Le 12 janvier dernier, un Alsacien de
46 ans a été condamné à 3.800 euros d'amende, dont 2.300 avec
sursis, par le tribunal correctionnel de Mulhouse, pour avoir
revendu en deux ans un nombre élevé d'objets sur
le site d'enchères eBay. Le procureur de la République, qui
a réclamé dans son réquisitoire 1.500 euros d'amende et quinze
jours de prison avec sursis, considère en effet que l'accusé
a agi en tant que commerçant déguisé. Explications.
L'homme, un habitant de Kembs-Loechlé dans le Haut Rhin, a vendu
sur eBay pas moins de 470 objets de collection entre 2003 et
2005. Entassés durant une dizaine d'années à son domicile, ces
objets provenaient essentiellement de marchés aux puces. Une
situation qui a fini par exaspérer sa compagne, celle-ci menaçant
de le quitter s'il ne se débarrassait pas de sa collection au
plus vite. D'où sa frénésie de revente sur le site d'enchères
américain. Le hic : la revente, parmi ces objets, d'un
vase de collection déclaré volé. Reconnaissant son bien sur
eBay, le propriétaire du vase a porté plainte auprès de la gendarmerie
au printemps 2005. Le prévenu a expliqué à l'audience avoir
acquis ce vase en toute bonne foi sur un marché aux puces. Peu
importe, car ce n'est plus tant le vase qui intéresse la justice
que l'activité de vendeur de l'accusé.
Vendre sur Internet en tant que particulier est tout à fait
légal, comme en témoigne le succès des modèles d'eBay, de PriceMinister
ou de 2xmoinscher. Sites d'enchères ou places de marché à prix
fixes, ces communautés d'acheteurs et de vendeurs offrent la
possibilité aux particuliers de développer une activité de commerce
électronique. Pour la plupart, il s'agit d'optimiser leur pouvoir
d'achat grâce à la revente. D'autres néanmoins abordent la place
de marché avec un esprit d'entrepreneur. De plus en plus de
particuliers franchissent ainsi le pas en créant leur propre
micro-entreprise.
Or ce basculement n'a rien d'annodin, puisqu'il soumet le vendeur
au régime fiscal - des professionnels. Selon l'article L 324-10
du Code du travail, le vendeur professionnel doit en effet déclarer
son activité auprès de l'Urssaf, s'inscrire au registre du commerce
et s'affranchir de l'impôt sur les bénéfices. C'est d'ailleurs
sur le motif principal de "dissimulation d'activité commerciale".
"Selon le Code du commerce, on considère comme commerçant toute
personne qui exerce des actes de vente et qui en fait son habitude,
indique l'avocat du prévenu, Me Maurice Facchin, avocat au barreau
de Mulhouse. La question est de savoir ce qu'on entend par le
terme 'habitude', sachant que mon client exerce une activité
de salarié pour gagner sa vie."
Flou
juridique sur la frontière entre vendeur vendeur
particulier et porfessionnel |
Difficile, de fait, de déterminer la frontière entre le vendeur
particulier et le vendeur professionnel. "Aujourd'hui, le droit
ne définit pas la notion de professionnel. Il ne s'est jamais
penché là-dessus. Il s'est plutôt penché sur la définition du
consommateur. Prendre comme critère un seuil de valeur serait
artificiel. La notion de professionnel doit porter sur un ensemble
de critères, explique Benoît Tabaka, juriste spécialisé dans
le droit des technologies de l'information et de la communication
au sein du Forum des droits sur l'Internet. Ces critères sont
par exemple la preuve d'un acte d'achat dans l'optique de la
revente, ou encore la volonté de générer d'importants revenus
via ces ventes, au-delà de l'optimisation du pouvoir d'achat."
Face à l'explosion des places de marché, le Forum des Droits
de l'Internet a mis en place en juillet 2005 un groupe de travail
sur les relations commerciales entre particuliers. L'une des
actions de ce groupe a notamment été d'encourager les plates-formes
à informer systématiquement leurs utilisateurs des différences
entre particuliers et professionnels ainsi que des conséquences
légales et fiscales du changement de statut.
Ces profils de vendeurs sont ainsi suivis avec attention par
PriceMinister, qui, systématiquement, quand un vendeur particulier
présente un stock plus important que la moyenne ou si son nombre
de ventes atteint des volumes significatifs, appelle l'utilisateur
en question pour lui proposer de créer son entreprise et de
bénéficier d'un label "pro". De son côté, eBay affirme être
"très proactif depuis deux ans en matière d'information sur
les droits et les obligations des utilisateurs" et explique
avoir intégré en décembre dernier un système de profils - particulier
ou professionnel - beaucoup plus visible sur chaque fiche produit.
Reste qu'en mai 2005, date à laquelle le prévenu avait été interpellé
par les gendarmes, ce système n'était pas encore en place. "Si
infraction il y a eu, celle-ci n'était pas intentionnelle. Mon
client ignorait qu'il était dans l'illégalité. Pour preuve,
un courrier envoyé à eBay en mai 2005, dans lequel mon client
demandait quelles étaient les limites de vente pour un particulier.
Et la réponse du site : il n'y a pas de limites pour un
particulier", explique Me Facchin, tout en soulignant le "flou
total" de la loi sur ce point et appelant le législateur à se
saisir de la question. La défense envisage la possibilité de
faire appel. |