Alain
Le Diberder
46
ans, ancien directeur
des Nouveaux Programmes de Canal Plus |
Dans
les premiers temps du Web (1995-1999), Alain Le Diberder
a fait caracoler Canal Plus, en tête, bien en
tête des télévisions sur Internet.
Succès d'audience, même si à l'époque
les chiffres n'avaient pas grand chose à voir
avec ceux d'aujourd'hui. Succès créatif
surtout, avec "Le Deuxième Monde",
ce Paris virtuel peuplé d'avatars animés
par les internautes... Créatif. C'est sans doute
le mot qui caractérise le mieux cet intello technoïde,
touche-à-tout de l'audiovisuel et du multimédia.
Imaginez ce normalien, agrégé de sciences
sociales et Docteur en économie des télécommunications,
rencontrer Internet dans les couloirs du Canal imaginatif
et libéré des années Rousselet.
Mélange détonnant garanti.
D'abord réalisateur
et rédacteur en chef d'émissions "cyber",
Alain Le Diberder occupait le poste envié de
directeur des Nouveaux Programmes de la chaîne
cryptée. Un département qu'il a dirigé
pendant sept ans où bouillonnaient les idées
avant-gardistes. "Pierre Tchernia était
venu nous rendre visite en nous expliquant qu'il ressentait
chez nous la même ambiance que celle dans les
couloirs de l'ORTF dans les années 50",
se souvient Alain Le Diberder. Alain Le Diberder voyait
ce laboratoire numérique comme l'expression même
de Canal. Est-ce la stratégie retenue d'isoler
les activités Internet dans une structure ad
hoc ? Est-ce la pression économique qui s'est
mis à entourer Internet ? Le recul relatif du
site dans les classemetns d'audience ? En novembre 2000,
Alain Le Diberder quitte Canal. Il ne fera pas la V6
du site.
Un
an après, l'homme est resté fidèle
à lui-même. En février 2001, il
a contribué à la création d'une
nouvelle société baptisée CLVE
qui siège près de Grenoble (Isère).
Un acronyme qui signifie "Communication and Life
in Virtual Environment" et qui n'est pas sans rappeler
Le Deuxième Monde, la communauté virtuelle
initiée en 1997 par Alain Le Diberder et son
frère Frédéric. "C'est une
société qui travaille sur des projets
de 3D et d'intelligence artificielle et de la vidéo",
explique le co-fondateur. Un premier logiciel devrait
sortir fin 2002 et esquisser ces "divertissements
du futur" que traque Le Diberder. Parallèlement,
la création d'un syndicat pour les producteurs
de jeux vidéos, un autre de ses thèmes
de prédilection, le démange.
Flash back sur les "sept
glorieuses" au sein de Canal Plus. Alain Le Diberber
est un passionné des jeux vidéos et du
monde "cyber". Les activités Internet
de Canal Plus commencent avec "L'Hebdo", le
talk show de Michel Field qui souhaite développer
l'interaction avec les téléspectateurs.
A la rentrée 94, apparaît le premier site
dédié à cette émission.
Le web a ensuite accueilli d'autres contenus en lien
avec les émissions "Cyber Flash" et
"Cyber Culture" d'Alain Le Diberder, puis
des informations sportives. "Dès le départ,
nous considérions ces activités comme
une extension du métier de la télévision",
explique l'intéressé.
La Direction des Nouveaux
Programmes a été lancée début
1994 sous l'impulsion de Marc Tessier et de Alain de
Greef. Mais l'Internet
ne constituait qu'une petite composante de ce département,
qui abritait également les activités liées
aux technologies numériques comme la création
de CD-Rom (ceux des Guignols ou du Château de
Versailles par exemple). "Une ambiance très
multimédia au sens ethymologique", résume
Alain Le Diberder. Dans ce laboratoire qui a employé
jusqu'à 200 personnes, ce passionné des
nouvelles technologies travaille dans l'ombre avec Isabelle
Astier pour "bidouiller" un site Internet
qui se perfectionnera au fur et à mesure. Depuis
cette période, CanalPlus.fr fait l'objet d'un
lifting traditionnel tous les ans.
Isabelle Astier est restée
aux commandes du site au sein de Canal Numedia. Mais
l'esprit pionnier tend à disparaître, sans
doute pour des raisons budgétaires. L'année
dernière, subsistaient encore quelques rubriques
(comme "Cyber" ou "Musique électronique")
qui rappelait le ton des années Diberder. Elles
ont été supprimées dans la cuvée
2001 de CanalPlus.fr, beaucoup plus standardisée.
Encore aujourd'hui, Alain
Le Diberder défend son bilan : "Dans
le dernier budget, nous n'avions qu'un déficit
de 3,5 millions de francs et l'on vendait notre contenu
au Monde, à AOL France ou à BOL France..."
"Je suis fier
de ce qui a été réalisé
mais je n'ai aucune nostalgie pour cette période",
commente l'ancien directeur multimédia.
"Internet
est une économie dérivée..."
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Si Alain Le Diberder se
désolidarise du projet de filialisation des activités
en ligne de Canal Plus en août 1999, c'est parce
qu'il a toujours considéré le Net comme
une simple extension des activités de Canal Plus.
Un cas concret qui rejoint les fondements de son analyse
du secteur. "Je considère que le contenu
sur Internet est une économie dérivée.
Son isolement n'a pas de sens, à moins de vouloir
présenter des déficits importants",
commente Alain Le Diberder, en évoquant au passage
les échecs spectaculaires qu'ont connus les "spin
off" des groupes médias américains
(Go.com et Disney, NBCi, etc.).
Le professionnel multimédia
a également un avis assez tranché à
propos des modèles économiques de Web
TV, type Canalweb, qu'il jugent inadéquats. Plus
globalement, il estime que la tendance actuelle du Net
est "très positive" avec la prise de
conscience des acteurs du Net de la nécessaire
rémunération des fournisseurs de contenus
et le développement de services "premium".
Toutefois, il reconnaît une limite à Internet
: "Il faut lire sur Internet, ne serait-ce que
les instruction du browser. Une partie de la population
n'est pas forcément prête à accepter
ce type de contrainte qui n'existe pas en regardant
la télévision ou en écoutant la
radio", avance-t-il.
Autre symbole de la cyber
attitude qui est tombé : la chronique "Sabir
cyber" d'Alain Le Diberder, qui était publiée
dans Le Monde Interactif (disponible également
en ligne sur le site du Monde et de Canal Plus), n'est
plus. Alain Le Diberder a livré sa dernière
contribution en mai dernier après quatre ans
de cet exercice hebdomadaire. Celle-ci servait à
vulgariser les terminologies liées au cybermonde.
Toujours dans un souci de vulgarisation, il avait écrit
l'année dernière un ouvrage sur le sujet
("Histoire d'@, l'abécédaire du cyber", Editions
de La Découverte). Alain Le Diberder tient à
poursuivre ce combat au sein de la Commission de Terminologies
du ministère de l'Economie et des Finances. "Il
y a beaucoup de mots high tech soi-disant étrangers
qui ont en fait des origines françaises : mail
vient de 'malle-poste', browser vient de 'brouter' et
scanner vient de "scander".
L'apôtre Cyber n'a pas dit son dernier mot.
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