Qui vous parle sur Internet ? La question peut paraître
saugrenue, et pourtant. En se rendant sur des sites comme
Ogm-debats.com, Nutrition-sante.com ou Lesucre.com, les internautes
savent-ils que des groupements d'intérêt ou des
marques s'adressent directement à eux au travers de
conseils ou de contenus pédagogiques. Avec la Toile,
la logique du "consumer magazine" est entrée
dans une nouvelle dimension : entreprises, marques, lobbies,
et même mouvements politiques, ont trouvé dans
ce média la possibilité d'accéder au
plus grand nombre sans se parer d'un discours publicitaire
et pour des budgets bien plus limités.
"Internet pose une double question sur la communication
des marques et des groupements d'intérêt, estime
Christian Harbulot, directeur de l'École de guerre économique
(EGE). D'une part, les codes nécessaires pour appréhender
ce nouveau média restent mal maîtrisés
par une partie de la population. Les internautes n'identifient
pas toujours sur quel type de site ils sont. D'autre part,
un site permet de dresser une barrière entre le discours
tenu et la personne à l'origine de ce même discours.
Il n'est pas toujours facile de savoir qui se tient derrière
tel ou tel site."
Deux
univers se prêtent tout particulièrement à
cette stratégie de communication "masquée"
ou d'influence sur Internet : le cosmétique et
l'agroalimentaire. Deux univers en lien étroit avec
la santé où, sous le couvert de conseils, d'informations,
voire d'études scientifiques, des acteurs privés
peuvent tisser de nouvelles relations avec la population internaute.
Le domaine des OGM illustre à merveille cette façon
d'opérer. De prime abord, le site français Ogm-debats.com
met en avant un positionnement neutre sur la question des
OGM, en se définissant comme un lieu de "débats
et d'échanges sur les biotechnologies en agriculture".
Le site est édité par l'association DEBA (Débats
et échanges sur les biotechnologies en agriculture),
une structure créée sous l'impulsion de cinq
majors de l'agroalimentaire : BASF Agricultural Products,
Bayer CropScience, Dow AgroSciences, DuPont-Pioneer Semences,
Monsanto et Syngenta. Des acteurs qui, on le devine, ont un
point de vue bien précis sur l'intérêt
des OGM.
Dans une étude, le cabinet C4IFR, spécialisé
en intelligence économique et en gestion du risque informationnel,
s'est penché sur le cas de ce site. Le rapport identifie
deux pratiques utilisées par Ogm-debats.com :
le "cyberlobbying" (en proposant du contenu aux
journalistes, scientifiques et aux enseignants) et le "perception
management". "Le perception management, explique
Nicolas de Rycke, consultant associé chez C4IFR, est
une stratégie qui consiste à fausser la perception
de l'audience en sélectionnant l'information proposée."
En clair, le site ne pratique pas de désinformation,
puisque les contenus proposés sont fiables. Mais le
parti pris du site influence le choix en faveur des contenus
favorables aux OGM.
"Défendre
la consommation du sucre" |
Sans atteindre ce degré de dissimulation, le cas du
site Lesucre.com est également intéressant.
Le site est édité par le Cedus, le Centre d'études
et de documentation du sucre, un organisme interprofessionnel
de la filière sucre. Sur Lesucre.com, le sucre est
présenté sous son meilleur jour. "Le rôle
du collectif est de défendre la consommation du sucre,
admet, sans détour, Caroline Bilger, responsable du
site. Et notre présence sur Internet est un moyen d'exprimer
le sucre dans tout ce qu'il est."
Mais alors que le gouvernement planche sur une loi de santé
publique qui veut lutter contre l'obésité, notamment
chez les plus jeunes, le discours tenu sur Lesucre.com apparaît
dans une logique de "perception management" et de
cyberlobbying en mettant uniquement en avant les qualités
nutritionnelles du produit. "Le site, qui adopte un positionnement
offensif, tend à dénigrer tous les messages
sur la surdose en sucre dans les aliments", analyse Christian
Harbulot. Reste qu'avec une URL comme Lesucre.com, l'internaute
peut davantage s'attendre à un site en faveur du sucre.
Un point sur lequel Ogm-debats.com apparaît bien plus
ambigu.
Qu'ils concernent les OGM ou l'alimentaire, ces sites sont
généralement opérés par des agences
de conseil en communication, spécialisées dans
la production de contenus. Pour étayer les informations
proposées en ligne, ces agences s'appuient sur des
réseaux de spécialistes (scientifiques, juristes,
journalistes...). Lesieur a retenu cette formule pour l'édition
de son site Nutrition-sante.com, dont le contenu est assuré
par une agence de communication spécialisée
dans la nutrition.
Un
discours axé sur le tandem santé-nutrition |
L'agence en question travaille avec des médecins,
pour communiquer en ligne avec les médecins. Un espace
de Nutrition-sante.com est en effet dédié aux
professionnels de la santé, avec des conseils et des
fiches sur le problème de la nutrition. "Une marque
doit pouvoir donner les clés nécessaires pour
comprendre et se réapproprier les choses", explique-t-on
chez Lesieur. Un positionnement que la marque cultive en axant
son discours sur un tandem santé-nutrition, allant
même jusqu'à organiser, en partenariat avec Nestlé,
des soirées formation à destination du corps
médical.
Toujours dans l'univers médical, le site du laboratoire
pharmaceutique Boiron, Boiron.com, joue sur un autre registre.
Le portail adopte une stratégie de transparence en
indiquant clairement qu'il est édité par un
laboratoire de produits homéopathiques. En revanche,
ce même site utilise des leviers mobilisateurs et revendicatifs
en proposant notamment aux internautes de signer des pétitions
pour défendre l'homéopathie. "Dans ce cas,
la marque se drape d'un discours associatif et communautaire,
explique Christian Harbulot. C'est une méthode très
efficace quand elle fonctionne : elle permet d'atteindre
plus rapidement sa cible et de créer un fort niveau
d'adhésion."
Dans ce domaine d'action communautaire, les marques n'en
sont qu'au début. Après le marketing viral,
qui a trouvé avec Internet une nouvelle caisse de résonance,
les marques s'intéressent désormais aux blogs.
En laissant ouvertement la parole aux internautes, le Net
pourrait souffler le chaud et le froid chez les marques, avec,
dans le meilleur cas, des bons conseils échangés
entre consommateurs ou, dans le pire des cas, des actions
de boycottage. Efficace, le média Internet est aussi
à double tranchant.
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