La peur éprouvée devant l’IA, comme à chaque révolution technologique, est légitime

Pas un jour ne passe sans qu’un article ne soit consacré à l’IA. Il y a d’un côté les optimistes, qui y voient la dernière grande révolution de l’humanité. De l’autre, ceux qui craignent des effets négatifs.

2001, L'odyssée de l'espace

Ne pas avoir peur de l’intelligence artificielle (IA). Il est important de comprendre ce qu’est l’IA aujourd’hui : si elle est en mesure d ’« imiter » le cerveau humain, elle n’y parvient pas encore totalement. Nous sommes loin d’un scénario hollywoodien*, où l’intelligence artificielle pourrait penser à 100% comme un humain, éprouver ses sentiments de joie ou de colère. L’inquiétude ou la peur éprouvée devant l’IA, comme à chaque révolution technologique, est cependant légitime. Au 19 e siècle, par exemple, avec la révolution industrielle (apparition du machinisme), les sociétés ont aussi exprimé leurs craintes.

Mais dans le cas de l’IA, il ne s’agit pas d’opposer les capacités physiques des hommes à celles des machines, mais l’intelligence de l’Homme à celle des robots. Ce constat avait d’ailleurs fait dire à Moshe Vardi, professeur d’informatique américain, rapporte un article du Guardian de 2016, que plus de 50% de la population mondiale sera au chômage dans les 30 prochaines années. Moshe Vardi n’a cependant pas voulu révéler sa méthode de calcul…

Pour sûr, plusieurs pays ou secteurs seront plus touchés que d’autres : les principaux métiers concernés sont l’informatique, les télécoms, les services aux consommateurs, les services financiers, la fabrication et la production. Les prévisions peuvent légèrement diverger sur ce point. Selon les chiffres d’une étude de 2017 du Conseil de l’orientation pour l’emploi (OCE), organisme placé sous l’autorité du Premier ministre,  les secteurs les plus affectés, parce que plus représentés en volume sont pour beaucoup peu qualifiés et manuels : arrivent en tête les agents d’entretien (320 215), les ouvriers qualifiés des industries de process (95 545) et les ouvriers non qualifiés de la manutention (86 000).** Les professions se caractérisant par une forte activité humaine, comme l’éducation, les médias et le divertissement, le sport, la construction et l’immobilier, (etc.), le seront aussi, mais à plus long terme.

La menace connue, il s’agirait maintenant pour les organisations de se préparer ou d’accompagner la mutation. Or, selon les chiffres d’une récente étude Teradata (State of Artificial Intelligence for Enterprises), menée en juillet 2017, 91% des personnes interrogées, s’attendent à rencontrer des obstacles à l’adoption de l’intelligence artificielle. Beaucoup prédisent même des blocages, dus à une infrastructure informatique insuffisante (40%) et un manque de compétences en interne (34%). Presque autant (33%) estiment que la technologie d’IA actuellement disponible est trop récente et approximative, pour qu’elle soit déployée sans réserve. D’autres (30%) se plaignent d’un budget insuffisant à une pleine adoption…

En dépit de ces premiers chiffres, rien ne dit que les organisations ne parviendront pas à mener leur transition en matière d’IA. La solution ? Il faudrait commencer par une prise de conscience plus accrue des dirigeants, et une stratégie d’entreprise globale en matière de mise en œuvre et d’utilisation de l’IA.  A ce stade, sans se prendre pour une Sybille, nous prédisons que les entreprises dépourvues d’une politique en matière d’IA disparaîtront. Ce constat fait, nous ne rejoindrons cependant pas ceux qui soutiennent la thèse du millénarisme. Nous pensons notamment au scientifique Steve Hawking qui, dans une interview donnée en 2014 à la BBC, soutient que la percée de l’IA marquera la fin de l’humanité. Au contraire, nous pensons que l’IA pourrait être un moteur ou permettre un renouveau.

