évaluation. Autre exemple : le recours à des techniques anciennes telles que les débats d’idées. Ce sont là des parcours riches en vécu et en expériences, qu’aucune IA ne pourra jamais reproduire. Si ChatGPT est capable d’écrire et de nous donner des réponses parfaites à n’importe quelle question, nous devons changer d’objectif et commencer à évaluer la capacité des étudiants à poser les bonnes questions. Il n’y a là rien de révolutionnaire, en réalité, comme le savent tous ceux qui ont étudié un tant soit peu l’histoire de la philosophie, du progrès et de la science depuis Socrate. Un artiste comme un entrepreneur, un scientifique comme un avocat, un policier comme un politicien doit développer une vive curiosité intellectuelle qui le pousse à s’interroger continuellement. Plutôt que de fournir des réponses calibrées à nos étudiants, nous leur enseignons l’art de poser les bonnes questions et d’évaluer la qualité et la pertinence des réponses qui leur sont données. En effet, il n’est jamais simple, ni évident, de distinguer une bonne réponse d’une mauvaise. La capacité à le faire n’a pas encore été acquise par une machine, du moins pour l’instant – et elle ne le sera peut-être jamais. Les éducateurs et enseignants que nous sommes doivent de toute urgence concentrer leur réflexion et leurs évaluations sur cette approche.