Mutations et nouveaux métiers

Certains pays ou secteurs craignent les effets de l’IA, nous l’avons dit. Mais, si l’intelligence artificielle pourra se substituer à certaines tâches spécifiques opérées par les hommes, de nouveaux postes apparaîtront.  Toujours selon les chiffres de l’étude de l’OCE, près d’un emploi sur deux, serait susceptible de voir son contenu évoluer sous l’effet de la robotisation ou de la numérisation. L’avènement de l’IA impliquera des changements, pour ne pas dire bouleversement, dans l’organigramme des sociétés. A titre d’exemple, aujourd’hui, l’IA relève généralement d’un directeur informatique ou technique. Dans un avenir proche les sociétés devront créer le poste de directeur de l’intelligence artificielle, et donner à ce dernier les moyens d’agir. Son rôle ? Il sera responsable de la stratégie d’IA et de son déploiement dans l’entreprise. Les tâches classiques d’ingénierie des données seront assurées par les spécialistes en données individuelles, tandis que les experts en données se consacreront davantage à l’IA.

La fonction de directeur de l’IA, comprendra également un paramètre humain, consistant à redéfinir les descriptions de postes en collaboration avec les Ressources Humaines. Elles aussi auront un rôle de facilitateur à jouer. Mais attention, face aux besoins croissants de l’IA, l’écart entre l’offre et la demande d’experts en données*** continuera de s’aggraver. Ne faudrait-il pas plutôt définir un cadre juridique de l’IA dans l’entreprise, pour conserver certains postes ? Sans aller jusqu’à légiférer en ce sens, le gouvernement français s’est déjà muni d’une stratégie nationale. La priorité consiste à identifier et réunir les acteurs concernés, afin de favoriser la structuration du secteur. La France a déjà aussi instauré plusieurs initiatives, visant à tirer profit de l’intelligence artificielle : déploiement de la fibre optique, les villes intelligentes, etc.

Il faudrait aussi, selon nous, introduire l’IA au système éducatif à un stade précoce. Cette technologie étant amenée à devenir aussi courante que l’électricité, il est important de l’enseigner aux élèves le plus tôt possible. Mais quoi qu’on dise, la France n’a pas à rougir de sa « prise de conscience » de l’IA, par rapport à ses voisins européens. Le pays est même en train d’adopter une position de leader, compte tenu du nombre de start-ups spécialisées en IA.

Qu'est-ce qui nous attend ?

Nous l’avons compris, l’IA sera partout : de nouvelles applications émergeront, comme des robots vendeurs ou des robots enquêteurs, des systèmes logistiques intelligents, etc. L’IA aura aussi un impact dans la vie personnelle : nous allons commencer à utiliser dans notre vie quotidienne des produits basés sur l’IA (robots de nettoyage par exemple), comme la famille Jetson****.

A force de côtoyer les technologies pilotées par l’IA, les craintes finiront par être levées. L’IA aura un impact considérable sur nos processus de pensée. Seriez-vous, par exemple, à l’aise à l’idée de prendre un « taxi » qui ne serait conduit par un être humain ? Accepteriez-vous que votre enfant soit instruit par un assistant virtuel ? La notion de propriété, elle aussi s’en trouvera modifiée : nous « posséderons » moins de choses. Par exemple, si les voitures deviennent autonomes, il n’y aura aucun intérêt à les laisser au garage. Ainsi, dans de nombreux « domaines », nous serons moins « propriétaires » et consommerons davantage sous forme de services. Il ne faut pas avoir peur de l’IA, pas au stade actuel en tout cas. Il faudrait que nous apprenions, aussi bien en entreprise que dans le quotidien, à nous adapter, sans non plus avoir une confiance aveugle. 

* Dans 2001 l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, film de science-fiction paru en 1968, l’ordinateur Hal 9000 (Carl pour la version française), doté d’une intelligence artificielle, devant apporter assistance aux membres de l’équipage d’un vaisseau, finit par se débarrasser de ces derniers

** Chiffres obtenus à partir résultats d’une enquête de la Dares (ministère du Travail) sur les conditions de travail

*** Gartner définit le spécialise en données individuelles comme celui qui crée ou génère des modèles employant des fonctions d’analyse de diagnostic de pointe ou des fonctionnalités prédictives et prescriptives.

**** Célèbre dessin animé américain des années 1960 montrant les aventures de la famille Jetson dans un monde où cohabitent hommes et machines.